Absentéisme et «personnel en souffrance» à Tubize: le directeur général se défend
Gros malaise au sein du personnel communal de Tubize. Le directeur général est pointé du doigt. « Ces critiques sont fausses », répond-il.
Publié le 30-06-2022 à 06h47
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"N’ ê tes-vous pas interpellés par le nombre de malades, le nombre de démissions, le turnover important au niveau du personnel, les résultats catastrophiques des différentes analyses des risques psychosociaux au travail? Pensez-vous que le management est encore en adéquation avec la bonne gestion humaine du personnel de l’administration au vu des très nombreux problèmes rencontrés?"Ces deux questions ont été posées un jour, lors d’un conseil communal à Tubize, en séance publique, par un conseiller de la majorité, en direction du bourgmestre et du directeur général.
Depuis plusieurs mois, le sort du personnel communal inquiète tout le monde. Même si la situation n’est pas neuve. En 2017, des analyses de risques psychosociaux au travail ont été réalisées. Il s’agissait d’évaluer les conditions de travail du personnel et de prévenir le harcèlement moral, le burn-out, voire le suicide. "Inutile de dire que j’avais été particulièrement ébranlé, en tant que syndicaliste, d’apprendre qu’actuellement des agents sont confrontés à des risques psychosociaux au travail. Je n’ai pas l’intention, Monsieur le directeur général, de laisser cette situation sans suite" , avait commenté un conseiller. D’après d’autres déclarations formulées en séance, "le personnel était en souffrance" .
En mars de cette année, le directeur général affirmait que l’analyse des risques et le plan d’actions n’avaient pas encore été présentés au personnel. "On ne l’a pas encore fait, tout simplement parce que pendant deux ans, nous avons été dans l’impossibilité de nous réunir." Il reconnaissait le problème rencontré. "Il y a effectivement du personnel en souffrance. C’est une réalité et on y fait fort attention. S’il y a du personnel détecté en souffrance, on demande tout de suite une intervention du conseiller en prévention externe ou de notre conseiller interne, voire des personnes de confiance qui sont en première ligne pour rencontrer tout de suite le personnel."
De quoi se plaignent les membres de l’administration? Une charge de travail trop importante? Trop peu de moyens? Des infrastructures en mauvais état? Non. "La communication, l’organisation du travail et le style de management sont les trois points d’attention qui découlaient des différentes analyses de risque."
Le débat sur le sujet s’était poursuivi, au mois de mai, à huis clos, empêchant le public d’obtenir des détails supplémentaires.
Dernièrement, c’est la cheffe du service interne de prévention et protection au travail qui a démissionné. D’après nos informations, la raison était le stress et la pression trop importante des missions. Un an plus tôt, "l’affaire Picalausa" avait éclaté. Dans ce dossier, l’indicateur-expert, qui avait détecté les manquements, avait été licencié suite à un rapport rédigé par le directeur général. Une décision que le tribunal du travail du Brabant wallon avait jugé abusive. Auparavant encore, un directeur financier est parti un an après son engagement.Parties aussi l’ancienne directrice générale faisant fonction et la responsable du service urbanisme… Des postes clefs. Dans certains cas, des départs volontaires, dans d’autres des licenciements.
L’absentéisme s’accroît
Un malaise très profond s’est installé depuis plusieurs années. Et ça ne s’arrange pas. "Le taux d’absentéisme moyen à la Ville de Tubize est en augmentation constante depuis 2018: 11,9% cette année-là, 14,34% en 2019 (hors Covid), 16,64% en 2020."
À titre de comparaison, le taux d’absentéisme était en 2019 de 6,57% au niveau des fonctionnaires fédéraux. Au CPAS, le taux était de 2,7% en 2017, 3,2% en 2018 et 2,17% en 2019.
Selon tous les éléments recueillis au cours des derniers conseils communaux, c’est apparemment le management qui est à l’origine de ce malaise. Et tout le monde est au courant, mais rien ne bouge.
Dans une commune, les ressources humaines sont gérées de manière apolitique. Tout en haut de la pyramide se trouve le directeur général (et non le bourgmestre). Et il est en plus "indéboulonnable". En tout cas dans la situation actuelle. Il fait partie des "grades légaux". Des hauts fonctionnaires, apolitiques. Pas si simple donc de s’en séparer. Selon l’Union des Villes et Communes de Wallonie, "après deux évaluations défavorables successives définitivement attribuées, le conseil est admis à procéder au licenciement pour inaptitude professionnelle" .
D’après un décret de 2013, ces grades légaux doivent être évalués. "Aucune évaluation des grades légaux n’a été réalisée à ce jour. Pourquoi rien n’a-t-il été fait depuis 2015?" , demandait un conseiller en avril dernier. Et d’ajouter: "À la suite de certains dossiers récents, n’aurait-il pas été opportun de réaliser des entretiens de fonctionnement?"
Plutôt étonnante cette absence de contrôle, vu la "souffrance du personnel" évoquée ou encore le détournement de fonds de l’ancien directeur financier, en 2018. Des éléments qui auraient dû inciter les autorités à procéder à davantage de rigueur.
"Au CPAS, la directrice générale est évaluée , était intervenu Frédéric Jadin, le président du CPAS, pourtant du même groupe politique que le bourgmestre. Je regrette qu’on ait besoin d’un avocat pour planifier une telle évaluation. N’importe qui est évalué normalement, alors qu’on voit que les gens qui dirigent l’administration ne le sont pas à Tubize."
Le bourgmestre, Michel Januth, avait répondu que la procédure ne cessait d’évoluer et que le collège communal avait pris conseil auprès d’un bureau d’avocats pour organiser la procédure. "Sur les dix dernières années, seuls deux directeurs généraux ont été évalués en Wallonie. Les procédures changent constamment et les critères sont directement obsolètes. Le ministre a affirmé qu’aucun changement n’était prévu prochainement, nous allons donc organiser cette évaluation."
Les élus, eux aussi, sont gênés par le directeur général. D’après nos informations, il interprète et applique certaines décisions dans le sens qui l’arrange. Qualifié de "conservateur" , Il repousse également certaines mesures, estimant que ça prendrait trop de temps pour son administration, et empêche du coup une modernisation ou des avancées.
«Ces critiques ne sont pas nouvelles et sont fausses»
Contacté par nos soins, il réagit. "Ces critiques ne sont pas nouvelles et sont fausses. Il n’y a aucune raison de penser que la manière dont je gère le personnel est la cause des départs. Ce sont des personnes qui ont des difficultés relationnelles avec moi, des mandataires, qui l’affirment. Je n’ai par contre pas de difficultés relationnelles avec le personnel."
Dans l’analyse des risques psychosociaux, le management est pointé du doigt. "Mais cette analyse n’établit aucun problème managérial dans mon chef." Ce serait, selon lui, les responsables de certains services qui seraient pointés du doigt, mais pas lui. "Et concernant l’absentéisme, c’est comme ça dans beaucoup de communes. Le CPAS de Tubize? Monsieur Jadin évoque 2% pour 2019, ce chiffre n’est, pour moi, pas correct. Et en 2021, ce taux est de 14%, proche de celui de la Commune. Il n’y a pas de différence particulière."
L’intéressé estime qu’il est visé par certains mandataires de Tubize. "C’est un procès d’intention qu’on me fait, qui n’est basé sur aucun fait. Certains mandataires m’en veulent, un nombre limité. Et les choses sont en train de se régler à l’administration, suite à des difficultés organisationnelles."
Sur la décision judiciaire à l’encontre de l’ancien indicateur-expert, "le tribunal n’a pas mis en cause ma responsabilité. Il a été licencié par la Ville de Tubize, suite à un rapport de ma part. L’autorité a pris en compte tous les éléments objectifs présentés. Et le jugement a été défavorable à la Ville." Enfin, le directeur général "ne demande pas mieux qu’à être évalué. Évidemment, ça doit se faire correctement, de manière bienveillante" .
Januth: «Si le DG avait commis une faute grave, il aurait été licencié»
Pour Michel Januth, bourgmestre, "on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de problème. Mais, moi, quand j’ai quelque chose à dire au directeur général, je lui dis. Forcément, certains membres de l’administration ont des soucis et il peut y avoir un mal-être avec certaines personnes et ça retombe in fine sur le directeur général, en tant que responsable. Même s’il n’est pas la cause du problème. On peut lui reprocher la manière de “manager” et d’appréhender les choses, chacun a sa manière de faire. Pour certains employés, il y a un malaise, pour d’autres pas. On ne peut pas s’entendre avec tout le monde. Et, évaluation ou pas, si le DG avait commis une faute grave, il aurait été licencié".