Chasse au trésor dans les traces des «rangers» qui rechargent vos trottinettes: «Pour changer 10 à 20% de la flotte chaque jour, il faut de la condition» (photos)
Comment travaillent les opérateurs de trottinettes pour recharger ou entretenir leurs engins ? Et comment résolvent-ils les encombrements des trottoirs ? Alors que la polémique à ce sujet fait rage à Bruxelles, où Uccle veut interdire le parking, L’Avenir suit un « ranger » de l’entreprise Tier dans les rues de la capitale.
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- Publié le 07-09-2022 à 07h09
- Mis à jour le 12-09-2022 à 07h09
Un bip strident résonne au fond d’une allée gravillonnée de Woluwe-Saint-Pierre. Konrad Kielbasa empoigne la trottinette qui clignote entre deux bosquets d’épineux, en bordure d’un terrain de sport. "Celle-là, on l’a sauvée. Elle n’avait plus que 2% de batterie. Si elle tombe à zéro, le système GPS ne sait plus la tracer". De plus, dans ce cas, la trottinette perd son frein moteur automatique et repart en roue libre. "Et alors bonne chance! On risque de la perdre. Elle pourrait être à 2m, on galère pour la retrouver".
Le jeune homme de 20 ans guide l’engin vers la rue de la Limite. Il le replace à portée de main des abonnés, hors d’une zone de chantier qu’il a dû traverser à pied pour mettre la main sur ses proies. Dans le jargon de son employeur, l’opérateur de micromobilité Tier, Konrad est un "ranger". Un peu comme un cow-boy récupère les vaches au lasso dans la pampa, il "chevauche"dans Bruxelles à la recherche des trottinettes et vélos turquoises de la marque allemande. Il est "en selle"pour 50km chaque jour. Sur son app, ses tâches sont classées par priorité: batterie plate, parking gênant, panne de frein, accélérateur amorphe, détérioration, casse…


Dans la plupart des cas, la mission de Konrad consiste en un échange de batteries. Il repère la trottinette sur la carte, se gare au plus près, puis empoigne une batterie soigneusement rangée dans le coffre de métal de sa camionnette électrique. D’un clic, il déloge l’accumulateur dégonflé et le remplace par un plein. Ça ressemble un peu à un pit-stop de Formule 1. La batterie vide repart avec lui au dépôt de Zaventem pour être nourrie: elle retrouvera une autre trottinette le lendemain. "10 à 20% de la flotte sont changés chaque jour", mesure François-Xavier Giraud, city manager bruxellois pour Tier. "Ça dépend de la météo ou des événements. S’il pleut, on est moins sollicité. Mais avec une grève de la STIB ou une journée sans voiture, c’est la folie: on risque de devoir agir sur 30% de la flotte".
Une demi-tonne chaque jour
Tier monitore à distance la santé de ses accus. "Les batteries entre 20 et 15% de charge sont prioritaires", détaille François-Xavier Giraud. Pour assurer le roulement sur ses 4.000 trottinettes et 1.500 vélos bruxellois, l’entreprise dispose "de 20 à 30% de batteries excédentaires". Elles se refont une santé sur des racks spécialement développés en partenariat avec le fournisseur d’engins électriques chinois Okai (lire cadrée). "L’ergonomie est pensée pour faciliter la charge et la manipulation. À 5 kilos la batterie, les rangers transportent une demi-tonne chaque jour. Il faut de la condition". Ces batteries seront bientôt intégrées aux vélos. Elles séduisent même la concurrence, qui les a clipsées sur leurs propres trottinettes. "C’est le jeu".

Konrad se dirige vers le stade Fallon. À en croire son boss, la zone fait fréquemment l’objet de plaintes des autorités pour stationnement encombrant. Woluwe-Saint-Pierre fait d’ailleurs partie des communes qui ont déjà légiféré le parking sur le territoire, profitant des nouvelles règles fédérales. Devant la grille d’entrée, plusieurs trottinettes sont couchées. "C’est ça que j’aime dans le métier", avoue le ranger. "Passer partout, redresser les trottinettes, offrir un service nickel aux abonnés, nettoyer la zone comme on dit". En faisant clignoter les véhicules, l’Anderlechtois repère un feu arrière cassé. Scan sur le QR code: voilà une tâche enregistrée pour les mécanos. Konrad embarque la trottinette vers sa camionnette. D’un coup de frein, il la fait pivoter puis la cabre: il hisse ses 34 kilos à travers le hayon. Un cow-boy, on vous dit. Qu’on n’a pas vu à l’œuvre sur les 39 kilos des vélos, de vraies mules.
Pokémons?
Ils sont une grosse vingtaine de "rangers"à bosser pour Tier. Anciens facteurs, livreurs de colis ou de repas…: l’entreprise allemande se targue de leur proposer un contrat de salarié. "On augmente les équipes en été, notamment avec des étudiants", glisse le manager bruxellois. Cet opérateur européen dit prendre ses distances avec les débuts de la micromobilité, quand des travailleurs précaires étaient payés une misère pour recharger les batteries à leurs propres frais. "Le boulot est ludique, il s’approche un peu d’un jeu vidéo, mais en vrai", compare François-Xavier Giraud. Dénicher les trottinettes, une quête aux Pokémons? "Quand j’étais livreur de sushis, je rendais une personne heureuse. Ici, je travaille pour davantage de monde", apprécie Konrad Kielbasa, en turquoise depuis 3 mois. "J’aime bien ce côté chasse aux trésors, oui. Mais y a des difficultés. Le trafic bien sûr. Des zones sont inaccessibles dans les heures de pointe. La gare du Midi ou le square des Héros à Uccle. Là j’évite".

L’opérateur attend donc avec impatience le feu vert des partenaires sociaux aux shifts nocturnes. "En principe, une partie de nos opérations se dérouleront de nuit d’ici fin 2022". Actuellement, les camionnettes ne circulent en effet qu’entre 6 et 14h. Pour le Pentagone ou d’autres quartiers très encombrés, Tier compte donc 4 vélocargos. "On va augmenter la flotte", annonce le responsable. Konrad a déjà tenté le coup dans "sa"zone d’Anderlecht. Il est partant pour chasser la batterie en pédalant.