Fosses-la-Ville s’est réjouie: elle a dansé Lætare entre dames-chinelle et hommes-feuilles (vidéo)
Le carnaval du Lætare, immémoriel et sautillant, aux notes entêtantes, appelle à se réjouir du printemps arrivant. Cette année, de nouveaux personnages se sont invités dans le cortège: dames chinelles et hommes feuilles.
Publié le 19-03-2023 à 22h14 - Mis à jour le 22-03-2023 à 10h42
Toute l’année, le carillon de la collégiale Saint-Feuillen en égrène l’air réjouissant, donc au sommet de la ville, preuve s’il en est que le carnaval du Lætare (à mi-Carême), et son personnage vedette, le chinel, sont un emblème. Une marque de fabrique, un symbole de jouvence. Avec leur chapeau à plumes ondulant au rythme de leurs sautillements, avec leur costume satiné tintant de tous leurs grelots, avec leur sabre de bois claquant creux sur le macadam, les chinels incarnent l’enfance éternelle. Le jeu encanaillant. L’innocence du bambin célébrant le retour des jours plus éclatants et du grand bourgeonnement.

Alors, si déjà le carillon leur rend un hommage permanent, le jour venu de la Laetare, souvent en mars, les rues s’éclairent de leurs clameurs et s’ébouriffent de leurs couleurs virevoltantes, à l’image de ces facétieux polichinelles de théâtre. Créatures de légende hilares, à deux bosses, commettant leurs drôleries en soces.
Si le spectacle se reproduit invariablement chaque année, il arrive parfois des surprises. L’an dernier, des ballons bleus et jaunes, les deux couleurs du drapeau ukrainien, s’étaient envolés vers le ciel bleu à l’entame du défilé.

Cette année, le cortège carnavalesque accueille de nouveaux joyeux drilles sous un ciel très menaçant.
"Soyez à l’heure sur la ligne de départ", avait annoncé le président des chinels, Philippe Leclercq. En fait, ce dernier a accompli un geste jamais vu: il a remis à un folkloriste d’un genre nouveau, feuillu, une masse d’armes, aux redoutables picots, derrière laquelle marchent toutes les saperies napoléoniennes. Ces folkloristes portant un tablier blanc de sapeur sont verts de la nature qui renaît. Comme emballés dans du filet de camouflage militaire, ils se sont piqués des feuilles sur le colback. Voilà le pacifique carnaval, équipé de yatagans inoffensifs, relevé d’une sorte de garde de fer.
Un grand "feuillu"
C’est le sergent-sapeur Charles Dumont, fils de Louis Dumont, le 1er sergent-sapeur contemporain, qui a eu l’honneur de présenter l’arme à pointes.
L’homme-feuilles symbolise le renouveau post-Covid. Pourtant, on en voit sur de vieilles photos jaunies. "C’est l’ancêtre du sapeur de nos marches, indique Benoît Collard, secrétaire de l’État-major de la marche Saint-Feuillen. Il avait été abandonné, semble-t-il en 1952. On pensait que les hommes-feuilles ne sor taient qu’à la Saint-Feuillen mais pas du tout. Ils étaient aussi de la Lætare." À l’instar des sapeurs, ces grands "feuillus" au colback recouvert de lianes de lierre eentrelacées et fraîchement prélevées dans la nature, ouvrent le tumultueux cortège. Désormais, ces personnages assez monochromes, semblant figurer la sobriété et la tempérance, précèdent les flamboyants chinels. Sorte de contre-point austère à l’exubérance enfantine.

Autre grand retour: celui de la dame-chinelle qui, elle, a quitté les rangs en 1936. "Avec les hommes sauvages, c’est une très bonne chose de les revoir", souligne le président, tout en rappelant que les femmes, équipées de tambourins, n’ont pas vocation à danser mais à faire la quête, comme en atteste l’aumônière qu’elles portent à la ceinture.
Les deux initiatrices de cette édition 2023 de la Lætare réconciliée avec son passé, Véronique Henrard, couturière locale, et sa fille Marie, ont ainsi osé défier un folklore dominé par les hommes depuis des décennies, et s’y noyer à corps perdu, car elles ne sont que cinq à quand même danser malgré la consigne présidentielle.
La soce des "Houblontins", adoubée l’an dernier, a reçu cette année un invité de marque. Plutôt une grande première qu’un retour: le curé de la paroisse de Fosses, l’abbé Willy Wele Wele, a revêtu pour la première fois un costume de ce polichinelle à ressorts. "Rendez-vous compte, commente-t-il d’un large sourire, c’est un curé d’origine congolaise qui va apprendre sur-le-champ, (et le tas), à danser le chinel".
Dans cette marée blanche de visages pâles à la fête, et à plumes multicolores, seuls deux citoyens d’origine africaine ont ainsi entonné la partition légère.
Dans le fond de la cave
La masse d’armes fièrement restituée aux hommes-feuilles a sa petite histoire secrète. Signe de son authenticité, elle a été retrouvée dans la cave de l’ancien hôtel de ville. "On ne savait plus où il était. Aujourd’hui, on se la réapproprie", souligne Benoît Collard. L’échevin Bernard Meuter n’y a pas vu un hasard mais un signe que le projet de restaurer cet étrange groupe d’hommes sauvages, ne poussant aucun cri de Tarzan, était mûr.
Sur l’air du JT
Le retour de la dame-chinelle n’a pas fait le buzz mais tous les médias y ont vu un sujet bien dans l’air du temps. C’est ainsi que Véronique Henrard et ses comparses ont eu l’honneur d’un passage au JT de la RTBF, à 13h et, excusez du peu, même à 19 h 30. Les voilà connues jusqu’à Bruxelles.
Bacadam story
Ils sont rentrés de Rio de Janeiro où ils ont participé à son carnaval monstre. Les 9 voyageurs du groupe Bacadam, toujours auréolés des exploits de cette aventure sud-américaine, ont défilé dans leur costume brésilien. Très remarquées aussi, leurs danseuses, bas résille et nombril à l’air.

Ièsse di soce
Les chinels, ils dansent en soce. Ce mot introuvable au dictionnaire figure une simple association de personnes qui, exclusivement à Fosses, se réunit pour vivre la Lætare et cagnotte ensemble pour la vivre pleinement. Chaque soce est reconnaissable à son costume. Le mot soce a aussi inspiré une expression: "ièsse di soce", qui signifie "être lié d’amitié".
La soce… Andalouse
Plusieurs soces donnent le tournis à la cité. Historiquement, il y a les "Doudous", et "Les Rouges et Verts". En 2022, deux nouvelles ont fait leur apparition: les "Houblontins" et les "Introuvables ". Et voilà qu’une petite dernière fait parler d’elle: la soce... andalouse, ce qui ne s’invente pas. Cependant, ces soçons n’ont pas encore de costume commun. Celui-ci, en attente de confection, ne sera dévoilé que l’an prochain, à moins qu’il ne tourne d’ici là en secret de polichinelle.
