Éric-Emmanuel Schmitt apprend à vivre sans sa mère
Dans «Journal d’un amour perdu», l’écrivain raconte avec une totale franchise ses difficultés pour faire le deuil de celle qu’il aimait tant.
Publié le 04-09-2019 à 06h00
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«Maman est morte ce matin et c'est la première fois qu'elle me fait de la peine», constate Éric-Emmanuel Schmitt en ouverture de son Journal d'un amour perdu. Cet événement est doublement traumatisant pour lui: à la perte de l'être le plus cher de tous, cette mère qui lui a fait découvrir le théâtre (grâce à Cyrano de Bergerac) et ne l'a jamais déçu, grâce à qui il a une «une belle vie», s'ajoute la stupeur de n'avoir rien ressenti le jour de son décès. Du moins le croit-il, car, en réalité, lorsque, fin mars 2017, son corps a été découvert sur le carrelage de sa cuisine, elle était morte depuis plusieurs jours. Au moment de sa chute fatale, il était en train d'écrire, en guise de suite à Mademoiselle Butterfly, la lettre d'un fils à sa mère qu'il aime éperdument, et qui se meurt.

«J'avais envie de partager ce chemin qu'on appelle le deuil», explique l'auteur ucclois. Il ne dissimule ni son insondable tristesse, qui se manifeste par des pleurs incessants, ni sa profonde solitude, qui le conduit au bord du suicide. «Je n'ai pas voulu faire croire que j'étais fort alors que je ne l'étais pas. Je me reconnais beaucoup plus dans cet aveu de faiblesse que dans une pose qui consiste à dire que tout va bien.»
Ce qui l'a «sauvé», c'est le travail. La fin de l'écriture du recueil de nouvelles La Vengeance du pardon, puis l'interprétation, devant des salles combles et enthousiastes, de Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran et de Madame Pylinska et le secret de Chopin: «Cela m'a permis de me remettre dans le présent, alors que j'étais devenu nostalgique et mélancolique, ce qu'en temps normal, je ne suis pas du tout.»
Ces deux ans que retrace fidèlement ce livre voient également la résolution d’une interrogation que se pose l’écrivain depuis l’adolescence, celle de l’identité de son père à qui il ressemble physiquement si peu et qui, jusqu’à ce qu’il remporte un prix national de composition française, a toujours relativisé ses réussites scolaires.
Aujourd'hui, tandis que «s'est éteint le petit garçon», l'adulte a gagné en sérénité. Tout en jouant à Paris, il se consacre pleinement à son activité de juré du prix Goncourt, dont la première liste a été divulguée hier.
+ Éric-Emmanuel Schmitt, «Journal d’un amour perdu», Albin Michel, 251 p.