"Jamais, je n’avais pensé qu’à 18 ans je devrais fuir mon pays à cause de la guerre", témoigne une étudiante ukrainienne de l’UCLouvain
Le 24 février 2022, la Russie envahissait l’Ukraine. Un an après et toute cette semaine, nous allons à la rencontre des Ukrainiens qui ont trouvé refuge en Brabant wallon mais aussi de leurs hébergeurs et de responsables de CPAS qui ont été en première ligne pour leur accueil. Nous débutons ce lundi avec le témoignage d’Alina Shkoryna, étudiante ukrainienne de l’UCLouvain.
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Publié le 20-02-2023 à 06h01 - Mis à jour le 20-02-2023 à 12h04
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Il y a un an, le 24 février 2022, la Russie envahissait l’Ukraine. "Envahissait mon pays à grande échelle, précise Alina Shkoryna, une étudiante ukrainienne de l’UCLouvain qui a fui la guerre. Car en réalité, tout a débuté en 2014 avec l’annexion de la Crimée."
La jeune femme, qui a maintenant 19 ans, témoigne de son parcours, elle qui a trouvé refuge dans le Brabant wallon. "Je suis de Kiev, la capitale. J’habitais seule, je travaillais dans une agence de marketing tout en suivant des études en technologies sociales à l’université."
Mais le jeudi 24 février 2022, tout a basculé avec l’agression militaire russe. "J’étais chez moi et ma mère m’a appelé me disant que la guerre avait débuté, se souvient-elle dans un excellent français dont elle a débuté l’apprentissage à l’école. On se demande ce qu’il va se passer, ce qu’il faut faire. Il y avait de la peur, tout était confus. À l’agence de marketing, ils ont dit de rester chez nous et de se mettre en sécurité. J’ai suivi un cours en ligne à l’université. Il y avait peu d’étudiants et personne n’avait réellement la motivation pour étudier. La professeure a tenté de nous rassurer et nous a dit de prendre soin de nous."
Ce jour-là, son copain est arrivé chez elle. Le lendemain, Alina Shkoryna a déménagé chez sa maman, à l’autre bout de la ville. Sa grand-mère est arrivée aussi. "C’était bien de rester avec quelqu’un, même si l’appartement était petit et qu’y habiter à quatre n’était pas toujours évident."
"La question “comment vas-tu ? a pris un nouveau sens"
Alina Shkoryna s’est mise à distribuer de la nourriture pour les personnes âgées. "Tous mes amis sont devenus bénévoles. Les Ukrainiens se sont mobilisés, la solidarité s’est mise en place. La question “comment tu vas ?” a aussi pris un sens nouveau. Ce n’était plus une question lancée juste comme ça."
Une amie à elle a quitté l’Ukraine pour la Belgique où elle a été accueillie par un Américain. "Elle m’a appelé et elle m’a demandé pourquoi je restais. Elle a aussi appelé ma maman. La question de rester ou partir s’est alors posée. Pour ma grand-mère aussi. Mais elle n’a pas voulu, pour ne pas dépendre de moi."
Un périple de cinq jours pour arriver en Belgique
Le 13 mars, Alina Shkoryna est partie de son pays. Un périple de cinq jours débutait pour elle. "Ma destination était la Belgique. Le reste, ce fut de l’improvisation. Je suis allée à Lviv, près de la Pologne avec des collègues à ma mère. Puis j’ai trouvé un bus pour la Pologne. Un ami a demandé sur Instagram si quelqu’un pouvait me recevoir. Un Biélorusse qui avait fui son pays après les manifestations de 2020 m’a accueilli. Nous sommes d’ailleurs toujours en contact et il est même venu il y a quelques jours en Belgique. Ce fut une belle rencontre. Ensuite ce fut Berlin en prenant des trains et le bus. Un ami qui étudie là-bas m’a logée. Et finalement, je suis arrivée en Belgique, le 18 mars, chez ce monsieur américain qui a un logement à Chaumont-Gistoux. Au final, je suis ici grâce à toutes ces personnes qui m’ont aidée. Les relations humaines, il n’y a rien de plus essentiel."
À Chaumont-Gistoux, elle a eu pour voisin un professeur d’une haute école. Il lui a demandé ce qu’elle comptait faire. Ensemble, ils sont allés à Louvain-la-Neuve où elle a rencontré Louise Frère, la coordinatrice du programme Access2University de l’UCLouvain.
Ce programme, créé en 2017, permet aux personnes réfugiées ou demandeuses d’asile qui ont dû interrompre leurs activités universitaires de reprendre des études à l’UCLouvain, explique l’université.
"Ma famille belge"
En mars 2022, une session spéciale Ukraine a été mise sur pied. Trente-et-une personnes y ont participé. Alina Shkoryna a ainsi pu suivre des cours de français, d’anglais et d’anthropologie.
En septembre dernier, elle a débuté un bachelier en sciences philosophiques, politiques et économiques tout en suivant son cursus ukrainien à distance.
Depuis juillet dernier, elle habite chez un couple de retraités à Ottignies qui lui a été renseigné par l’université. "C’est devenu ma famille belge."
Comment vit-elle la guerre qui frappe son pays ? "Il y a des hauts et des bas. Je suis toujours en contact avec ma mère et des amis même si les liens se distendent avec ces derniers et cela me fait mal de le réaliser. J’ai parfois un sentiment de solitude. La langue, les gens, les habitudes ne sont pas les mêmes. Il faut du temps pour s’adapter. Mais je suis reconnaissante envers toutes les personnes extraordinaires que j’ai rencontrées."
"Pas une guerre entre deux états mais une guerre entre un régime autoritaire et une démocratie"
Après son bachelier, l’étudiante compte entamer un master, en Belgique ou ailleurs. Ensuite, "je veux retourner en Ukraine".
Alina Shkoryna l’assure, "l’Ukraine va gagner cette guerre. Il n’y a pas d’autre option. Comme l’a dit Oleksandra Matviichuk (NDLR: militante ukrainienne des droits humains, docteure honoris causa de l’UCLouvain 2023) , ce n’est pas une guerre entre deux états, mais une guerre entre un régime autoritaire et une démocratie. La Russie est un régime impérialiste dont le message est de dire qu’il est le plus fort. Et il a besoin de le prouver, encore et encore. Maintenant, c’est l’Ukraine, et après, ce sera au tour de qui ?"
"Les Ukrainiens ont le droit d’exister"
Et de continuer: "Mais on ne peut pas tuer une démocratie d’un claquement de doigts. Dès le début, les Ukrainiens se sont mobilisés. Des gens ordinaires ont fait et font des choses magnifiques. Pour ça, on ne peut pas perdre cette guerre. Je me demande parfois si le soutien de l’Europe et des autres pays à l’Ukraine suffira. Je ne veux toutefois pas que les gens se sentent forcés de nous aider mais qu’ils comprennent pourquoi il est important de le faire. Jamais, je n’avais pensé qu’à 18 ans, je devrais fuir mon pays à cause de la guerre. Mon université a été bombardée, j’ai peur pour ma famille, pour mes amis… Il ne faut pas être naïf, la démocratie et la paix ne sont jamais acquises. Il faut mettre l’humain en avant, c’est ça le plus important. Les Ukrainiens ont le droit d’exister, ils ont le droit de vivre. Je suis Ukrainienne et je le resterai toute ma vie. Mes enfants seront Ukrainiens et jamais je n’accepterai qu’on dise que je suis Russe."