INTERVIEW | Charlotte Abramow, réalisatrice de Balance ton quoi: «Un bonheur de travailler avec Angèle et Pierre Niney»
Les coulisses du clip «Balance ton quoi», le féminisme, son amitié avec Angèle, la présence de Pierre Niney… La talentueuse réalisatrice bruxelloise Charlotte Abramow répond à nos questions.
Publié le 03-05-2019 à 10h00
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Photographe et réalisatrice, Charlotte Abramow fait partie de ces artistes belges qui connaissent un grand succès en France, comme en Belgique.
Du haut de ses 25 ans, elle vient de tourner le clip d’Angèle «Balance ton quoi». Un buzz immédiat. En quelques jours à peine, la vidéo a été vue plus de 10 millions de fois sur Youtube.
Avec sa meilleure amie et maquilleuse, Ophélie Seck (qui a co-écrit le clip), Charlotte crée des œuvres engagées et féministes. C’est tout naturellement que le clip «Balance ton quoi» concrétise ce féminisme engagé.
Découverte des coulisses du dernier clip d’Angèle, tourné en trois jours par la talentueuse Charlotte Abramow.
Charlotte, pouvez-vous nous raconter l’histoire du clip «Balance ton quoi»?
Au début de l’année 2018, avant que l’album «Brol» ne sorte, Angèle m’avait déjà envoyé la chanson. Directement, on s’est dit que s’il fallait faire un clip, je le ferais. J’avais tout de suite eu l’idée du tribunal. C’est à partir du mois de novembre qu’on a commencé à travailler sur le clip avec l’équipe d’Angèle. Il y a donc eu cinq mois de conception et de réalisation.
Après l’idée du tribunal est venue l’idée de l’«Anti Sexism Academy»...
Tout à fait. J’ai trouvé qu’il fallait deux parties au clip. C’est pourquoi, j’ai eu l’idée de l’Anti Sexism Academy. À partir de ce moment-là, j’ai co-écrit le clip avec Ophélie Seck, ma meilleure amie, qui est également une amie d’Angèle.
Que ce soit dans la chanson ou dans le clip, on sent un réel féminisme engagé.
Cela part de ma rencontre avec Ophélie Seck. Comme elle a sept ans de plus que moi, c’est elle qui m’a aidée à mieux comprendre ces théories-là.
On a alors commencé à écrire le clip à trois avec Ophélie et Angèle. À partir du mois de novembre, on se voyait des après-midis entières et cela donnait un ping-pong d’idées avec pour but d’aborder le sexisme ordinaire et le harcèlement.
Le gros travail dans la conception du clip, cela a été de trouver le juste milieu dans le ton. Car on était consciente que le féminisme n’est pas un sujet dont tout le monde raffole. Il fallait donc trouver le ton juste, mélangeant humour et sérieux.
Dès lors, on a sorti un clip de 4 minutes qui parle du féminisme.
Ce n’était pas trop risqué d’aborder ce thème, au risque de faire perdre des fans à Angèle?
Pendant nos sessions à trois, nous nous sommes rapidement demandé quel public on cherchait à toucher. Fallait-il toucher des cercles de féministes déjà convaincus et risquer qu’un grand nombre ne comprenne pas le clip? Ou est-ce qu’on voulait faire une introduction au féminisme de base et s’adresser au public relativement jeune d’Angèle et qu’elle devienne une porte-parole de ce mouvement?
C’est donc la deuxième option qui a été choisie…
En effet et cela a très bien fonctionné. On a reçu de nombreux messages mignons de jeunes ados de 12-13 ans qui disaient notamment: «Bonjour, je m’appelle Enzo et je suis féministe».
Il est clair que ce dont on parle dans le clip est basique mais c’était nécessaire pour aborder le plus de thématiques possibles dans chaque plan du clip.
Vous avez co-écrit le clip à trois. Mais qui s’occupait de la réalisation finale?
Dans un second temps, après nos après-midis, c’est moi qui visualisais les choses dans ma tête car j’étais au rôle de l’image. J’ai donc énormément découpé les scènes en fonction des paroles et du rythme.
Tout le montage était fait en amont, de manière très découpée. Par la suite, j’ai dessiné le clip sous forme de storyboard. Cela a permis aux équipes d’avoir une base concrète de travail. C’était très important pour que les journées de tournage se déroulent correctement car on avait un temps limité.
Les jours de tournage, ça a été un travail collectif avec toute la production. Il a y a eu une grande débauche d’énergie du chef opérateur Quentin de Lamarzelle, de la cheffe décoratrice Lucie Beauvert, des équipes de stylisme chapeautées par Alizée Henot et de tous les autres participants.

Au milieu du clip «Balance ton quoi», il y a une scène de comédie dialoguée.
Une idée d’Angèle. Pour aller plus loin dans l’histoire, elle a voulu proposer une pause dans le clip et inclure quelque chose de neuf qui n’avait jamais été fait.
On a également eu la chance d’avoir Pierre Niney avec nous. Hyper talentueux, il était super impliqué et il a co-écrit cette scène. Il était très sympathique, cela a été un bonheur de travailler avec lui.
Il a également amené un ami à lui: le comédien Antoine Gouy (NDLR: il joue le rôle de Tobias dans la scène).
Leçon anti-sexiste du matin ! L'acteur @pierreniney a pris un cours auprès de la chanteuse @angele_vl. Alors vous avez retenu la leçon ? 👩🏫
— Marie Claire (@marieclaire_fr) April 17, 2019
(Extrait du nouveau clip "Balance ton quoi", réalisé par #CharlotteAbramow) pic.twitter.com/m1YIfGlq74
Dans cette scène, on voit des vêtements aux couleurs de l’«Anti Sexism Academy».
Ces uniformes ont été créés en collaboration avec la jeune marque féministe «Meuf Paris». Nous voulions soutenir à notre manière le féminisme. C'est pourquoi nous avons lancé une collection capsule. Ces vêtements vont être vendus incessamment sous peu (NDLR: à partir de 18h, ce jeudi 2 mai). 100% des bénéfices vont être reversés à deux associations féministes: La Maison des femmes à Saint-Denis et le Centre 320 rue Haute à Bruxelles.
Ce qu’on a voulu montrer, c’est que le féminisme, ce n’est pas une guerre contre les hommes mais c’est une guerre contre des mentalités et des comportements que tout le monde peut avoir. Et la bonne nouvelle, c’est que cela peut changer!
Le message semble bien reçu par le public. Le clip a été vu plus de 10 millions de fois en un peu plus d’une semaine. C’était attendu?
Angèle n’ayant plus sorti de clip depuis six mois et étant un peu partout en ce moment, on pouvait espérer que ça allait marcher. Mais on partait quand même avec un petit bouclier car on mettait le doigt sur un sujet qui ne fait pas plaisir à tout le monde. On savait très bien que cela pouvait créer des polémiques. Que ce soit chez certains qui auraient pu nous traiter de «féminazies» ou que ce soit par des courants féministes plus radicaux qui auraient trouvé qu’on était trop dans la légèreté.
Donc, on ne s’attendait pas à ce que cela fasse un tel buzz. Surtout qu’Angèle se mettait un peu en danger dans ce clip où elle prenait parti. Au final, le ton juste a été trouvé et nous en sommes super contentes.
«Balance ton quoi», c’est devenu un outil pédagogique qui amène le débat. Des parents nous ont remerciées parce qu’ils pouvaient parler du féminisme avec leur(s) enfant(s). Cela nous donne beaucoup d’espoir et de joie de voir que cela suscite les échanges. Chez les adultes, comme chez les jeunes.
Huit millions de vues en une semaine, c’est un record pour Angèle.
Le buzz a dépassé nos espérances. Nous étions assez abasourdies. En comparaison avec «Tout oublier», c’est un record. Roméo Elvis et Angèle avaient fait cinq millions de vues en deux semaines.
Mais ici, c’est un clip avec un vrai propos qui dépasse la chanson et qui amène également une scène de comédie avec Pierre Niney. Cela a joué dans le buzz.
Le making-of du clip est également un énorme succès.
Oui, tout à fait. On en rigolait avec Manou Milon, qui est l’auteur de ce making-of. On était proche de lancer des paris pour voir si le making-of n’allait pas dépasser le clip en lui-même.
Ça fait plaisir qu’avec ce making-of de nombreuses personnes réalisent tout le travail qu’il y a derrière. Car c’est bien gentil de dire qu’il y a Angèle la chanteuse et Charlotte la réalisatrice mais il y a beaucoup plus de monde que ça. On voit qu’on est une entreprise humaine et collective.
Dans ce making-of, on vous voit très complice avec Angèle. Depuis quand collaborez-vous avec elle?
En fin 2016, j’ai découvert Angèle sur Instagram et on a commencé à discuter sur les réseaux sociaux. Sylvie Farr, la manageuse d’Angèle, m’a alors contactée dans le but d’avoir des communications visuelles.
Angèle n’était pas encore connue et aucun label ne s’intéressait à elle, donc on y est allé «à la bonne franquette». Le premier shooting, c’était la photo d’Angèle avec les spaghettis sur la tête.
Directement, nous nous sommes très bien entendues. On a des caractères assez similaires. On est un peu des «gamines fofolles» et très «à la cool». Notre collaboration s’est donc déroulée hyper naturellement. Et une amitié est née. C’est pourquoi «Balance ton quoi» est aussi fort et qu’on ressent cette complicité dans le making-of.
Qui plus est, je suis devenue réalisatrice en 2017 en tournant deux clips d’Angèle: «La loi de Murphy» et «Je veux tes yeux».

Soignés et absurdes, ces trois clips ont immédiatement fait le buzz sur la toile. C’est quoi la recette d’un bon clip?
On ne sait jamais… Par exemple, quand «La loi de Murphy» est sorti, nous avons été estomaquées que cela prenne comme un feu de forêt alors qu’Angèle et moi sortions de nulle part.
Sinon, il faut tout d’abord que je sois inspirée par la chanson. Et puis, étant perfectionniste, je fais un travail très précis de découpage. Il y a également le fait qu’Angèle me fait énormément confiance et me laisse carte blanche comme pour «Je veux tes yeux».
Plusieurs reprises du clip «Balance ton quoi» dépassent les cent milliers de vues, notamment celui d’un collectif de femmes voilées qui revendiquent leurs droits. C’est une reconnaissance?
Je suis super contente! En trois minutes, dans une chanson pop et légère, on ne peut pas aborder tous les sujets qui touchent les femmes. Donc, c’est évident qu’il y a des manquements dans le clip. Du coup, j’étais heureuse que les Molem Sisters, ces trois femmes venant de Bruxelles, réalisent cette reprise.
En plus, elles se sont complètement réapproprié les paroles d’Angèle pour raconter les discriminations qu’elles subissent et dont nous, en tant que femmes blanches, nous n’avons pas toujours conscience.
Angèle et moi avons été touchées et donc on a partagé cette reprise sur nos réseaux pour leur donner de la visibilité et de la force dans un esprit de sororité.
Quels vont être vos prochains projets?
Après cinq mois sur un clip, je vais partir en vacances. Je vais me reposer et me renourrir de choses qui m’inspirent.
J’ai également un projet qui devrait, je l’espère, sortir bientôt. Un projet sur les Iles Féroés, réalisé en collaboration avec Sylvie Farr, la manageuse d’Angèle et Brice Vdh, co-réalisateur du clip «Tout oublier».
Le but, c’est de partir à l’improviste dans des lieux que je ne connais pas, sans matériel de lumière, où on improvise des shootings avec des habitants de là-bas. Les Iles Féroés, c’est une première étape. Nous allons partir sur plusieurs îles isolées du monde. Cela va donner un projet, nommé «They love trampoline», à la croisée du reportage et de la mise en scène.