Pierre De Maere: "J’ai toujours aimé vendre du rêve" (interview)
Bruxellois qui a grandi à Walhain, Pierre De Maere a sorti son 1er EP vendredi. "Un jour je" mélange flamboyance chic et romantisme.
Publié le 27-01-2022 à 08h00
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Jusqu’ici connue pour être le centre géographique de la Belgique, la commune de Walhain risque d’être bientôt plus renommée – en tout cas chez la jeune génération – pour être la commune de résidence d’un jeune chanteur occupé à faire son trou en France. Pierre de Maere, 20 ans, vient de sortir vendredi dernier son 1er EP, signé sur le label français Cinq7 (Philippe Katerine, Saez, Dominique A…). Les commentaires sont dithyrambiques, les médias français en font déjà leur "nouvelle sensation belge". Pas de quoi effrayer le jeune homme à la gueule d’ange et au look étudié, qui a toujours rêvé d’être une star.
Pierre, votre intérêt pour la musique a commencé vers l’âge de 10 ans…
Oui, j’ai eu un iPod dans les mains sur lequel il y avait le logiciel Garage Band. C’est assez intuitif et j’ai donc commencé à faire des morceaux très naïvement. Et directement j’ai chanté, d’abord dans un yaourt pseudo-anglais jusqu’à l’âge de 14 ans. où c’est devenu de l’anglais. Je postais ça sur Google + et j’avais dix retours de mes amis qui me faisaient fort plaisir. Ensuite je me suis intéressé à l’image et donc j’ai fait une pause dans la musique jusqu’à l’âge de 18 ans. Puis je suis tombé amoureux et j’ai trouvé que la musique, c’était beaucoup plus séducteur et j’ai retrouvé la fougue de la compo. J’ai écrit Judas en anglais, et cela a fait 20 000 ou 30 000 vues sur YouTube. Cela m’a motivé à continuer, mais en français.
Pourquoi?
Sans doute parce que certains m’ont dit que mon anglais était piteux (sourire). Et je ne sais pas comment l’expliquer, mais chanter en français, pour moi, c’était ringard, jusqu’au moment ou Stromae est arrivé. Il a renouvelé le truc avec son album Racine carrée. Cela m’a décomplexé. J’ai écrit Potins absurdes et c’est ce morceau-là qui m’a permis de signer chez Cinq7.
The Voice ne se concentre que sur la prestation vocale et je ne me suis jamais senti légitime pour faire ça.
On sait que les casteurs sont très attentifs à ce qui se passe sur les réseaux, les plateformes… Vous n’avez jamais été contacté pour faire The Voice?
Non. Et je n’ai jamais eu l’idée de le faire car je n’estime pas du tout être un vocaliste. Mon projet a son intérêt dans sa globalité: mon personnage, l’image et la musique. The Voice ne se concentre que sur la prestation vocale et je ne me suis jamais senti légitime pour faire ça. D’ailleurs je prends actuellement des cours de chant, et il reste du boulot (sourire). C’est comme pour la musique, je suis complètement autodidacte et j’ai été longtemps complexé par la simplicité de mes morceaux. Mais le fait que Wagram/Cinq7 m’approche a fait disparaître ce syndrome de l’imposteur.
Comment percevez-vous l’engouement qu’il y a autour de votre projet musical?
J’ai plus l’impression que c’est médiatique que vraiment au sein du public. Pour moi, le jour où il y aura un réel engouement, c’est quand on me reconnaîtra dans la rue, ce qui n’est pas encore le cas. Et quand cela arrive, je ne sais pas trop comment réagir… Maintenant, que les médias s’intéressent à moi et à mon projet, c’est un honneur. Et tout ça me donne envie de me donner plus encore.
Vous cumulez déjà pas mal de vues et de streams avec vos titres…
C’est vrai que c’est très encourageant de voir qu’il y a 200 000 personnes qui ont écouté Un jour je marierai un ange (NDLR: 471 000 depuis l’interview, vidéo en tête d’article) en moins de deux mois, mais ce n’est pas avec ça que l’ont fait une carrière. Tant que l’on n’a pas les 10 millions de streams, je ne serai pas convaincu qu’on est bon…
J’ai essentiellement un public de daronnes et pas mal de gays et de marginaux
Vous prenez la peine de répondre aux commentaires sous vos vidéos…
Oui, c’est la partie que je préfère. Cela me prend deux heures par jour. J’adore chanter, écrire… mais les retours sur une sortie, il n’y a rien de plus beau. Cela permet de voir comment les morceaux touchent chacun personnellement. Quand j’écris un morceau, il me parle, mais je ne sais pas exactement exprimer en quoi. Je ne me pose pas 100 000 questions. Savoir ensuite que cela retentit chez une daronne de 45 piges – car j’ai essentiellement un public de daronnes et pas mal de gays et de marginaux -, c’est très cool. Et c’est pour ça que j’y réponds.
Comment se déroule le travail d’écriture?
Pour ce qui est de l’écriture, c’est moi à 100%. La compo, c’est moi aussi. Pour la production, je commence des maquettes que je finalise avec mon grand frère, qui a étudié le son à l’IAD. C’est lui qui m’a donné l’envie de faire de la musique. Il a d’abord fait de la prod de rap et cela m’a donné aussi envie de produire.
Dans un morceau comme « J’aime, j’aime », le plus dansant du disque, on ressent une grosse influence années 80…
Carrément. C’est un mélange de Goldman, Balavoine, tout ça… Ce sont des gens que ma mère m’a fait découvrir. J’ai mis du temps à lui accorder du crédit pour ses goûts musicaux, mais aujourd’hui j’écoute tout ce qu’elle me dit d’écouter. Pareil pour mon père.
J’essaye d’intégrer dans ma musique toute cette culture pop, toujours avec une production hypertravaillée, hyperclean.
Vous écoutiez quoi, vous?
Jusqu’à l’âge de 15 ans, j’écoutais Fun, NRJ… De la pop très radio, des DJ… Ensuite je me suis ouvert au classique, comme la chanson française ou le rock des années 70 (Pink Floyd, Supertramp, Genesis…). Ensuite mon frère m’a fait découvrir des groupes comme Kraftwerk, L’Impératrice… Donc j’essaye d’intégrer dans ma musique toute cette culture pop, toujours avec une production hypertravaillée, hyperclean. Rien n’est laissé au hasard.
Il n’y a pas de vrais instruments…
Non, car à une époque, je n’en avais ni les moyens, ni les compétences. Mais je pense que je vais le faire. Lors de mes prestations live, il y a une claviériste et une batteuse. On va passer de plus en plus vers quelque chose d’humain. Cet EP est très «digital», mais cela me plaît.
Y a-t-il une différence entre le Pierre De Maere de la vie de tous les jours et celui qui prend le micro?
Celui qui est sur scène ou qui poste des stories sur Instagram, c’est moi mais dans sa version la plus flamboyante, celle que je fantasme de moi-même. C’est quelque chose qui est en moi depuis toujours, quand je donnais des concerts sur mon lit devant ma mère et ma sœur. J’ai toujours aimé vendre un peu du rêve, que ce soit au travers de mes tenues ou d’une gestuelle qui sort du lot. Mais ce n’est pas étudié, cela vient naturellement.
Cet EP comme l’album qui arrivera plus tard sont basés sur la rêverie, le fantasme, l’illusion… Rien n’est du vécu, c’est plutôt du «à vivre».
L’EP s’intitule «Un jour je». C’est une phrase que l’on peut compléter par quelque chose tous les jours…
Oui, cela a été pensé pour ça… Cet EP comme l’album qui arrivera plus tard sont basés sur la rêverie, le fantasme, l’illusion… Rien n’est du vécu, c’est plutôt du «à vivre». Un jour je serai une superstar, un jour je marierai un ange, un jour je serai très heureux… On met ce qu’on veut. Aujourd’hui, ce que je me souhaite, c’est un épanouissement autour de la musique mais aussi amoureusement. Mais je suis déjà plutôt heureux.
Le clip de «Un jour je marierai un ange» a été tourné par Eddie Blanchard, la fille de Philippe Katerine…
J’avais déjà travaillé avec elle sur le clip de «Regrets», quand je venais à peine de signer chez Cinq7. C’est eux qui me l’ont suggérée, car cela allait assez bien avec mon univers décalé. Il y a un côté surréaliste que j’aimerais bien développer. «Regrets», c’est elle qui a écrit le pitch. Pour «Un jour je marierai un ange», on l’a écrit à deux. On a voulu créer des tableaux marquants, pour que les gens en reparlent après. Je voulais cette union devant la croix, un truc très graphique; je voulais ce plan dans une salle de bains toute rose; Eddie a suggéré la neige dans le salon; je voulais un pyjama en satin… On a fait toutes les boutiques de Paris et cela nous a coûté 600€ chez Bon Marché, mais on a pu le rendre le lendemain…
Quels sont les clips qui vous ont marqué?
Il y en a plein. Lady Gaga en a fait plein à ses débuts. Celui de Telephone, notamment. C’est une suite de tableaux marquants. Chaque plan, on se souvient de ce qu’elle porte, des couleurs, du maquillage… Tous ceux qui l’ont vu l’ont retenu. Dans un autre style, j’aime beaucoup le clip de Marcia Baïla des Rita Mitsouko, pour l’esthétique qui en émane.
«Lolita» qui suit sur l’EP, c’est vraiment un morceau inspiré par votre chat?
Mes textes sont souvent un peu flous et c’est ça que j’aime bien. Lolita, on pourrait croire à une idylle amoureuse avec beaucoup de promesses dans le vent, mais en vrai, c’est inspiré par mon chat. Il est assez grincheux et notre relation est à sens unique: je l’adore mais elle me rend très peu cet amour.
Sur «Menteur», vous dites «Des fois je triche un peu»…
C’est un morceau qui n’est pas autobiographique. Il a été inspiré par un membre de ma famille lointaine. Ce qui est beau, c’est que la figure maternelle est toujours là pour le réconforter. Ma mère a eu beaucoup de compliments d’amis qui lui disaient que ce morceau était très touchant pour elle, mais ce n’était pas pour elle (rires). Mais je l’adore.
«J’aime j’aime», on en a déjà un peu parlé, c’est le morceau le plus flamboyant…
Je prends le rôle d’une personne en position de domination. On peut le voir comme un proxénète ou comme un patron de label un peu véreux qui parle à quelqu’un sur lequel il a l’ascendant. J’ai bien aimé endosser le rôle de quelqu’un de mauvais, de malsain… Dans le clip qui devrait arriver bientôt, je serai dans la position de la victime.
Enfin, le mini-disque se termine par «Regrets», morceau inspiré par une nouvelle de Maupassant lue en rhéto.
Oui et dans mes souvenirs, c’était l’histoire d’un jeune homme qui aimait éperdument une fille qui avait quelqu’un dans sa vie mais qui aimait aussi ce jeune homme en secret. Mais elle ne lui a jamais dit, et lui n’a jamais osé faire le premier pas. Dans la nouvelle, il lui avoue son amour quand il a 80 ans et elle lui répond «Tu as gâché notre vie à tous les deux». Je me suis donc mis dans la peau de ce jeune homme qui n’ose pas affirmer son amour. Mais moi dans la vie de tous les jours, je ne laisse aucune place aux regrets. Si je tombe amoureux, je le dis, même si je me prends un bide.
L’ennui peut parfois mener à être créatif et je crois que cela a été le cas entre 8 et 20 ans, car à Walhain, on ne sort pas beaucoup…
L’inspiration pour écrire, elle vous vient facilement?
Pas toujours. Là, il y a eu six mois de confinement chez moi à Walhain où cela a été difficile. L’ennui peut parfois mener à être créatif et je crois que cela a été le cas entre 8 et 20 ans, car à Walhain, on ne sort pas beaucoup…
Il y a le foot…
J’y ai joué pendant 3-4 ans. Mon père avait de grands espoirs, mais ils étaient démesurés. Il a vite compris que ce serait la musique. Et aujourd’hui, il est à fond derrière, il regarde le nombre de streams plus que personne. Il connaît mieux que moi les chiffres. Dès qu’un article paraît, il le sait avant moi.
Il y a un concert prévu à La Cigale à Paris le 13 mai…
Et il y aura d’autres dates avant, car il me faut de l’entraînement. Je n’ai aucune expérience à part un concert à Villers-la-Ville l’an dernier. C’est un peu affolant, mais on répète beaucoup. Et puis mon grand stress, c’est qu’il faut que j’ai au moins quinze morceaux, alors que je n’en ai pas dix, donc il y a encore du boulot.
Dans cinq ans, vous vous voyez où?
Au repos! (rires) Le premier album sera paru et si j’en suis fier, j’ai réussi ma vie, quoi qu’il arrive après. Si en plus j’ai sorti un deuxième album, j’ai fait de belles collaborations, j’ai fait des concerts remplis, je ne vis pas seul et j’ai acheté un bel appartement à Paris… je pourrais déjà être assez content de ma vie. Et dans dix ans, j’aurai des enfants.