"J’ai perdu mon roman": Laura Tinard passe de l’addiction numérique à une sévère parano
L’héroïne du premier livre de l’artiste performeuse Laura Tinard, "J’ai perdu mon roman", passe de l’addiction numérique à une sévère parano. La performeuse replace aussi son héroïne dans le contexte de son séjour à Bruxelles durant ses études d'art.
Publié le 14-02-2022 à 06h00
Huit mille pages! C'est la longueur atteinte par OceanSkyLine, le roman partagé initié par Pamela. De Bruxelles, la jeune femme a mis en ligne le texte qu'elle était en train d'écrire en proposant aux membres d'un groupe de création littéraire de l'université de Laval, à Montréal, d'intervenir librement dessus.
Pendant des mois, elle est devenue totalement accroc à cette expérimentation collective, quittant son squat d’artistes bruxellois pour se retrancher chez ses parents à Nice, ne quittant pratiquement plus sa chambre, dormant avec son ordinateur allumé en permanence.
Ce n’est que lorsqu’elle s’est rendu compte que son roman commençait à lui échapper, les Canadiens transformant radicalement son héroïne, menaçant même de la tuer, qu’elle s’est reconnectée au monde réel. Avec, à la clé, une irrépressible parano, persuadée d’être traquée par ses anciens coauteurs.
Dans son très séduisant et subtilement foutraque premier roman au titre en forme de clin d'œil, J'ai perdu mon roman, où apparaît aussi une énigmatique femme qui porte son nom, Laura Tinard a mis beaucoup d'elle-même. Niçoise, elle a suivi des études littéraires à Paris avant d'intégrer une école d'art à Bruxelles. Dans les anciennes Brasseries Atlas d'Anderlecht, elle a créé avec d'autres étudiants un atelier d'artistes qui sert de modèle à l'ancien sanatorium de son livre. Elle y a vécu quatre ans, organisant notamment un festival de performances, discipline artistique qu'elle continue de pratiquer en différents lieux. "On était dans une utopie de l'art pour l'art, se souvient-elle. Cet atelier regroupait des peintres, des sculpteurs, j'étais la seule à écrire vraiment. Ce n'était pourtant pas vraiment un collectif. Si on faisait des choses en commun, il y avait aussi beaucoup de désaccords, on n'avait pas tous la même vision de l'art."
La performance est, pour elle, "une manière de défendre l'art comme quelque chose qui n'a pas de message, qui permet l'expérimentation. Et qui est décalé, qui peut faire rire. Je prends beaucoup de plaisir à jouer avec les codes". Comme elle le fait aussi dans son premier roman où l'on suit son héroïne sans toujours savoir ce qui est de l'ordre de la vérité ou du fantasme tant le monde imaginaire qu'elle a construit est poreux avec la réalité.
Tout cela, Lara Tinard l’a elle-même expérimenté puisqu’elle a, elle aussi, mis en ligne un roman qui a fini par lui échapper. Il continue, aujourd’hui encore, de s’écrire, mais sans elle.
"L'écriture collective permet de faire se croiser plusieurs plumes, explique la trentenaire. Je voulais voir ce que l'on ferait de mon histoire, avec par exemple l'entrée de nouveaux personnages. Si je savais dès le départ qu'en ouvrant la porte à d'autres auteurs, je perdrais mon roman, en même temps, peut-être pernicieusement, j'avais envie de voir la chose se produire. Finalement, c'était très intéressant, on apprend beaucoup en regardant les autres écrire."
+ Laura Tinard, «J’ai perdu mon roman», Seuil/Fiction & Cie, 233 p.