Canicule: «Certaines personnes sans-abri ne ressentent pas qu’elles se mettent en danger»

La fournaise des villes rend la vie des personnes sans-abri encore plus fragile. Certaines luttent pour l’ombre ou l’eau potable. D’autres les oublient. Sarah, infirmière et psychologue pour Infirmiers de Rue, décrypte la rudesse de son métier dans ces saisons caniculaires qui se multiplient. 

Plus de 30 degrés pendant plusieurs jours. Si la fournaise des villes est difficilement supportable pour vous, imaginez ce qu’elle peut représenter pour celles et ceux qui vivent en rue. « Prendre sa douche matin, midi et soir pour se rafraîchir, ça semble évident quand vous avez un logement. Mais c’est impossible quand vous n’en avez pas », rappelle Koen Van den Broeck, d’Infirmiers de Rue. L’ASBL anderlechtoise « suit intensivement » 25 patients dans Bruxelles. Sarah, infirmière et psychologue depuis 5 ans, résume l’impact qu’une canicule peut avoir pour ce public si fragilisé (*).

On pense souvent que la pire période pour les personnes sans-abri, c’est l’hiver. Mais l’été est tout aussi préoccupant pour vous.

Sarah – On accorde généralement une attention particulière aux personnes sans-abri dans les conditions extrêmes. Donc le froid et le chaud. Mais cette problématique sociale dure toute l’année. C’est un message important. Et le postulat d’Infirmiers de Rue, c’est que pour ne pas souffrir de la chaleur, il faut un logement.

Votre métier change-t-il avec la canicule?

Sarah – En tant qu’infirmière, je suis plus attentive aux insolations, aux dangers de déshydratation. Je promeus l’eau, je conseille de ne pas consommer trop d’alcool. On distribue aussi le plan des fontaines d’eau potable , qui ne sont pas toujours visibles en rue. Et de la crème solaire.

Des conseils de base?

Sarah – Manger peu mais souvent, se mettre à l’ombre, boire régulièrement de l’eau.

 Les abris ombragés sont rares en temps de canicule dans nos villes occidentales. Alors c’est parfois le système D qui prévaut.
Les abris ombragés sont rares en temps de canicule dans nos villes occidentales. Alors c’est parfois le système D qui prévaut. ©ÉdA – Mathieu GOLINVAUX

Y a-t-il des réticences?

Sarah – Nous suivons des personnes qui cumulent les critères de vulnérabilité: santé mentale, troubles somatiques, peu d’autonomie, très immobiles, assuétudes. La chaleur renforce ces vulnérabilités. Nous les sollicitons: "Vous êtes en plein soleil, venez à l’ombre". On se déplace avec elles, on leur achète une bouteille d’eau. Notre force, c’est qu’on connaît bien ces personnes: grâce à ce lien de confiance, on arrive à discuter, sans les forcer. Le mouvement se fait proactivement.

Pourquoi ne ressentent-elles parfois pas le besoin d’ombre?

Sarah – Dans un stress constant, certaines consciences corporelles ne sont pas les mêmes que pour nous. Elles ne ressentent pas qu’elles se mettent en danger.

Bruxelles est-elle une ville accueillante?

Sarah – Non, bien sûr que non, on ne peut pas dire que Bruxelles est une ville accueillante.

Koen – Il n’y a pas assez de logements sociaux abordables destinés aux personnes précaires. Mais est-ce le cas ailleurs dans le monde? C’est une problématique de toutes les grandes villes.

Peut-on mourir de la chaleur dans nos villes?

Sarah – Bien sûr. Et ce sont des morts qui peuvent être évitées. Ce qui est interpellant, c’est qu’on considère que les conditions de vie des personnes sans-abri sont indignes en hiver et qu’en été, c’est plus facile. Or ce n’est pas du tout vrai.

Koen – On a les plans hiver contre le froid. En été, ce n’est pas le cas. Peut-être que quand on arrivera à 40 degrés, on mettra des locaux climatisés à disposition?

Doit-on pousser l’idée dès aujourd’hui?

Koen – La plupart des abris naissent d’initiatives privées. Ces centres de jour ne sont pas toujours climatisés. Ni conçus pour la canicule. Notre société belge et européenne doit encore s’adapter car jusqu’ici, dépasser 35 degrés restait exceptionnel.

 Les travailleurs de terrain d’Infirmiers de Rue incitent leurs patients à proactivement se mettre à l’ombre et à s’hydrater.
Les travailleurs de terrain d’Infirmiers de Rue incitent leurs patients à proactivement se mettre à l’ombre et à s’hydrater. ©Infirmiers de Rue – Pierre-Yves JORTAY

Certaines galeries commerçantes sont climatisées: les personnes sans-abri y sont-elles bienvenues?

Sarah – Certaines personnes cherchent elles-mêmes le frais et s’installent dans les galeries commerçantes et stations de métro, oui. Nos partenaires et nous avons une inquiétude commune pour elles. Chacun apporte ses solutions.

Koen – Les agents de sécurité comme les citoyens contribuent à ce réseau de vigilance. Ce réseau informel existe et est assez important.

Sarah – Par exemple nous avons de très bons contacts avec la STIB. Ils nous transmettent des signalements, certains commerçants aussi. Même si nos objectifs divergent.

Koen – On est parfois étonné nous-mêmes de la solidarité des commerçants.

Les fontaines publiques sont-elles facilement accessibles? Y en a-t-il assez?

Koen – Certaines communes sont trop peu fournies (**). L’eau est une denrée rare. Certains dépendent donc de la solidarité des commerces et horecas. On a cette aide, mais elle n’est pas institutionnalisée en Belgique. Or, avec des saisons comme celle que nous vivons en 2022, les fontaines sont indispensables. Pour tous les utilisateurs d’une ville. C’est facile et bon marché, si pas gratuit. Ça doit être une évidence pour les villes, comme les sanitaires.

Ça impose aux personnes sans-abri de marcher beaucoup?

Sarah – Certains doivent, oui oui. Les accès ne sont pas faciles, il faut savoir où se trouvent ces points d’eau. Et l’information n’est pas évidente à trouver. D’où le plan qu’on distribue.

Y a-t-il des évolutions?

Koen – On parle d’un plan fontaines et sanitaires. L’ambition est de doubler les fontaines sur les 19 communes. Ça avance.

 Il faut parfois marcher beaucoup pour trouver un point d’eau à Bruxelles.Sans parler d’un endroit où se doucher.
Il faut parfois marcher beaucoup pour trouver un point d’eau à Bruxelles.Sans parler d’un endroit où se doucher. ©ÉdA – Mathieu GOLINVAUX

Pour se doucher, quelles solutions au quotidien en 2022?

Sarah – Certaines associations sont ouvertes toute l’année. Mais l’offre n’est pas augmentée quand il fait chaud. Ça ne permet clairement pas à toutes les personnes sans-abri de prendre une douche par jour.

Faut-il ouvrir les piscines en soirée?

Koen – Les piscines et centres sportifs, c’est une piste. Mais c’est encore augmenter les capacités de survie sans trouver de solutions structurelles. C’est un système D. Notre ambition est vraiment de raccrocher notre public via un logement durable, et plus d’urgence (***).

Sarah – On cherche à le ramener vers les structures et pas à augmenter les solutions d’urgence en rue. Mais ce n’est pas pour ça que l’urgence n’est pas nécessaire.

Koen – À première vue, ça semble plus facile d’installer une laverie mobile, de loger les gens en abri saisonnier, et de recommencer l’année suivante. Mais c’est accepter que les gens soient dans la rue. Et on ne peut pas accepter que les gens soient dans la rue.

Faites-vous un métier extrême?

Koen – Ce n’est certainement pas évident avec ce public pas facile. Il ne réagit pas forcément selon les habitudes qu’on attend de quelqu’un en face de soi. Et en ce sens, c’est extrême.

Sarah – De l’extérieur, ça le parait. Mais je ne le vis pas comme ça.

 Conseils de base d’Infirmiers de Rue à son public: «manger peu mais souvent, ne pas consommer trop d’alcool, chercher l’ombre».
Conseils de base d’Infirmiers de Rue à son public: «manger peu mais souvent, ne pas consommer trop d’alcool, chercher l’ombre». ©ÉdA – Mathieu GOLINVAUX
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