Un sage noir au pays des fous blancs
Pie Tshibanda sera au Théâtre de la Vallette pour une série de représentations de «Un fou noir au pays des blancs».
Publié le 15-11-2007 à 10h00
«Un fou noir au pays des blancs» a déjà été joué plus de 1200 fois. En Belgique, France, Allemagne, Suisse, Guadeloupe, Martinique, au Québec, Sénégal, etc. Le second , «Je ne suis pas sorcier» en est à la 250e. Et les spectateurs qui en ont vu un veulent à tout prix voir l'autre. L'agenda de Pie Tshibanda est rempli. On l'attend bientôt à Nouméa.
Il y a du Voltaire et du Montesquieu dans ces monologues. Le Candide qui à la façon des Lettres Persanes jette un coup d'oeil gentiment critique sur notre vie quotidienne et nos petits travers. Et sur la différence entre deux mondes qui se croisent sans se connaître.
En Afrique, on croît avec l'âge en sagesse et expérience. Études et éducation sont les préliminaires à une phase ascendante pendant laquelle l'individu s'affirme pour devenir un adulte référent, celui chez qui les jeunes viennent puiser sagesse et conseils. Cet adulte a un rôle social évident. En Europe, on a plutôt tendance à envoyer les vieux à la casse, et les jeunes puisent leur sagesse dans les ordinateurs. Ce conflit de générations a quelque chose d'absurde. Le monde, on le construit ensemble.
Parlez-nous de votre arrivée en Belgique
J'y ai cessé à 40 ans d'être l'adulte référent que je devenais au Congo. J'ai quitté le pays en 1992. Il y avait des troubles au Katanga liés à de vieilles rivalités tribales. Je suis un jour passé par la gare de Lubumbashi et j'y ai vu des familles de l'ethnie Kasaï parquées dans des conditions précaires en attendant on ne sait quoi. Dans de pareilles circonstances, les malheureux vous interpellent, ils se tournent vers les journalistes, les chroniqueurs, les intellectuels pour qu'ils témoignent de leur sort. J'ai décidé de témoigner, mais cela signifiait quitter mon pays. En Belgique, j'ai passé une licence en sciences des familles et sexualité.
Vous aviez déjà un diplôme ?
Une licence en psychologie, décrochée à l'université de Kisangani. La réaction, c'était : Ah, vous avez étudié «là-bas».
Et vous avez commencé à écrire
Le fou noir et le sorcier, oui. Et «Rendez-vous sur l'île de Gorée», un ouvrage qui salue les 200 ans de l'abolition de l'esclavage. J'ai eu la chance d'aller au Sénégal et aux Antilles. Pour y constater qu'il existe une hiérarchie basée sur le degré de clarté de votre peau. J'ai aussi écrit «Ces enfants qui n'ont envie de rien» et «Avant qu'il ne soit trop tard». En février 2008 sortira un livre consacré à l'écrivain belge André Baillon, auteur de 12 livres qui s'est suicidé en 1932. Moi, j'ai fui mon pays pour échapper à la mort. Quelqu'un qui cherche sa propre mort me fascine, et j'ai réalisé qu'André Baillon a crié au secours toute sa vie au travers de ses écrits. Personne ne l'a entendu. Les gens souffrent aujourd'hui d'une hypertrophie du «je». Chacun se réfugie dans sa bulle pour cesser d'être un adulte référent.
15 au 18/11, du 22 au 25 et du 29 au 2/12. Hor et rés. 067/648 111. Ad : 15€, étud. 10€, sen 13€