«Ceux de Clabecq», l’improbable film sur la faillite des Forges
Le film documentaire de Marine Rainjonneau a été sélectionné dans un festival tunisien et projeté de l’autre côté de la Méditerranée.
Publié le 21-08-2022 à 09h08 - Mis à jour le 21-08-2022 à 09h09
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Complètement improbable: une Toulousaine qui réalise son premier film à propos des ouvriers des forges de Clabecq et notamment des grèves de 96 et 97, alors qu’elle n’avait que 2 à 3 ans au moment des faits. Et pourtant, le film de 45 minutes est bien sorti en janvier 2021. Avec une sélection l’hiver dernier au festival Mon Premier Film Documentaire en Tunisie et cet été au festival Coupe Circuit, à Bruxelles, spécialisé dans les réalités sociales.
Avec ce sujet tubizien, la Française est en effet en plein dans la thématique."C’est totalement par hasard que j’ai appris ce qui s’était passé à Clabecq,concède Marine Rainjonneau.J’ai rencontré Ricardo, issu d’une famille ouvrière. Il m’a parlé de son grand-père et du rapport qu’il entretenait avec les forges, c’est la mémoire de tout ce travail. Ricardo a travaillé dans le laminoir, qui est encore en activité. Il a 25 ans et bossait là en intérim, mais dans des conditions totalement différentes de son grand-père. C’était éclairant de comparer l’ancien monde, où tout tournait autour de l’usine: les grands-parents vivaient dans une maison qui appartenait aux forges, par exemple. Et puis il y a eu les grèves de 96 et 97 qui m’ont beaucoup intéressée. Car ces luttes ouvrières sont très rarement racontées. La mémoire des luttes n’existe pas."
Ce film est composé de témoignages des ouvriers qui ont participé aux grèves et qui ont été licenciés à la fermeture des hauts fourneaux. "C’est toute cette perte d’identité liée à la fermeture de l’usine qui m’a intéressée."
Le tournage s’est déroulé en partie à Clabecq, dans un décor tout de même bien différent de celui de l’époque."Les forges ont été détruites, il ne restait que très peu de bâtiments et certains ont disparu depuis mon passage. J’ai eu la chance de rencontrer un ingénieur de Duferco, en train de dépolluer le sol. Il m’a accompagnée pour faire une visite de la dépollution des terres. Là, j’ai tourné quelques images, qu’on peut voir dans le film, comme le vieil entrepôt, avec beaucoup de terres au sol. Je me suis baladée autour du site. J’ai aussi rencontré les grévistes de NLMK en 2019, j’ai pu faire un parallèle avec les gens qui perdaient à nouveau leur emploi. Même si la donne est quand même très différente: en 97, 2000 personnes ont été licenciées, alors qu’il y en avait 300 en 2018. Ils sont quand même hantés par le spectre des forges…"
Tout ce travail, Marine Rainjonneau l’a réalisé dans le cadre de son master, dans une école d’arts à Bruxelles. Avec une touche personnelle."Je ne suis pas journaliste ou sociologue. Le documentaire raconte ces faits de manière subjective, alors que le journaliste et la sociologie se veulent neutres. J’ai choisi de n’interroger que les anciens ouvriers, sans prendre le point de vue des patrons ou anciens cadres. Je dirais que c’est plus engagé, d’une certaine manière", ajoute la Française de 28 ans.
La sélection de "Ceux de Clabecq" dans deux festivals apporte une certaine reconnaissance du travail accompli."Je suis aussi très contente que cette histoire voyage, car l’un des festivals se déroulait en Tunisie. Il a été projeté là-bas. J’en ai parlé à Ricardo, il était très fier de voir sur sa voix ait été portée là-bas."
Un autre film, sur les salaires impayés
Très bien documentée sur l’histoire des Forges, la réalisatrice ne s’arrête pas à ce premier film documentaire. Un deuxième devrait voir le jour, une sorte de suite."“Ceux de Clabecq” m’a permis de rencontrer beaucoup d’anciens délégués syndicaux, qui avaient organisé la lutte contre la fermeture des forges. On se voit encore chaque semaine et on s’organise autour des indemnités qui n’ont jamais été perçues par les travailleurs. 40% des indemnités ont été données, mais il manque encore plus de la moitié. Ce sera l’objet du prochain film, qui sera nettement plus centré sur la lutte. Il sera tourné avec les anciens délégués syndicaux", précise Marine Rainjonneau.
Ce sujet sera également abordé lors de la projection de "Ceux de Clabecq", le 23 octobre au centre culturel de Tubize."Les anciens de la délégation seront présents et prendront d’ailleurs la parole à cette occasion".