Assises du Hainaut : Du parc Moulin Tonton à Tourcoing au Bas Quartier à Tournai, itinéraire d’un crime dans le milieu des stups
Le procès qui a lieu devant la cour d’assises nous permet de plonger dans un milieu interlope, où tous les coups sont permis. Tournai n’est pas encore Marseille, mais la situation est inquiétante.
Publié le 23-05-2023 à 17h29 - Mis à jour le 23-05-2023 à 17h33
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L’histoire qui est jugée actuellement devant la cour d’assises du Hainaut démarre au Parc du Moulin Tonton à Tourcoing. Là-bas, dans ce coin populaire de la métropole lilloise, traînait Grégory Doucet, un père de famille nombreuse qui a sombré dans la drogue, après avoir flirté avec une prostituée. En juin 2020, le quadragénaire n’était plus que l’ombre de ce qu’il était, comme l’a déclaré son frère.
Le papa travailleur et protecteur avec ses enfants, à qui il a inculqué des valeurs, n’est plus qu’une loque, accro à la cocaïne.
En passant par le Mont-à-Leux
Grégory Doucet n’est pas le Pablo Escobar du Nord. Il n’est qu’un petit vendeur qui a une dette importante. Ses fournisseurs, les caïds du coin, l’ont déjà rappelé à l’ordre en usant de violence à son égard. Pour rembourser sa dette, Grégory est envoyé au front, de l’autre côté de la frontière, armé d’un GSM contenant les numéros de toxicomanes, et de quelques grammes de drogue. Son job consiste à écouler la marchandise.
Grégory ne part pas seul au combat. Il emmène des jeunes de son quartier, qui ont l’âge de ses enfants, pressés de gagner de l’argent. La branche de la bande Maestro file vers Tournai, en faisant un crochet par Mouscron pour fournir un ou deux clients au Mont-à-Leux. Les deux villes picardes sont les terrains de jeux de groupes baptisés Mèche blonde, marteaux…
Des files de toxicomanes
Une fois arrivé dans la cité de Clovis, les bandes s’installent chez un toxicomane. Les candidats sont nombreux. Steven S., Jason D., Didier H. Christophe B. Sarah V.… Des enfants de Tournai qui ont déjà comparu à de multiples reprises devant le tribunal correctionnel pour des infractions liées aux stupéfiants. Beaucoup d’entre eux replongent rapidement leur nez dans la poudre.
Les mineurs sont chargés d’aller chercher les clients en ville, souvent près de la gare. Chaque jour, de nombreux toxicomanes partent chercher leurs doses dans la maison squattée par les vendeurs venus de Tourcoing. On frappe à la porte, on glisse quelques billets dans la boîte-aux-lettres et la drogue est remise par le même chemin. Souvent, le client n’a aucun contact avec le vendeur. “On voit seulement leurs yeux”, dit un vendeur, interrogé dans le cadre de l’enquête.
Les consommateurs en veulent toujours plus, mais avec moins d’argent. Pour le financement, les délits se multiplient, vols à l’étalage, vols avec effraction, vols avec violence. C’est souvent l’escalade.
Plusieurs braquages
Un vendeur français, mineur, confirme que le groupe Maestro avait déjà été braqué à plusieurs reprises, ce qui agaçait Grégory Doucet, lequel ne pouvait pas échouer compte tenu de l’importance de sa dette. En juin, Grégory décide de s’armer. Il emporte un pistolet qui tire des billes en caoutchouc. Un jeune prend une matraque télescopique. Un autre s’équipe d’un taser. À la prochaine attaque, ils sauront se défendre.
Le 18 juin 2020, Claudy Putman et Johnny Vanhoutte, deux toxicomanes tournaisiens, décident de braquer la bande Maestro, qui trafique derrière la porte de la maison numéro dix de la rue du Bas Quartier. Ils tentent de forcer la porte, en vain. Ils passent par la fenêtre, qu’il suffit de pousser selon un témoin.
“Entrez, fils de p…, on vous attend”, hurle un Français. Les deux hommes sont entrés. Les Français se réfugient à l’étage et tentent de se défendre avec leurs armes. Le braquage tourne mal, Grégory Doucet décède d’un coup de feu porté dans le thorax. Claudy Putman était armé d’un fusil de chasse au canon scié. Les délinquants mineurs prennent la fuite, prenant soin de cramer leur voiture en France afin de brouiller les pistes, abandonnant Grégory qui baigne dans son sang, au pied d’un escalier.
Ce drame, évoqué dans tous les médias locaux, n’empêche pas Claudy Putman et Johnny Vanhoutte de récidiver. Le 3 septembre 2020, ils braquent un autre vendeur de drogues, venu de Brest, qui a installé son camion près de la plaine des manœuvres. Lui aussi a été braqué à plusieurs reprises, par des clients. David n’est pas venu témoigner, il n’est pas le seul.
Peu de témoins à la barre
Mardi, on attendait les témoignages des jeunes de Tourcoing qui accompagnaient Grégory le jour des faits. Aucun n’a eu le courage de venir à Mons. Le président de la cour a lu leurs dépositions faites à la police. Elles font froid dans le dos. Ils parlent de braquages fréquents, de règlements de compte entre vendeurs et toxicomanes.
On entend des noms, on croirait lire le rôle d’une audience au tribunal correctionnel de Tournai. Tout le monde se connaît dans le milieu interlope, se dénonce, mais évite de balancer les fournisseurs qui se cachent derrière la frontière. Ces derniers attendent des nouvelles de leurs soldats, partis au front. Quand un homme tombe sous les balles, il est rapidement remplacé.
Grégory n’a pas payé sa dette. Un juré demande à l’un de ses fils s’il travaille pour la bande Maestro. Le gamin répond qu’il a travaillé pour cette bande, afin de réduire la dette de son papa. Qu’en est-il aujourd’hui ? Il n’en dira pas plus… par peur de représailles peut-être.