Pas moins de 850 demandeurs d’asile laissés à eux-mêmes: "La Belgique est un État voyou" (photos)
Sans assistance médicale ou sociale, les demandeurs d’asile s’organisent de manière autonome.
Publié le 26-11-2022 à 14h49
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C'est une porte grise, sobre, face à laquelle il est impossible de deviner la petite fourmilière grouillante qui s'anime derrière. Passé cette entrée gardée par quelques occupants, c'est une ambiance étrange qui se révèle. Chaleureuse, accueillante, mais la communauté n'oublie évidemment pas les enjeux de cette occupation.
"L'Europe, elle se fiche de savoir qui du Fédéral, de la Région, de Fedasil ou d'une association applique la directive. Il faut juste que ça soit fait".
- Marie Doutrepont, avocate à Progress Lawyers Network
"Ces gens ont des droits. Ils ont un droit à l'accueil, à être nourris, logés et blanchis. Ils ont droit à une aide sociale et psychologique, et ils ont droit de recevoir des formations. Pour l'instant, ces droits, ils sont bafoués par l'État Belge." En effet, une directive européenne oblige l'État Belge à appliquer ces mesures, mais notre pays semble n'en n'avoir cure, analyse Marie Doutrepont, avocate à Progress Lawyers Network, et qui est sur le terrain pour assister juridiquement les occupants. Condamné plus de 7.000 fois à la mi-novembre par la Cour européenne des droits de l'homme, des chiffres qui ne cessent d'ailleurs de monter, l'État ne se met toujours pas au pas légalement, et ne règle toujours pas ses astreintes. " L'État n'en à rien à faire de les payer. En fait, l'État se fiche même de l'État de droit […] C'est un État voyou !" L'avocate cible en même temps la secrétaire d'État à l'Asile et à l'Immigration, Nicole De Moor (CD&V), mais aussi toutes les strates du pouvoir qui laissent la situation sur place telle quelle. "L'Europe, elle se fiche de savoir qui de l'État fédéral, de la Région, de Fedasil ou d'une association applique la directive. Il faut juste que ça soit fait."

Retour rue des Palais. Derrière la porte grise, une petite cour dans laquelle les occupants stockent les sacs-poubelle qu’une poignée d’hommes vient encore grossir. Forcément, à 850, la masse est considérable. Sa présence est aussi révélatrice d’une certaine organisation bien orchestrée dans laquelle chacun sait ce qu’il a à faire, histoire de garder le squat (car c’est ce dont il est question), en état de marche. Certains s’occupent des poubelles, les autres de l’état des sols, d’autres de la communication vers la presse.
"Indigne d’un état de droit"
En fait, trois grandes communautés cohabitent dans cet immense bâtiment privé initialement proposé à la Région pour gérer l'accueil des Ukrainiens : les Afghans, les Arabes et les Africains venus de l'autre côté du Sahara. Ernest a été désigné comme porte-parole du dernier groupe. Un regard franc, un langage appliqué, et des expressions qui témoignent d'un certain âge lui confèrent une autorité naturelle, tout le monde le salue poliment. Arrivé en Belgique il y a quatre mois, il a fait partie des premiers occupants arrivés sur place le 22 octobre. "Nous étions et sommes sans rien. Le froid nous faisait trop mal dehors. Vous savez, nous sommes des citoyens de bonne foi, mais lorsque l'on a vu que ce bâtiment était ouvert et vide, nous nous sommes installés."
"Nous étions et sommes sans rien. Le froid nous faisait trop mal dehors. (...) Quand on a vu que ce bâtiment était ouvert et vide, nous nous sommes installés".
- Ernest, porte-parole des occupants sub-sahariens

Seulement voilà, les propriétaires ne l'ont pas accepté et ont intenté une action en justice qu'ils ont logiquement remportée. Mais, face à un pouvoir politique relativement silencieux, le monde judiciaire ne manque pas de faire des vagues, en témoigne les mots cinglants du juge. "Le tribunal ne peut qu'espérer que l'ampleur du drame humain de l'expulsion projetée, et des risques qu'implique une telle expulsion massive au niveau de la santé et de la sécurité publique, puisse amener les autorités compétences à trouver enfin, et à très court terme, des solutions structurelles pour un hébergement décent des personnes concernées. Il s'agit en effet d'une situation absolument honteuse et indigne d'un État de droit."
Deux toilettes pour 850
Dans les immenses chambres où les matelas jonchent le sol par dizaines, des hommes discutent, réchauffent l'eau à la bouilloire, se reposent, prient… Mais, en cette heure du jour, le bâtiment s'est dépeuplé, chacun partant à la conquête d'assouvir ses besoins primaires. Avec deux douches et autant de toilettes pour 850 personnes, sans eau potable, la situation s'apparente de plus en plus à une poudrière sanitaire, où des cas de gale, de tuberculose et de diphtérie ont été recensés.

Là encore, " nous n'avons aucune aide extérieure sauf celle de citoyens de bonne foi", relate Ernest. Une aide qui, avec le temps, s'amoindrit de jour en jour, mais le doyen reste et se dit "serein". " Nous sommes en Belgique et nous ne quitterons pas le pays. On attend la réponse à notre procédure, d'ici là, on supporte. On ne s'attendait pas à cette étape, mais le problème reste au niveau de l'organisation étatique. Je ne suis pas contre la politique belge. On demande juste à Fedasil et au gouvernement d'agir dans les plus brefs délais."
