Jacques Doillon au BRFF: «La nuit, je rêve que je tourne»

Invité d’honneur du Brussels Film Festival, qui débute aujourd’hui, Jacques Doillon, 71 ans, n’a rien perdu de sa passion. Juste quelques illusions.

Quarante ans qu'il nous parle de jeunesse, d'amour, de désir. Et le fait avec la fougue d'un adolescent. Jacques Doillon, 71 ans, est l'invité d'honneur du Brussels Film Festival, qui débute ce week-end. Il y participera à une Masterclass, quelques jours avant l'ouverture d'une rétrospective qui lui est consacrée à la Cinematek. Et en profitera pour présenter Nos séances de lutte, son nouveau film. Un long-métrage, un de plus, dans lequel Sarah Forestier et James Thierrée se malmènent physiquement dans un ballet corporel déconcertant. Et qui, espère-t-il, ne sera pas le dernier.

Jacques Doillon, à 71 ans, vous avez toujours autant envie de nous parler d’amour?

J’ai quand même parlé d’autres choses: de chômage, ou de la maladie, mais c’est vrai que c’est le sentiment avec lequel nous passons, au final, le plus de temps. J’ai parfois l’impression d’être un vieux radoteur, mais je ne vois pas sur quoi d’autre je pourrais aller. Après, il existe de grands films sociaux, qui me remplissent d’admiration, mais sans sentiment, ils deviennent vite des films de propagande, et ça ne correspond pas à ce que les gens ont généralement dans la tête: l’amour, en effet.

Vous vous traitez de vieux radoteur, et pourtant vous vous distinguez une fois encore, avec cette étonnante analogie entre amour et lutte. Qu’avez-vous voulu nous dire à travers cette image? Que l’amour est un combat quotidien?

Moi, je ne dis rien, ce sont les spectateurs et les critiques qui disent. On me demande souvent de parler des messages que je véhiculerais. Et c’est une question qui m’embarrasse au plus haut point, parce que quand je fais un film, je me vois toujours comme un mécanicien: j’ai le nez dans le moteur, et je suis bien incapable, ensuite, de vous dire pourquoi il fonctionne comme ceci, ou comme cela. Ce n’est pas du cinéma métaphysique. Il s’impose à moi. Ce n’est pas pour rien, finalement, que j’étais si nul en dissertation à l’école…

Refaire le même film, encore et encore, c’est votre cauchemar?

Un peu, oui. Je ne peux pas concevoir ce métier sans prendre de risques. Et, sans vouloir me couper de lauriers, je vois trop de vieux cinéastes qui se contentent désormais de choisir un roman qui a bien marché, de bons comédiens, d’empocher le pognon, qui est forcément là, pour tourner un film anonyme derrière lequel vous serez bien incapable de déceler une patte, cette signature qui fait la différence entre les grands et les médiocres. Faire un film pour faire un film, je ne vois pas l’intérêt. Si c’est ça, autant se mettre au jardinage, ou fabriquer du chocolat. Après, c’est sûr, quand vous choisissez d’autres voies, c’est plus difficile à financer…

Même quand on s’appelle Jacques Doillon?

Surtout quand on s’appelle Jacques Doillon. Des idées, j’en ai tout le temps. Et parfois, quand j’en accumule trois ou quatre, ça peut faire un film. Mais il faut alors trouver les trois sous pour le monter. Il est peut-être là, aujourd’hui, le vrai combat. C’est une bagarre que je ne connais que trop bien, de plus en plus ardue. Car nous vivons dans une société de loisirs qui appelle le divertissement, les films un peu cons. Vous savez, ce film, je l’ai tourné il y a presque trois ans, et il sort seulement. Et encore, j’en suis à la fois le producteur et le distributeur. J’ai même tourné la plupart des scènes dans ma propre maison. Honnêtement, je ne vois pas comment on peut vieillir comme cinéaste, aujourd’hui. Et je ne suis pourtant pas le plus à plaindre.

Vous avez peur, parfois, d’avoir tourné votre dernier film?

Oui, bien sûr. Moi, j’adorerais tourner un film par an. Mais je ne peux plus me battre contre ces gens-là. Plus personne ne le peut, à part les huit ou dix qui ont la carte du club, et le droit de monter les marches à Cannes chaque année. On ne vous dit pas que c’est mauvais, on vous dit que ce n’est pas finançable. Et c’est pareil pour les acteurs. Avant, ils avaient envie de bosser avec des réalisateurs qui les faisaient travailler. Vraiment travailler, je veux dire. Aujourd’hui, les acteurs et actrices qui valent un peu de sous veulent être certains de gagner le même salaire sur chaque film. Du coup, au lieu d’avoir un appartement, ils en ont vite trois ou quatre. Et, quelque part, je comprends ça: peut-être que moi aussi, si j’en avais cinq, je ferais un film de commande pour pouvoir en acheter un sixième.

Pourquoi pas, finalement?

Mais je ne peux pas! Je ne vais pas me contraindre à faire un film qui ne me fait pas envie. Je lis souvent des interviews de réalisateurs qui disent combien c’est angoissant de tourner un film. Mais l’angoisse, elle n’est là que quand vous faites des films que vous n’avez pas envie de faire. Sinon, c’est au contraire un plaisir immense, immense, immense.

Et les rétrospectives comme celle que vous consacre la Cinematek, ou cette invitation du Brussels Film Festival, ça reste aussi un plaisir?

C’est un plaisir plus grand encore quand entre les rétrospectives, il y a des tournages. Quand, par contre, elles s’enchaînent sans cette perspective, c’est plus difficile, au point que je me demande même si j’en ferai encore. Évidemment, c’est très agréable de savoir que des films tournés il y a 30 ou 40 ans sont encore vus. Mais moi, ce qui me fait vibrer, c’est de tourner. La nuit, quand je rêve, neuf fois sur dix, c’est d’un plateau de tournage. Heureusement que j’ai encore ça, les tournages de nuit (il rit)!

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