En 1918, les Allemands faisaient travailler des prisonniers italiens à Nivelles et dans les environs
Une recherche historique passionnante, menée au départ du nom d’un prisonnier mort de la grippe espagnole quatre jours après l’armistice de 1918.
Publié le 05-03-2022 à 07h03
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Chargé de cours en sociologie à l’Université libre de Bruxelles, Pierre Lannoy habite Nivelles et son attention a été attirée par un lieu et un nom, lors de la consultation d’un document du musée In Flanders Fields d’Ypres. Il était indiqué dans un registre que deux prisonniers italiens étaient décédés à Nivelles en 1918. Luigi Giardini, soldat originaire de la petite ville de Fano, dans les Marches, est mort quatre jours après l’armistice et a été enterré au cimetière de Nivelles.
N’ayant jamais entendu parler de prisonniers italiens qui seraient venus à Nivelles, Pierre Lannoy s’est intéressé de près à cette histoire. D’autant que dans le cimetière aclot, il n’existe plus de tombe au nom de ce soldat. Et que selon le document de décès conservé en Italie, l’homme – dont on lit le nom sur une plaque de marbre à la mairie de Fano – serait mort en France. Il y a pourtant bien un acte de décès, daté du 15 novembre 1918, à son nom à Nivelles…
Mis au travail entre autres aux carrières de Quenast
Partant de ces interrogations, le chercheur est remonté jusqu’à un épisode peu connu de l’histoire de la Première Guerre mondiale. Ces prisonniers italiens ont été capturés par les Allemands lors de la bataille de Caporetto, sur le territoire de la Slovénie actuelle. Ils ont été transférés en Allemagne et l’occupant, prenant des libertés avec les règles du droit de la guerre, les a ensuite transférés en Belgique et dans le Nord de la France pour les obliger à travailler sur certains sites, notamment aux carrières de Quenast.
Plus de 2 000 de ces prisonniers sont décédés en captivité, dont certains à Wavre et à La Hulpe.
Luigi Giardini, lui, était sans doute occupé dans le nord de la France et a été contraint de suivre les Allemands lors de leur retraite. Il est décédé en terre aclote, de pneumonie, c’est-à-dire de la grippe espagnole.
Ceux qui avaient été capturés par l’ennemi étant à l’époque considérés comme des "lâches" par le pouvoir italien, ces prisonniers n’existaient pratiquement pas aux yeux de leur État. Et en 1928, Mussolini a demandé que soient supprimées près de 350 tombes qui se trouvaient en Belgique, pour regrouper les corps à la nécropole militaire de Robermont, à Liège.
D’après les recherches de Pierre Lannoy, il n’en subsiste aujourd’hui que quelques-unes, à Namur et à Virton. Le chercheur a dès lors choisi de publier ce qu’il avait appris et les documents trouvés au cours de ses recherches sur un site internet (lire ci-dessous).
Les «perdants» de Caporetto
"À Fano, personne n'a jamais su que Luigi Giardini était mort à Nivelles, constate-t-il. Ces prisonniers ont été totalement abandonnés par leur pays, ils étaient les "perdants" de Caporetto. Et il n'y avait aucun officier parmi ceux qui ont été envoyés en Belgique et en France parce que les officiers ne pouvaient pas travailler, en vertu des conventions internationales en vigueur à l'époque: ils sont donc restés dans les camps en Allemagne. Ceux qui ont été exploités ici étaient de simples soldats. J'ai imaginé ce site internet pour redonner vie à ces fantômes italiens."
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Les recherches de Pierre Lannoy font l’objet de publications dans des revues spécialisées mais le Nivellois a également fait le choix de mettre les informations qu’il a trouvées à disposition du grand public. Et si le réflexe "normal" aurait pu être d’écrire un livre, c’est plutôt pour un site internet que le chercheur et chargé de cours à l’ULB a opté.
Ce qui permet aux curieux non seulement de lire les textes retraçant cet épisode peu connu de l’histoire, mais aussi de consulter les documents historiques mis en ligne, de visionner les photos et de zoomer dessus, de naviguer sur une ligne du temps ou sur des cartes interactives pour élargir la recherche au-delà du cas particulier de Luigi Giardini, d’aller même faire un tour du côté des ressources bibliographiques pour éventuellement creuser le sujet.
L’autre avantage d’une publication via un site internet, c’est évidemment de pouvoir faire des mises à jour régulières, en fonction des dernières avancées de la recherche puisque le but est de poursuivre ce travail sur le long terme.
Pour la conception de ce site consultable à l'adresse https ://pdgit1918.be, Pierre Lannoy aussi pensé "local": il fait appel à l'agence digitale Qreative (www.qreative.be), créée il y a un an à Nivelles.
"Quand Pierre Lannoy nous a fait part de son projet, cela nous a emballés, sourit Mathieu Lelièvre, un des responsables de l'agence. C'était un réel plaisir de concevoir ce site, qui est une véritable mine d'or pour les informations historiques. On a intégré des illustrations, pas mal de cartes postales… Nous nous sommes également rendus au Musée juif de Belgique, pour photographier les pages de l'album-souvenir du camp d'Andenne. Les internautes pourront le feuilleter comme s'ils le consultaient sur place, dans les archives du musée."
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