Les cours de religion deviendront-ils facultatifs?
Les cours de philosophie et citoyenneté vont-ils être étendus, au détriment des cours de religion et de morale? La question est à l’analyse au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Publié le 12-04-2021 à 11h51
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Quel est l’avenir des cours de religion et de morale à l’école? C’est la question que se posent certains enseignants suite à la mise en place, au sein du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, d’un groupe de travail chargé d’examiner l’extension à deux heures des cours de philosophie et citoyenneté (CPC) dans l’enseignement officiel. Un groupe qui réunit tant les partis de la majorité que de l’opposition (lire ci-contre).
Pour rappel, le cours de philosophie et citoyenneté est dispensé – depuis 2016 en primaire et 2017 en secondaire – à raison d’une heure obligatoire dans l’enseignement officiel. En ce qui concerne la deuxième heure, les élèves ont la possibilité d’opter pour une deuxième période de philosophie et citoyenneté, ou pour une heure de religion ou de morale.
Dans le réseau libre confessionnel, cette matière est enseignée de façon transversale et ne fait pas l’objet d’un cours proprement dit.
La religion, supprimée de la grille horaire
«L'examen de l'élargissement à deux heures de philosophie et citoyenneté est noté noir sur blanc dans la Déclaration de politique communautaire. Celle-ci ne mentionne pas la suppression des cours de religion et de morale, mais le budget de la fédération n'étant pas illimité, à un moment donné, il faudra faire des choix», s'inquiète Hafida Hammouti, cofondatrice de la CERI (Coordination des enseignant(e)s de religion islamique).
Cette professeure redoute que les cours de religion et de morale soient purement et simplement supprimés de la grille horaire. «La Constitution demande aux écoles d'organiser des cours philosophiques. On ne pourra donc pas unilatéralement les supprimer. Par contre, certains partis politiques envisagent de les rendre facultatifs, notamment en les sortant de la grille horaire!»
Hafida Hammouti regrette également que les débats, qui viennent de commencer au Parlement, se tiennent à huis clos: «Il n'y a pas de compte rendu officiel, et les débats ne sont pas filmés. On se demande donc ce qui s'y dit…»
Une demande des parents
La réforme des cours philosophiques ne date pas d’hier. En 2015, une élève avait été dispensée de cours de religion/morale, suite à un arrêt de la Cour constitutionnelle. Des cours d’encadrement pédagogique alternatif (EPA) puis de philosophie et citoyenneté ont ensuite été instaurés.
« Je pense qu'il y a une volonté politique, depuis pas mal de temps, de passer à deux heures de cours de philosophie et citoyenneté, estime Jamal Habbachich, du Collectif des enseignants de religions dans l'enseignement officiel. L'instauration de ce cours ne nous dérange pas, c'est une richesse pour notre enseignement. Par contre, nous souhaitons conserver la dernière heure de religion.»
L'enseignant précise être en contact avec le groupe de travail du Parlement de la FWB. « Il y a des auditions qui sont instaurées afin que nous soyons concertés, et que les membres de ce groupe soient au courant du travail que nous réalisons au quotidien.»
Selon lui, les députés devraient tenir compte de la réalité du terrain dans leur prise de décision. Car les cours de religion et de morale sont loin d’être marginalisés.
«Ces cinq dernières années, les inscriptions à ces cours étaient encore nombreuses. On ne peut donc pas ignorer la demande des élèves et des parents dans une société où le jeune peut être amené à se poser des questions sur sa religion.»
«Ils iront chercher les réponses ailleurs»
Cette faculté de pouvoir interroger directement le professeur de religion ou de morale serait d'ailleurs essentielle, pour les jeunes: «Il faut tout de même souligner que ce cours nous permet notamment de déconstruire certains discours rigoristes et radicaux, qui sont prônés sur les réseaux sociaux et dans certains milieux.» Jamal Habbachich estime, pour sa part, que ces débats doivent se tenir au sein de l'école, et ce afin d'être contrôlés, avec un suivi de la part de l'enseignant.
«Si demain, on supprime carrément les cours de religion et de morale des écoles officielles, on poussera les jeunes à aller chercher des réponses ailleurs.»

Du côté de la majorité, le PS juge que l'extension à deux heures des cours de philosophie et citoyenneté a du sens, au regard de l'intérêt du cours. «Dès le moment où la première heure était sur la table, la question s'est inévitablement posée, détaille le député socialiste, Laurent Léonard. Mais je précise que rien n'est fait, et qu'il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Car le problème va notamment se poser par rapport à la grille horaire.» Ajouter une heure de CPC implique en effet d'avoir une période supplémentaire, ce qui aurait un coût pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. L'idée d'extraire les cours de religion et de morale de la grille horaire peut aussi poser problème d'un point de vue organisationnel.«Nous serons par ailleurs très vigilants en ce qui concerne l'emploi, en trouvant une solution pour les enseignants concernés, si nous devions préconiser deux heures de CPC. »
DéFi: «La religion facultative»

Du côté de DéFI, Joëlle Maison se dit «résolument favorable à l'extension, à deux heures, des cours de philosophie et citoyenneté».
La députée estime que l'école n'est pas censée dispenser une éducation religieuse: «L'idée serait de rendre les cours de religion facultatifs, donc de les placer en dehors de la grille horaire. Il s'agira néanmoins d'adopter une position très pragmatique dans l'organisation, de manière à donner un rôle aux titulaires des cours de religion et de morale actuels. Je pense aussi que la notion de dialogue interreligieux doit pouvoir intégrer le référentiel des cours de philosophie et citoyenneté.»
MR: «Un cours essentiel dans notre société»

«Nous tendons vers cette deuxième heure de philosophie et citoyenneté, car ce cours nous semble essentiel dans la société actuelle, affirme la députée libérale Stéphanie Cortisse. D'ailleurs, les référentiels des cours de CPC ont été créés pour deux heures. Des notions importantes, comme celle d'État de droit, sont abordées dans le cadre de la deuxième heure, qui n'est donc pas dispensée à tous les élèves.» Le coût d'une heure supplémentaire préoccupe néanmoins le parti, de même que la possibilité de sortir les cours de religion et de morale de la grille horaire. Dans le cadre du groupe de travail, des constitutionnalistes seront d'ailleurs auditionnés sur le sujet.
cdH: «Pas de position arrêtée»

«Clairement, cette extension à deux heures des cours de philosophie et citoyenneté n'était pas dans notre programme, affirme Marie-Martine Schyns, au cdH, qui entend construire sa position en fonction des débats et auditions qui auront lieu dans le cadre du groupe de travail.
«Ce serait ridicule d'avoir une position arrêtée sans avoir eu l'avis des constitutionnalistes, mais aussi des syndicats, des pouvoirs organisateurs, des collectifs d'enseignants et de parents qui seront auditionnés.» Marie-Martine Schyns juge l'enjeu important, et entend bien «prendre le temps de la réflexion».
Écolo: «Une grande différence entre réseaux»

Les écologistes sont également prudents sur cette question, étant donné que les travaux viennent seulement de commencer. «Il y a des implications constitutionnelles mais aussi budgétaires qui vont inévitablement peser dans la balance, indique Jean-Philippe Florent. La question de l'emploi des professeurs fait aussi partie de la réflexion.»
Par ailleurs, Écolo regrette la distinction opérée entre les réseaux libre et officiel à cet égard. «Nous trouvons dommage que les cours de CPC soient proposés dans le réseau officiel, et pas dans le réseau libre. Je ne dis pas que nous pensons instaurer deux heures de CPC dans l'enseignement libre, mais cette différence nous interpelle.» Quant à la notion de transparence des débats, le député indique que le huis clos a été décidé, «car il s'agit d'un sujet sensible». Les débats publics suivront, après cette première étape en groupe de travail.
PTB: «Besoin d’une évaluation»

Le PTB serait, a priori, favorable au maintien de la situation actuelle, «donc garder une heure de CPC et une heure de religion ou de morale, même si nous serons attentifs aux auditions à venir», précise le député Jean-Pierre Kerckhofs.
Le parti estime que le cours de philosophie et citoyenneté est récent: une évaluation de ce dernier serait donc nécessaire, avant d'aller plus loin. «Je pense qu'étendre le cours à deux heures compliquerait encore le recrutement des enseignants. Ensuite, si les cours de religion et de morale deviennent facultatifs, cela impliquerait tout de même d'ajouter des heures, ce qui serait évidemment coûteux.»