Formes du salut, la nouvelle exposition du Musée L, à Louvain-la-Neuve
Formes du salut", nouvelle expo du Musée L explore le monde de la restauration et nous rappelle que les œuvres ont une vie.
Publié le 27-02-2022 à 15h23
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C'est rare. Le visage de cette Vierge en majesté présente toujours ses couleurs d'origine. Sculptée au 13e siècle dans du bois de saule, cette œuvre a un côté hypnotique, intrigant. Si elle peut sembler figée depuis huit siècles, elle a connu une vie mouvementée tout en gardant une part de mystères, comme nous le fait découvrir Formes du salut, la nouvelle exposition du Musée L, à Louvain-la-Neuve.
On connaît peu de chose des origines de cette œuvre venue d’Espagne et qui a fini en Belgique, dans la collection de sculptures de l’abbé Adolphe Mignot (1903-2001).
Ce religieux a notamment réuni 18 sculptures religieuses médiévales et renaissantes d’Espagne mais aussi des Pays-Bas, de France, d’Allemagne et du Hainaut. Il les a installées dans son appartement de Woluwe-Saint-Lambert avant de les transférer dans la chapelle Sainte-Anne de Val Duchesse où il est devenu prieur.
À sa mort, il les a léguées à la Donation royale et a stipulé qu'elles doivent rester dans la chapelle. Las, l'édifice, qui était visitable douze après-midi par an, est fermé. Dans ce lieu confiné, les insectes friands de bois les ont attaquées tandis que l'humidité les a rongées et que les moisissures sont apparues. "Je n'avais jamais vu ça", raconte Emmanuelle Mercier, conservatrice-restauratrice à l'IRPA.
Comment assurer leur salut?
Dès 2009, l’Institut royal du Patrimoine artistique s’inquiète pour ces œuvres.
Mais comme toujours, le nerf de la guerre, c’est l’argent. Toutefois le Fonds Baillet Latour était prêt à délier les cordons de la bourse, à condition que ces sculptures retrouvent la lumière. Mais le domaine royal n’est pas accessible au public...
Le neveu de l’abbé, Jean-Louis Mignot, propose que la collection soit mise en dépôt au Musée L auquel le religieux avait déjà confié ses vases antiques grecs. Une manière un peu détournée de respecter la volonté du défunt.
Mais au moins ce patrimoine est sauvegardé. Les sculptures sont restaurées à l’IRPA. Leur salut est assuré.
Pour tuer les insectes xylophages, elles ont subi un traitement par anoxie: elles ont été placées dans un milieu clos, une tente, duquel l’oxygène a petit à petit été supprimé.
Le bois a été consolidé avec des injections de résine. Leurs couleurs ont été refixées et les œuvres ont été nettoyées.
Elles ont aussi été radiographiées, ce qui a notamment permis de découvrir, pour la Vierge en majesté, qu’elle avait connu trois phases majeures de réfection. Le trône a été modifié, les mains aussi. Le drapé du manteau de la Vierge a été remanié. La couronne est plus récente. Enfin un socle imposant a été ajouté. Il a été retiré.
"C'est la seule "dérestauration" qu'on a faite car ce socle, beaucoup plus récent, gênait l'appréciation de l'œuvre, expliquent Emmanuelle Mercier et Erika Rabelo, aussi conservatrice-restauratrice à l'IRPA. Sinon, nos interventions sont restées limitées. L'objectif est d'assurer la sauvegarde de la sculpture. On accepte les traces du temps."
Tout ce travail de conservation-restauration permet donc de nous informer sur la vie de ces œuvres, remaniées car trop abîmées ou pour les remettre au goût du jour.
Pour le salut des âmes
Car ces statues de bois ne sont pas de simples décorations, ce sont des supports de dévotion. "Ce sont des œuvres cultuelles qui contribuent au salut de nos âmes", souligne Anne Querinjean, la directrice du musée.
Et Matthieu Somon, postdoctorant en histoire de l'art de l'UCLouvain, d'ajouter: "On s'adressait à ce type de statues. On les touchait. Des miracles leur étaient parfois associés. On implorait certaines pour se protéger d'une invasion ou on en remerciait d'autres pour avoir sauvé des marins. Les rapports étaient variés et très concrets."
Elles permettent aussi de raconter les Saintes Écritures à un public souvent illettré.
La sculpture du 13e siècle est une Sedes Sapientiae, soit une Vierge en majesté dite "Trône de la sagesse". Assise sur un trône, la Vierge Marie est couronnée, ce qui atteste qu'elle est la reine des Cieux. Elle présente l'enfant Jésus qui semble bénir le monde. "Jésus est le nouveau David. C'est aussi une mise en œuvre concrète du mystère de l'Incarnation, de la divinité qui va dans un corps charnel", continue Matthieu Somon.
Tenait-elle une pomme dans sa main? "Ce fruit met en évidence le fait que Marie est la nouvelle Ève, la rédemptrice du péché originel."
Ou alors une fleur, comme cette autre Vierge en majesté de l'exposition, dite Vierge au bolet? Car il ne s'agit pas d'un champignon mais bien d'une fleur, symbole de l'Immaculée Conception: "Marie montre Jésus, le fruit de ses entrailles, conçu sans qu'elle soit déflorée."
Formes du salut, visible jusqu'au 5 juin, nous fait explorer le monde de la restauration et nous rappelle que les œuvres, qui ont tendance à être "anesthésiées", sacralisées en étant exposées dans un musée, ont une histoire, un impact, une raison d'être.
Un carnet d’exploration permet aux enfants de découvrir de façon ludique cette exposition qui montre d’ailleurs combien le travail de restauration tient de l’enquête scientifique.