«Il y a, chez les jeunes, une survalorisation de l’ivresse»
La mort du jeune Thomas après une soirée trop arrosée à Louvain-la-Neuve suscite de nombreuses réactions. Du côté de l'UCL, on souligne que "le risque zéro n'existe pas".
- Publié le 14-10-2013 à 06h00
:focal(330.5x188:340.5x178)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/TXL6PZ4NNZAOZNPUYBZFDLFO3M.jpg)
Martin de Duve, vous êtes responsable d’ Univers santé, à l’UCL. Le cas de jeune qui s’est tué est-il un fait divers ou révélateur d’un problème de société ?
C'est un cas dramatique et ce n'est ni le premier ni le seul. La réaction de ce père est d'abord admirable de courage et de lucidité. Il a compris combien l'impact des étudiants les uns sur les autres et la pression des pairs étaient un élément majeur du problème. Nous avons tous une responsabilité individuelle et collective sur cette question.
Et cette réaction de ce papa fait vraiment réagir. J’ai encore eu aujourd’hui des demandes d’étudiants qui souhaitent savoir quoi faire pour les 24 Heures.
Quelles actions mène l’UCL ?


C’est un peu l’ironie du sort. Nous venons de lancer à l’UCL, il y a quinze jours, une campagne de prévention qui se nomme « guindaille 2.0 ». C’est une campagne créée avec les étudiants. Et elle a démarré très fort. Des pictogrammes géants sont affichés dans les salles de guindailles pour signaler l’eau gratuite. Et on remarque que la consommation d’eau a augmenté ces dix derniers jours.
Avez-vous préparé le terrain pour éviter les drames aux 24 Heures vélo de Louvain-la-Neuve de ce mercredi ?
On a informé tous les responsables des cercles. Ils ont un rôle de leaders d’opinion. Si eux ne s’autorisent pas à boire des softs, les autres n’oseront pas non plus. Des messages ont été inscrits dans les carnets de « bleus ». Il faut raccompagner son ami s’il a trop bu et prévenir les secours à la moindre alerte. Il faut se protéger lors des relations sexuelles, quand on a bu, car l’alcool désinhibe. Ce sont ces messages que nous faisons passer. Et pour les 24 Heures, spécifiquement, 60 étudiants vont mener une action de vigilance jusqu’au bout de la nuit. On a remarqué que cela a fait baisser de moitié le nombre d’interventions de la Croix-Rouge l’an dernier.
Les étudiants ont un gros problème avec l’alcool ? Peut-on faire en sorte que des jeunes ne se tuent plus parce qu’ils sont ivres ?
Le risque zéro n’existe pas. Et la consommation d’alcool chez les étudiants a toujours existé. En 1432, au moment de la fondation de l’université de Louvain, le recteur se plaignait déjà du tapage des étudiants éméchés. Il est extrêmement difficile d’aller à l’encontre de réflexes culturels aussi ancrés. Mais, par ailleurs, cela fait une dizaine d’années qu’on observe des évolutions inquiétantes.
Quelles évolutions inquiétantes ?
La quantité d’alcool consommée par les jeunes n’a pas augmenté. Mais certaines études montrent que si on boit moins fréquemment, on boit en plus grande quantité d’un coup. Tout cela est en lien avec le développement de produits qui visent les jeunes. Les « alcoolpops » fleurissent dans les rayons des supermarchés. Et puis, il y a, chez les jeunes, une survalorisation, et une banalisation, de l’ivresse. Il faut travailler à débanaliser l’ivresse. Mais aussi éduquer à l’alcool et aux risques. Il est temps de passer à une politique volontariste.
Derrière tout çà, il y a aussi les enjeux commerciaux du secteur de l’alcool, le marketing…
Oui. On assiste à des pratiques commerciales très agressives. Le lobby de l’alcool est extrêmement puissant. Les politiques devraient vraiment ouvrir un débat sur les publicités pour l’alcool afin de les interdire comme on l’a fait pour le tabac.
Faut-il interdire l’alcool aux jeunes ?
Non. La prohibition ne fonctionne pas. L’alcool est notre drogue culturelle. C’est un lubrifiant social jusqu’à un certain point. Après cela devient du sable dans les rouages. Ce n’est pas l’alcool qui pose problème mais son usage. Il faut faire de l’éducation, et cela avant l’arrivée à l’université. Et les politiques de prévention ne sont pas encore assez soutenues. ¦