Festival Go Future à Louvain-la-Neuve : "Travailler avec des explorateurs qui n’ont pas de limites : c’est une bouffée d’oxygène"
Sophie Opfergelt, chercheuse de l’UCLouvain, étudie des échantillons ramenés du Groenland par deux explorateurs belges qui ont mené une expédition inédite l’an dernier.
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Publié le 03-03-2023 à 14h46 - Mis à jour le 03-03-2023 à 14h59
Une telle expédition n’avait jamais été tentée auparavant. En avril 2022, Gilles Denis et Nathan Goffart, deux Bruxellois, sont partis au Groenland pour réaliser un triathlon des glaces au service de la recherche sur le climat.
Pendant six mois, en autonomie, les deux aventuriers ont traversé l’inlandsis en ski-pulka sur 450 kilomètres le long du cercle polaire arctique. Ils ont ensuite réalisé une descente de plus de 400 kilomètres en kayak de mer le long de la côte Est de la «Terre verte», face aux fronts glaciaires et parmi la banquise. Enfin, ils ont réalisé une ascension verticale de 600 mètres pour ouvrir une nouvelle voie d’escalade.
Mais au-delà de l’aspect sportif, les deux explorateurs ont prélevé des échantillons de neige et d’eau et effectué diverses mesures et observations au profit de chercheurs belges et danois.
C’est cette aventure que raconte La Traversée, l’histoire de l’expédition Nanok (ours polaire en langage inuit). Ce documentaire sera projeté au Cinéscope, le mardi 7 mars, à 19 h 45, à Louvain-la-Neuve, à l’occasion de Go Future, le festival sur la transition organisé par l’UCLouvain et l’ASBL Eau et Climat.
Dans ce documentaire, on peut voir Sophie Opfergelt, professeure au Earth and Life Institute de l’UCLouvain et chercheuse FNRS (médaillon) pour qui les deux aventuriers ont récolté des échantillons d’eau des fjords, 26 au total dans 3 fjords.

«Aller au plus près des glaciers»
«Ce qui est intéressant avec cette expédition, c’est qu’avec leur kayak, ils ont pu aller au plus près des glaciers pour prendre des échantillons, nous explique Sophie Opfergelt, qui étudie la région arctique. Le but était de prendre des échantillons d’eau et de les filtrer afin, maintenant, d’étudier les poussières de roche broyée et apportée par les glaciers qui y sont présents et leur concentration. Avec les images satellites, on voit très bien que ces poussières forment comme un voile près des glaciers qui devient de plus en plus diffus à mesure qu’on s’en éloigne. Avec cette expédition, on a pu avoir des échantillons précieux et uniques. C’était une aubaine pour nous, chercheurs, car ce sont des conditions extrêmement difficiles d’échantillonnage.»
Étudier les effets indirects du réchauffement climatique
Et la scientifique de poursuivre: «Ces poussières libèrent dans l’eau des éléments, comme le phosphore, par exemple, qui peut provoquer le développement d’algues. La question est de savoir jusqu’à quelle distance du glacier on constate cet apport d’éléments nutritifs et de voir si celui-ci est instantané ou présent sur le long terme.»
La recherche entre pleinement dans le cadre de l’étude du réchauffement climatique. «On étudie souvent les effets directs liés aux changements climatiques, comme la fonte des glaces, mais on mesure plus rarement les effets indirects, comme la présence de ces poussières dans l’eau, pouvant pourtant avoir des conséquences à long terme sur les écosystèmes.»
Et c’est d’autant plus important que le retrait des glaciers s’accélère. Il serait d’ailleurs intéressant et précieux de refaire des échantillons, souligne la chercheuse, pour comprendre l’accélération de la perte de glace et ses effets.
Sophie Opfergelt ajoute encore que ces poussières vont parfois aussi se redéposer sur la calotte glaciaire. Les deux aventuriers ont d’ailleurs pris des échantillons de neige, pour l’ULB cette fois, pour que les chercheurs puissent étudier l’impact de ces dépôts de poussières sur la croissance d’algues qui noircissent la surface de la calotte glaciaire. «Ces taches ont pour conséquence que les rayons du soleil sont moins renvoyés et donc la glace fond de manière accélérée.»
«Leur démarche scientifique était poussée»
La chercheuse de l’UCLouvain avait entendu parler de l’expédition via Bruno Bertrand, de l’Observatoire royal de Belgique et professeur invité de l’université. «L’expédition allait partir, mais j’ai tout de même demandé s’il était encore possible de ramener des échantillons, se souvient-elle. Une fois qu’ils étaient sur place, on a été en contact par internet pour définir où aller car ils ont dû adapter leur trajet, n’ayant pas obtenu les autorisations des autorités locales pour aller là où ils voulaient. Et puis, c’était fascinant de voir la manière dont ils travaillaient. Leur démarche scientifique était poussée. Ils n’ont pas seulement pris des échantillons, ils voulaient aussi comprendre ce qu’ils faisaient et à quoi ça allait servir. Ils ont notamment dû filtrer l’eau, ce qui n’est pas facile, car il ne faut pas contaminer les échantillons. On leur avait donc envoyé une vidéo de nous réalisant l’opération en laboratoire et ils ont su la refaire de manière fidèle. Au final, pour les chercheurs, c’est une bouffée d’oxygène que de pouvoir travailler avec des explorateurs qui n’ont pas de limites. Cela donne des étoiles dans les yeux, cela ouvre le champ des possibles et cela permet d’aller plus loin que ce qu’on aurait pu imaginer.»
Quentin COLETTE
«Immanquablement, on se met à aimer très fort ces vastes étendues glacées»

En 2022, avec Nathan Goffart, Gilles Denis est parti six mois au Groenland pour réaliser l’expédition Nanok, un triathlon des glaces (ski-pulka, kayak de mer et escalade). «À la base, il ne faut pas le cacher, la démarche est égoïste. C’est un défi personnel qu’on se lance, raconte Gilles Denis, qui a eu, en 2016, l’idée de cette expédition. Mais tant pour Nathan que moi, il nous semblait aussi important d’intégrer une dimension d’intérêt public à notre expédition.»
Les deux explorateurs se sont donc aussi mis au service de la science. «Les mesures, les observations et les échantillons qu’on a pris pour l’Observatoire royal de Belgique, l’UCLouvain, l’ULB, l’ULg et le Geological Survey of Denmark and Greenland permettent à leurs chercheurs de mener des études sur le climat. C’est chouette de savoir que des thèses de doctorat sont menées grâce à ce qu’on a ramené du Groenland, explique celui qui est diplômé de l’UCLouvain en physique avec une spécialisation en physique de la terre et du climat. C’était donc aussi une façon de boucler la boucle et de revenir à mes premiers amours, les sciences et la physique.»
La dimension scientifique de leur périple permet aussi aux deux aventuriers de participer à leur manière à la protection de l’environnement et des régions arctiques en particulier. «Quand on passe du temps dans ces vastes étendues glacées, immanquablement, on se met à les aimer très fort, à les respecter et à prendre part à leur protection.»
Cela sans oublier la partie vulgarisation scientifique et conscientisation du grand public qui passe notamment par la projection de La Traversée, l’histoire de l’expédition Nanok.
Gilles Denis et Nathan Goffart seront d’ailleurs présents ce mardi 7 mars au Cinéscope où le documentaire est diffusé dans le cadre du festival Go Future.
Go Future, un festival "pour prendre conscience et reprendre confiance"
Le festival du film sur la transition Go Future, organisé par l’UCLouvain et l’ASBL Eau et Climat, se tiendra du lundi 6 au mercredi 8 mars, au Cinéscope, à Louvain-la-Neuve.
"Avec nos partenaires, dont Scienceinfuse notamment, nous choisissons des films qui ont d’indéniables qualités esthétiques et qui portent en outre un propos intéressant, explique Frédéric Blondeau, responsable d’UCLouvain Culture. Nous cherchons aussi à ce qu’il y ait des liens possibles avec les chercheurs et scientifiques de l’université pour éclairer les thématiques abordées dans les documentaires. Et inversement, cela permet aussi de donner un coup de projecteur sur leurs recherches."
Avec ce festival, l’université souhaite sensibiliser le grand public aux thématiques liées à la transition et questionner notre modèle de société. "Cet événement culturel nous permet aussi de montrer le travail qui est mené au sein des universités pour trouver des réponses aux défis pointés dans les documentaires, continue Frédéric Blondeau. Le slogan du festival, c’est : “pour prendre conscience mais aussi reprendre confiance”. Go Future se veut un festival orienté vers les solutions pour aller au-delà du constat catastrophique de la situation de la planète. Certes, la situation n’est pas brillante mais des gens, dont les scientifiques, tentent de trouver des solutions."
Le festival débute le 6 mars à 19 h 30 avec Into the Ice. Ce documentaire parle de trois scientifiques qui partent explorer les glaciers du Groenland. "C’est très beau et spectaculaire."
Le 7 mars à 17 h, Pleistocene Park raconte le projet d’un scientifique russe et de son fils de rassembler des grands herbivores des steppes polaires dans un coin reculé de Sibérie afin d’y préserver le permafrost.
À 19 h 45, suivra la projection de La Traversée qui revient sur l’expédition sportive et scientifique de deux Belges au Groenland.
Le 8 mars à 19 h 30, place à Sœurs de combat, soit un portrait de jeunes militantes engagées face à l’urgence climatique. "On met les femmes à l’honneur en ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes."
Les projections sont précédées d’une présentation ou suivies d’un débat.
L’entrée est gratuite mais l’inscription obligatoire : www.gofuture.be.