Fosses-la-Ville : des Dames Chinelles danseront Laetare le 19 mars
Événement dans le grand monde folklorique fossois: le retour des femmes dans l’immense cortège des Chinels, ces hilares polichinelles à deux bosses. Leurs dernières danses remontent à une éternité, en….1936. Retour aux sources.
Publié le 10-03-2023 à 07h00
Les femmes ne libèrent pas que leur parole. Elles déboulent aussi franc battantes sur le terrain léger du folklore où elles revendiquent de réoccuper des places que le 20e siècle leur a mystérieusement ravies.
Fosses-la-Ville en fait actuellement l’amusante expérience, à l’instigation de Véronique Henrard, conseillère communale, chef du chœur de la collégiale et couturière par nécessité pour avoir marié feu Bernard Dufrasne, ardent figurant des cortèges napoléoniens.
Il ne s’agit pas d’une lubie égalitariste ni d’une révolution de genre à la mode pour mettre un terme à l’écrasante domination de ces messieurs dans les rangs des Chinels, ce légendaire personnage carnavalesque à deux bosses du Lætare fossois.
Dans sa pièce de séjour transformée en atelier de confection de costumes en velours et satin, et de leurs nombreux accessoires ornementaux – (collerettes, grelots et bosses rembourrées de fibres), Véronique Henrard étale de vieilles photographies en noir et blanc comme autant de témoignages du bien-fondé de son désir que les femmes dansent Lætare, le 19 mars prochain.
Sa fille, Marie Collard, vient de la rejoindre pour lui prêter main-forte dans ce marathon pour fils et aiguilles. La trentenaire sera aussi de ce mouvement dansant de réintégration du beau sexe.
"La tradition est de notre côté", plaident les deux femmes en s’appuyant sur l’étude approfondie d’un érudit local, adepte du défrichage des archives, Guy Baufay.
La Société royale des Chinels n’a aucunement fait barrage à ce légitime retour aux sources, "car c’est dans l’air du temps", explique le président, Philippe Leclercq. Le point, délicat, a cependant fait l’objet d’un examen au sein d’une commission spéciale. Sept membres du conseil d’administration se sont penchés sur l’opportunité, ou non, de féminiser le Chinel et de dérouler le tapis rouge à ces audacieuses. "C’est vrai que je n’en avais pas parlé lors de l’Assemblée générale, en janvier, précise le président, qui loue l’esprit d’ouverture de la royale phalange.
Mixte et historique
Accepter la discrète délégation féminine n’a pas fait l’unanimité, comprend-on, mais la majorité l’a emporté au terme de deux réunions de deux heures chacune à peser le pour et le contre. Point de conservatisme rétrograde. Le carnaval du Lætare 2023 sera donc historique par sa mixité.
Pourquoi ces dames chinelles ont-elles abandonné les grelots, en 1937 ? Des hypothèses sont çà et là avancées. "Il y avait une crise économique et sociale aiguë. Minoritaires, elles se sont réfugiées dans leur cuisine", hasarde Véronique Henrard.
Elles ont en tout cas disparu sous la présidence d’un certain Jules Gosset, un conseiller communal libéral qui épousa l’une de ces dames Chinelles.
Entre autres explications avancées, déjà, de possibles cas de harcèlement commis par des hommes ayant abusé de l’alcool. Il n’est pas exclu que la gente masculine majoritaire ait fait à ces dames, traitées d’aguicheuses, un procès en provocation. L’inoxydable et lamentable excuse qui perdure encore chez les abuseurs. Le fait aussi que les années 30 furent notoirement sexistes, ce qui n’empêcha pas une certaine Amélie Bardoulat, épouse Émile Roisin, d’accéder au mayorat de Fosses, du 14 juillet 1933 au 6 janvier 1936. Mais, comme le note Luc Baufay, la mayoresse dégusta, attaquée sous la ceinture par le journal local "Le Messager de Fosses", alors propriété d’un certain Duculot. Désolé Mesdames mais, à l’époque, cet éditeur du journal, catholique bien-pensant et conservateur, défend très explicitement l’idée que la place des femmes est à la cuisine. Il n’est plus là pour lui jeter à la figure des tomates bien mûres. Enfin, sur ces questions sensibles, les libéraux et les catholiques fossois s’écharpaient plus violemment qu’ailleurs, rapporte encore l’auteur.
Le 21e siècle a heureusement fait le ménage et balayé tout ça. Et c’est heureux. Mesdames, bonne Lætare.