Mettet : bien que condamné, le bourgmestre Yves Delforge ne fera pas appel
Mercredi dernier, le tribunal correctionnel de Namur déclarait coupables six mandataires publics, ou l’ayant été, pour avoir illégalement autorisé l’abandon de déchets dans la carrière de Biesmerée. Pourquoi l’actuel bourgmestre Yves Delforge, est-il le seul à être condamné au paiement d’une amende ? Nous nous sommes plongés dans les détails de ce jugement, étayé par de nombreuses déclarations de témoins, fonctionnaires communaux et hommes de terrain du service Travaux.
- Publié le 12-09-2023 à 01h15
- Mis à jour le 13-09-2023 à 10h07
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Désarçonné, le bourgmestre Yves Delforge, et sans doute meurtri. On peut le comprendre. Des six mandataires politiques (bourgmestres et/ou échevins) prévenus d’infractions sur le site de la carrière du Fay, à Biesmerée, comme auteurs et coauteurs, il est le seul à être condamné au paiement d’une amende (4 000 €), ou 2 mois d’emprisonnement subsidiaire.
Cinq de ses collègues (Arnaud Maquille, Jules Sarto) ou l’ayant été (Eugène Remy, Christian Dubucq) s’en sortent à bon compte. Bien qu’également reconnus coupables, ils bénéficient, tel que sollicité par leur avocat, d’une suspension simple du prononcé de la condamnation (pour une durée de 3 ans).
Un seul est acquitté: Robert Joly (voir ci-contre).
L’administration communale de Mettet, prévenue en qualité de personne morale de droit public, s’en sort (très bien) avec une simple déclaration de culpabilité.
Pour comprendre les raisons de cette inégalité de traitement, nous nous sommes plongés dans une copie du jugement qui, rappelons-le, a été prononcé en audience publique le mercredi 6 septembre. Il ne s’agit donc pas d’un document confidentiel. Il est d’autant plus intéressant de s’y arrêter à tête reposée qu’il est émaillé des déclarations recueillies en audition, en amont du procès, des protagonistes et témoins de premier plan de l’affaire, lesquelles ont emporté la conviction du tribunal et battu en brèche les protestations de bonne foi des prévenus.
Déclarations tant des prévenus que d’anciens chefs et contrôleurs de travaux, d’un grutier qui a poussé les terres, de la conseillère en environnement de la Commune, dont feu Philippe Lambot déclara qu’elle était chargée d’ouvrir la carrière le matin et de la refermer le soir, jusqu’à la Directrice générale, garante de la légalité.


Le Fay, un sujet tabou
Entendus, les hommes de terrain parlent bien d’un système mis en place et d’une véritable politique assumée de gestion illicite des déchets. Tout le monde était au courant disent-ils, mais il ne fallait surtout pas en parler. Sujet tabou.
Depuis bien avant le tournant de l’an 2000, la Commune de Mettet avait pris la mauvaise habitude de déverser sans permis des tonnes de déchets, heureusement inertes, issus d’une diversité de travaux de voiries. Des terres, des gravats, du tarmac, remblais et déblais de construction, débris de pierre et béton, mais aussi des boues de curage et d’avaloir. Des entreprises privées locales se sont aussi délestées à la carrière de leurs encombrants déchets (mais heureusement non-toxiques) à bon compte. Sans évoquer encore les dépôts sauvages de particuliers qui ont obligé le collège à faire fermer le soir les barrières du site carrier.
À l’audience, les prévenus ont attribué cette violation frontale du droit de l’environnement à l’héritage d’un ancien monde politique peu regardant des règlements, à la mentalité rurale privilégiant le côté pratique des choses et la facilité. Certes, ça arrangeait bien tout le monde de prendre la carrière pour un centre d’enfouissement technique, ou une décharge, ça permettait surtout à la commune de réaliser des économies substantielles et de gagner du temps.
C’était certes illégal mais, comme les prédécesseurs l’ont toujours fait, les collèges qui se sont succédé ne se sont pas posé plus de questions que cela. Et puis, le bourgmestre Delforge ne disait-il pas, à l’un ou à l’autre qui l’interrogeait sur cette liberté prise avec l’environnement, que ces déversements étaient couverts par des autorisations ?
De l’entêtement dans les manoeuvres frauduleuses
De ce fait, l’avocat de la défense, Me Joël-Pierre Bayer a plaidé l’erreur invincible, soit une faute que tout homme, mis dans une situation similaire, aurait commise. Si les élus ont fauté par habitude, ils étaient cependant de bonne foi. Ils n’avaient pas une conscience claire de contourner la loi. Un argument balayé par la juge après examen des pièces: "Les mandataires poursuivis ont manqué à toutes les obligations de prudence, rigueur et diligence qui leur incombent, en leur qualité de gardien de l’intérêt public et comptable du respect des réglementations, outre un devoir d’exemplarité", cingle-t-elle. Elle évoque même un entêtement dolosif, de dol, un terme juridique désignant des manœuvres frauduleuses destinées à tromper. Très très loin de la bonne foi plaidée.
Finalement, le tribunal conclut, au vu des aveux explicites et constants des prévenus, que ces derniers ont bien été, à l’exception de Robert Joly, les co-auteurs de l’exploitation illicite d’un Centre technique d’enfouissement de déchets clandestin. Le tribunal, poursuit le jugement, a donc bien été saisi d’une véritable politique de contournement des règles à laquelle tous ont adhéré. Que personne n’a renoncé à l’empêcher et même tenté de l’empêcher, et ceci principalement des fins d’économie budgétaire, parce que la situation financière de la commune était préoccupante.
Entendu en 2020, Yves Delforge avait déclaré, lorsqu’il a débarqué au collège, au début des années 2000: "Je me suis mis au courant des règles qui étaient pratiquées dans la commune, et j’ai suivi le mouvement", un petit nouveau ne pouvant tout remettre en question. Il aurait cependant été avisé de la situation problématique en 2004, et aussi du fait que celle-ci ne pouvait plus durer. "Je ne sais pas vous répondre pourquoi on a continué à le faire", a-t-il déclaré.
L’amende prononcée contre lui, moins importante que celle requise par le ministère public en raison de son casier judiciaire vierge, "doit sanctionner, au moins symboliquement, l’arbitrage inadmissible du respect des lois et des institutions qu’il a assumé délibérément, presque avec cynisme." On peut là penser que ce champion en voix de préférence paie sa permanence au pouvoir : il a été échevin du Patrimoine de 2006 à 2009, et des Travaux et de l’Environnement en 2009 et 2010. Il est bourgmestre sans discontinuer depuis 2012.
En dépit de la sévérité de ce jugement remettant en cause son management, Yves Delforge, après avoir mûrement réfléchi, ne fera pas appel de ce jugement. Il accepte la sanction et s’acquittera de l’amende. Pour recouvrer la sérénité après des mois de tension, tourner une bonne fois pour toutes la page et se mettre en ordre de bataille pour le scrutin de 2024 dit-il, où il briguera un nouveau mandat. "Vous pouvez le dire à mes détracteurs, je suis reparti au combat." Meurtri, peut-être, mais comme galvanisé d’une énergie nouvelle à gagner les élections.