Cure de jeunesse pour deux géants de Nivelles: l’Argayon et l’Argayonne se refont une santé à Comines
Deux des géants de Nivelles sont en cours de rénovation chez Pierre Loyer, un artisan spécialisé et passionné, installé à Comines-Warneton.
Publié le 07-02-2022 à 10h02
Il y a quelques mois, la Ville de Nivelles avait annoncé un investissement d’un peu plus de 20 000€ afin de rénover l’Argayon et sa femme l’Argayonne, les géants qui sont de toutes les festivités en terre aclote. Ils sont apparus au Tour Sainte-Gertrude puis ont ensuite pris en camion la direction de Comines-Warneton (province de Hainaut). Dans l’atelier "Vie de Géants", Pierre Loyer, qui a fait de la restauration et de la création de géants son métier, les rénove depuis plusieurs semaines. Quand ils reviendront à Nivelles, sans doute à la fin de ce mois de février, ce sont les géants de Namur qui arriveront chez cet artisan passionné, lui-même porteur de géants, et intarissable sur ce folklore très particulier.
Quand il a démonté les deux géants aclots, il a eu quelques mauvaises surprises. Ainsi, deux des montants en sapin de l’Argayon étaient complètement fendus. La structure en bois a donc été remplacée, avec des montants en hêtre et des planches évidées pour limiter le poids de l’ensemble. C’est que l’Argayon, dans lequel ne rentre qu’un seul porteur, culmine à 4,5 mètres et pèse environ 110 kg…
Les équerres de métal, qui avaient pris beaucoup de jeu avec le temps, ont aussi été remplacées au profit du bois. Quant à l’Argayonne, elle bénéficie d’une nouvelle vannerie, avec une poitrine moins haute – la précédente était peu esthétique – et des hanches plus marquées. Elle va également retrouver un éventail, comme sur les croquis réalisés par Paul Collet en 1929 (lire ci-contre).
À propos d’accessoires, l’épée de l’Argayon est aussi en cours de rénovation. Les multiples couches de peinture ont été enlevées pour revenir au bois, et Pierre Loyer est en train de dorer à la feuille d’or le pommeau à tête de lion.
Mais ce sont les têtes qui ont donné le plus de travail à l’artisan. Sous la perruque, l’arrière de celle du géant aclot était en très mauvais état. Le visage de l’Argayonne, lui, avait déjà été réparé avec de la résine, de la peinture, du plâtre… Des matériaux qui ne vont pas forcément très bien ensemble. Un calque a été réalisé pour garder la forme des yeux et de la bouche, et les multiples couches ont été grattées au scalpel, centimètre par centimètre, jusqu’au carton, avant une rénovation complète.
Un sacré boulot et on vous épargne les détails sur l’état des perruques, les soins étant toujours en cours pour qu’elles retrouvent une seconde jeunesse.
"Un géant, ça vit, c'est de l'art populaire, réalisé le plus souvent avec les moyens du bord, explique Pierre Loyer. C'est normal qu'il y ait pas mal de réparations successives, plus ou moins réussies. La casse est inévitable s'ils participent à des fêtes: ce ne sont pas des personnages d'exposition. Une rénovation n'est jamais pareille à une autre et ici, c'était un travail très intéressant."
Le système de montage a également été simplifié, les géants aclots retrouveront des mains dignes de ce nom, et la robe de l’Argayonne a également été refaite avec des tissus donnant l’impression du velours mais qui seront plus légers.
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Pierre Loyer a l'habitude de venir aux secours des géants mais pour lui, restaurer l'Argayon et l'Argayonne n'est pas un travail comme les autres. C'est que l'Argayon est considéré comme le plus ancien géant de procession de Wallonie et pour le restaurateur, c'est aussi le plus grand géant à un seul porteur jamais passé dans son atelier. Le démonter, gratter la peinture, consolider les réparations antérieures ou les remplacer comporte un côté "émotionnel" qui n'existe pas pour les géants récents.
L’état des têtes des deux personnages emblématiques du folklore nivellois, lui a donné du fil à retordre, mais l’homme confesse en avoir pratiquement fait un projet personnel, prenant ce travail très à cœur.
"Il faut être conscient de ce que vous avez: ils ont un prestige, c'est un patrimoine exceptionnel, a-t-il indiqué aux Nivellois qui ont visité son atelier la semaine dernière. C'est bien qu'ils sortent, qu'ils participent à la vie locale, mais je vous conseille d'au moins faire un moulage des têtes, qui ont été réalisées il y a plus de 70 ans. En cas de chute, elles risquent d'être irrécupérables."
Les géants actuels ne sont plus ceux qui étaient portés au Moyen Âge, vu leur histoire longue et très chahutée. L'Argayon aurait existé dès 1457, mais il s'appelait Goliath. D'après un article de la revue d'histoire locale Rif Tout Dju, un document de 1526 atteste d'une dépense de "9 sous" pour rénover le géant Golias. Et en 1579, d'autres lignes comptables indiquent que les "accoustrements" du géant ont coûté 39 sous à la Ville.
Le site internet de l’Office du tourisme de Nivelles indique que c’est en 1645 que le mariage avec l’Argayonne a été célébré. Mais les géants ont été interdits de procession en mai 1786, suite à la réforme de Joseph II. Ils ont été vendus pour 123 florins. On les retrouve cependant lors de la fête nationale de 1806, et l’un d’eux a chuté dans la Thines en 1854. Ils sont cependant habillés de neuf en 1890 pour un cortège organisé à Bruxelles… au cours duquel l’Argayonne a perdu sa tête en rue.
Comme les animaux de la ménagerie, les géants aclots ont été détruits dans les bombardements de mai 1940. Ils ont été reconstruits après la guerre, d’après les croquis qui avaient été réalisés par Paul Collet en 1929. Leur première sortie a eu lieu en 1950 et c’est bien cette version, datant de plus de 70 ans, que les Aclots connaissent aujourd’hui.
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Outre les rénovations que verront les participants au carnaval ou au Tour Sainte-Gertrude, une partie du travail de Pierre Loyer devrait aussi changer la vie des porteurs de géants. L’Argayon et l’Argayonne pèsent plus de 100 kg – sans compter le poids de l’eau qui imbibe habits et perruques lorsqu’il pleut – et les harnais actuels mettent les épaules des porteurs à rude épreuve. Pas question de placer des roulettes comme celles qu’on trouve parfois sous les géants modernes: ce serait un sacrilège!
Par contre, sous les structures de bois et d'osier rénovées, c'est un système de sangles et de coussins de tête qui sera placé, comme à l'intérieur des géants d'Ath. Ce qui nécessitera un réglage préalable plus minutieux, adapté à chaque porteur, mais sera bien plus confortable à l'usage. "Pour nous, cela va tout changer, dit Laurent Sampoux, qui porte les géants depuis trente ans. Il faudra s'habituer mais on va s'entraîner: on a envie de faire les choses comme il faut."
C'est que pour porter un géant, il y a une technique particulière, conjuguant force, endurance, ainsi que sens de l'équilibre. En réalité, ce ne sont pas toujours les plus costauds qui tirent le mieux leur épingle du jeu. "Quand quelqu'un essaie, je vois après quelques pas si ça va aller ou pas, poursuit Laurent Sampoux. En dessous d'un géant, on ne voit pas la descente de la rue de Saintes ou de la rue de Namur de la même manière! Il ne faut pas non plus avoir peur de la chute: avec les bombes de mousse et les oranges écrasées, ce n'est pas évident. On doit avoir un guide attentif."
Actuellement, les porteurs sont trop peu nombreux: des initiatives seront prises sous peu pour constituer une réserve de volontaires.
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