Arthur Brancart, le père de la marbrite, ce verre qui imite le marbre
À Fauquez, un buste rend hommage à l’industriel dont l’inventivité a apporté la prospérité et la notoriété à toute la région.
Publié le 25-03-2019 à 07h49
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Rien ne prédestinait Arthur Brancart à faire la fortune de toute une région. Il est né à Thulin, dans le Hainaut, le 13 juin 1870, au sein d’une famille modeste. Son père est plafonneur; sa mère, couturière. À quinze ans, comme bon nombre de ses contemporains, il va quitter l’école pour entamer une carrière d’apprenti mécanicien, puis d’apprenti verrier. Ambitieux, courageux, ayant trouvé sa voie, il va toutefois poursuivre sa formation en suivant des cours du soir à l’Académie de Mons, s’y initiant à la décoration artistique, à la peinture et au dessin sur verre.
Ainsi formé, il trouve un premier emploi de graveur sur verre aux entreprises Havaux à Saint-Ghislain. Remarqué pour ses capacités professionnelles, il est débauché par les Gobeleteries et Cristalleries de l’Escaut à Hemiksem, près d’Anvers, où il va gravir un à un les échelons de l’entreprise jusqu’à en devenir le gérant.
Ses compétences sont telles que la Société Générale va faire appel à lui pour aller remettre de l’ordre dans une de ses filiales à Radom, dans la Pologne encore russe. Et là encore, sa gestion intelligente mais aussi musclée va faire merveille.
Aussi, de retour en Belgique en 1902, il n’a aucune difficulté à retrouver un emploi et opte pour la reprise de la direction des Verreries de Fauquez (Ittre), fondée deux ans auparavant par Henri Michotte mais dont la gestion laissait fortement à désirer. Brancart a carte blanche pour redresser l’affaire. Il va d’ailleurs très vite la faire sienne.
Le complice de l’Art Déco
Détenant désormais les rênes de l’entreprise, Arthur Brancart va révolutionner l’outil, n’hésitant pas à licencier les souffleurs normands qui y travaillaient pour les remplacer par des souffleurs borains.
Mais il va aussi diversifier les activités et créer de nouveaux produits. Au lendemain de la Grande Guerre, les verreries de Fauquez produisent aussi bien du verre creux que du verre plat. Mais ce sont ses recherches dans le domaine du verre opalin opacifié qui va faire la fortune de l’entreprise et de son patron.
Il est en effet l’inventeur de la marbrite, ce verre opacifié et coloré dans la masse qui imite le marbre et qui fait un véritable tabac à l’Exposition des Arts Décoratifs de Paris, où les verreries de Fauquez se sont même offert leur propre pavillon.
Il est vrai que les chantres de l’Art Déco se montrent enthousiastes pour cet ersatz du marbre, bienvenu pour décorer salles de bains, cuisines, voire même frontons ou façades d’immeubles. D’autant plus qu’Arthur Brancart offre à ces architectes ou décorateurs d’intérieur toute une gamme de couleurs.
Un personnel recherché et choyé
L’entreprise est florissante. Les carnets de commandes sont pleins. Près de 800 ouvriers s’affairent dans les usines de Fauquez. Au début des années 30, on dénombre quatre divisions de fabrication bien distinctes: une usine produisant la marbrite, un département du verre plat et de la céramique, une gobeleterie pour le verre creux et un laboratoire.
La main-d’œuvre belge n’est pas suffisante. Arthur Brancart est régulièrement obligé d’envoyer des agents-recruteurs dans les pays limitrophes à la recherche d’ouvriers qualifiés. Pour les attirer, il n’hésite pas à construire des cités ouvrières, où chaque maison est dotée d’eau et d’électricité et où les pots de couleurs sont même fournis aux occupants.
«Éveiller les ouvriers au monde extérieur»
Les familles sont les bienvenues. Soucieux du bien-être de celles-ci, précurseur en matière de protection sociale, notre homme va créer des écoles, une caisse de secours, une coopérative, une salle des fêtes, un cinéma et même une chapelle, décorée bien évidemment de l’or local, la marbrite.
Il va aussi organiser des voyages, des excursions d'un jour «en vue d'éveiller les ouvriers au monde extérieur».
Las, victime d’une attaque en 1927, Arthur Brancart va, petit à petit, perdre sa mobilité et son enthousiasme proverbial. En 1932, il est ainsi obligé de céder la direction de ses affaires à ses quatre fils, Robert, Yvon, Gilbert et Raoul, ainsi qu’à son neveu, Claude Lecreille.
Chacun de ces co-directeurs a la responsabilité d’un secteur de l’entreprise. Certains s’en sortent bien; d’autres ont du mal à résister à la crise économique entourant la Seconde Guerre mondiale. Un mode de production obsolète, la concurrence de nouveaux matériaux, voire des verreries britanniques et une gestion de plus en plus défaillante entraîneront la fermeture progressive des divers départements des usines de Fauquez. La production de marbrite cessera en 1964. Celle des verres creux, reprise par Verlipack, à la fin des années 70.
Arthur Brancart n’a heureusement pas connu le déclin de son entreprise et de ce village auquel il a tant donné. Il s’est éteint discrètement, le 17 juillet 1934, âgé à peine de 64 ans.