Emmanuel Dekoninck à la barre de "Lucrèce Borgia" de Victor Hugo: "C'est extrêmement excitant de mettre en scène dans les ruines de l'abbaye de Villers-la-Ville"
Emmanuel Dekoninck (Vilar) réalise une deuxième fois son rêve ultime : mettre en scène à Villers. Cette fois avec "Lucrèce Borgia".
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/FH4PBL5SMZGRZDU5IOTMP5NIOY.jpg)
Publié le 16-05-2023 à 12h15 - Mis à jour le 16-05-2023 à 12h29
:focal(545x371.5:555x361.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/OLKOU6AGT5FTFC3E36U6GIKGJI.jpg)
Si Victor Hugo a visité à plusieurs reprises les ruines de l’abbaye de Villers-la-Ville, son héritage continue de résonner entre ses murs multiséculaires depuis à l’occasion des spectacles d’été proposé par Del Diffusions. Depuis leur création, en 1987, Victor Hugo est d’ailleurs l’écrivain qui y est le plus joué ou adapté : Torquemada (1989), Quasimodo (1991), Angelo, tyran de Padoue (1997), Les Misérables (2002) et Notre-Dame de Paris (2020). Et pour cette 37e édition, c’est à nouveau vers lui que les organisateurs se sont tourné : Lucrèce Borgia sera jouée du 13 juillet au 5 août dans l’abbaye cistercienne.
Emmanuel Dekoninck, vous mettez en scène Lucrèce Borgia. La pièce devait être jouée à Villers-la-Ville en 2020. Le Covid en décida autrement. Mais la voilà, enfin !
Le Covid a chamboulé tellement de choses... On devait en effet la jouer en 2020. La pièce fut une première fois reportée à 2021, puis une deuxième fois à 2023 car Roméo et Juliette, pièce elle aussi déplacée, était déjà programmée pour 2022. Mais assez curieusement, ce n’est pas un souci pour moi. J’aime entamer le travail sur un spectacle, le suspendre, puis le reprendre. Cela permet d’avoir plus de recul sur le projet : on y rêve toujours, il est là dans un coin de la tête et on peut donc l’affiner petit à petit. Le plus difficile, c’est que je suis entre-temps devenu directeur du Vilar, à Louvain-la-Neuve, tandis qu’à l’époque, la mise en scène était mon activité principale.
En 2013, vous avez déjà mis en scène "Frankenstein" dans les ruines. L’idée d’une nouvelle pièce est venue de vous ou du producteur Patrick de Longrée ?
Après Frankenstein, on a eu l’envie commune de recollaborer sur un spectacle et c’est Patrick qui est venu me voir en me disant que Lucrèce Borgia pourrait bien me convenir. Jusque-là, je m’étais moins penché sur les textes les plus célèbres de Victor Hugo. J’ai donc lu ce chef-d’œuvre et j’ai été très enthousiaste à l’idée de monter cette pièce.
Pourquoi ?
Car j’aime mettre en scène des grosses productions avec une grosse distribution et je suis sensible au texte classique. Victor Hugo est un auteur incroyable, d’une grande rigueur formelle tout en étant très accessible. C’était un auteur et un homme politique qui s’est battu pour les plus précarisés et cela se retrouve dans sa démarche littéraire. Il propose une construction narrative implacable : on ne s’ennuie jamais, c’est très rythmé, nerveux. Il n’y a jamais de complaisance poétique et pourtant son écriture est forte et intelligente.
De plus, il ne tombe pas dans les simplismes, ces personnages ne sont pas des archétypes. Lucrèce Borgia est un personnage des plus horrible - elle assassine la moitié de l’Italie -, elle est despotique et elle est présentée comme ça. Mais c’est aussi une mère qui a dû abandonner son fils. Elle a un côté fragile aussi. Elle est tout en contraste.
Enfin, le côté grand spectacle épique me plaît aussi.
En montant cette pièce, un message à transmettre ?
Le rôle du théâtre est justement de dire que les choses sont complexes. Peut-être qu’avec les réseaux sociaux, on a tendance à simplifier les idées, à être dans le clivage : oui/non, pour ou contre... Moi, je suis un aficionado de la nuance, même si elle ne semble pas être vendeuse, sur le plan politique notamment. Mais dans une pièce comme Lucrèce Borgia, il y a de la nuance et elle montre que les choses, les gens sont parfois plus complexes qu’il n’y paraît.
Et puis c’est une pièce qui permet tout simplement de raconter une histoire, celle d’une mère et d’un fils abandonné. On peut s’y projeter, vibrer avec les personnages et vivre des émotions collectivement. Sans oublier que les ruines sont absolument magnifiques et que ses murs sont chargés d’une force incroyable. Tout cela fait le succès des spectacles d’été qui s’y jouent.
La scénographie, bien qu’impressionnante, sera d’ailleurs adaptée au lieu.
Dans les ruines, il est risqué de mettre des décors devant les murs car quoi qu’il arrive, ces murs seront plus forts. C’est pourquoi, on installera des grabillons, ces structures métalliques qu’on remplit de cailloux pour faire des barrières. Sauf qu’ici, il n’y aura pas de cailloux dedans et qu’elles feront cinq mètres de hauteur. Elles bougeront et permettront d’indiquer où l’action se déroule, à l’entrée d’un palais, à Venise, à Ferrare, dans une ruelle… Ce n’est pas un décor sur lequel le jeu pourra s’appuyer. Le jeu sera sur le plateau et porté par les comédiens. L’élément principal, ce sera le corps des comédiens.
Et comme j’aime mélanger les disciplines, il y aura une chanteuse lyrique sur scène. J’ai aussi fait appel à une chorégraphe, Maria Clara Villa Lobos, pour de la danse et il y a un travail conséquent de Béa Pendésini pour rendre les costumes impressionnants.
Pour vous, mettre en scène à Villers-la-Ville, ça signifie quoi ?
C’était mon rêve ultime. Je suis du Brabant wallon et ces spectacles d’été ont toujours fait partie de mon paysage théâtral. Quand je me suis mis à la mise en scène, très vite, je suis allé trouver Patrick pour lui dire que j’aimerais monter Frankenstein à Villers. J’étais jeune, sans doute présomptueux car il faut de l’expérience pour pouvoir y mettre en scène une pièce. Toutefois, il m’a bien reçu et quelques années plus tard, mais finalement assez tôt dans ma carrière de metteur en scène, j’ai réalisé ce rêve.
Mais ce n’était pas suffisant...
Frankenstein, ce fut une chouette expérience mais qui me laisse certaines frustrations. Je suis donc content et c’est extrêmement excitant de remonter une pièce dans les ruines. Car il y a des écueils à éviter : tout est plus compliqué à Villers et le moindre élément faible dans la scénographie, le jeu, le déplacement des spectateurs dans les ruines a un impact fort sur le spectacle.
"Lucrèce Borgia" sera-t-elle reprise au Vilar ?
Oui, comme c’était d’ailleurs prévu avant que je n’en devienne le directeur. La pièce sera évidemment adaptée pour être jouée en salle. Quelque part, c’est un peu un autre spectacle. Ce sera pour mai 2024, dans le nouveau Vilar, un autre endroit qui sera magique.
Réservations : www.lucreceborgia.be.