"2.000 chauffeurs Uber" risquent-ils de se retrouver à la rue depuis vendredi? Pourquoi c'est exagéré
Argument massue de l'opposition pour tacler le PS dans le dossier Uber: "2.000 chauffeurs à la rue". Mais lorsqu'on se penche sur la question, il semble que ce chiffre relayé en masse par l'opposition soit un tantinet gonflé... Explications.
Publié le 03-12-2021 à 08h40
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C’est un nombre qui revient quotidiennement ces derniers jours dans le cadre l’explosif dossier Uber qui met à mal le gouvernement et Rudi Vervoort (PS): 2.000.
"2.000 chauffeurs à la rue", évoque le député David Weytsman (MR). "2.000 chauffeurs Uber et leurs familles risquent de se retrouver sans revenus dès vendredi", tweetait semaine dernière l’ancienne secrétaire d’État bruxelloise Bianca Debaets (CD&V). Le groupe Défi du parlement bruxellois évoquait "la perte d’emploi des 2.000 chauffeurs LVC en Région bruxelloise". "2.000 personnes vont bientôt perdre leurs revenus", déplorait la députée de la majorité Els Rochette (one.brussels/Vooruit). "En pleine crise, 2.000 chauffeurs sont empêchés de travailler", selon le CDH bruxellois. "N’ajoutez pas 2.000 dossiers de plus à Actiris", invectivait David Leisterh (MR).
Si cet argument massue a été aussi largement diffusé, c'est sans doute parce qu'il permet d'attaquer le Parti Socialiste sur une thématique ô combien importante pour lui: les travailleurs. "Le PS pousse 2.000 chauffeurs Uber au chômage", dénonce la députée flamande et ancienne échevine bruxelloise Els Ampe (Open VLD). Dans une interview accordée au Soir ce jeudi, le ministre-président Rudi Vervoort (PS) remet toutefois en cause ce nombre: "Aujourd’hui, les plateformes, ce sont des boîtes noires, ils disent qu’il y a 2.000 chauffeurs à Bruxelles, on pense que c’est exagéré".
Plus d'un tiers des chauffeurs ont un autre boulot
D’où provient ce chiffre? Est-il fiable? Surtout, est-il correct? Le PS met-il vraiment "2.000 familles à la rue"? Pour mémoire, la société californienne a brandi ce nombre dans son communiqué du 24 novembre sur la décision de la Cour d’appel et l’annonce de la mise à l’arrêt de l’application: "À partir de ce vendredi 26 novembre, 18h, 2.000 conducteurs bruxellois titulaires d'une licence LVC perdront leurs sources de revenus". Une information ensuite relayée dans les différents médias (La DH comprise) et récupérée par différents partis. Qui n'ont pas hésité à exagérer l'information d'Uber. De "perdre sa source de revenus", on passe à "à la rue"...
Ce chiffre appelle en effet à être nuancé. Nous avons contacté Uber pour obtenir plus de précisions. "À l'heure actuelle, environ 2.000 conducteurs ont effectué des trajets via notre application au cours du mois écoulé", précise l’équipe communication de la société. Ces chauffeurs travaillent-ils à temps plein pour l’application? Ou juste quelques heures par jour? That is the question… "Les chauffeurs sont indépendants et beaucoup d'entre eux choisissent de travailler via notre application en raison de la flexibilité qu'elle offre. Cela leur permet de décider quand ils veulent travailler et comment ils veulent organiser leur travail", nous indique la plateforme, sans plus de précision.
Une étude de Deloitte de février 2020, citant l’Ipsos, indique de son côté que "36% des chauffeurs Uber considèrent leur profession de chauffeur pour Uber comme un revenu en plus d’un autre revenu". La société elle-même confirme que, parmi ses chauffeurs, certains cumulent plusieurs activités. "Certains travaillent plus de 40 heures par semaine, d'autres moins parce qu'ils combinent ce travail avec l'éducation de leur famille ou la prise en charge de leurs parents." Nous avons demandé les chiffres exacts à Uber, mais la société ne nous les a pas transmis.
"19% des chauffeurs Uber étaient sans emploi avant de travailler pour Uber"
De nombreux chauffeurs ont bien sûr perdu leur unique source de revenus et sont désormais dans une situation de misère économique. Mais ils ne sont très certainement pas "2 000" comme l'opposition le prétend. À la grosse louche et selon les ordres de grandeur relayés dans le rapport de Deloitte, environ 700 chauffeurs pourraient toujours compter sur une autre activité. "Sur les 2.000, 100% voient leur chiffre d'affaires diminuer. 60% perdent tout", s'indigne David Weytsman, qui relativise donc quand même le fameux chiffre "2 000".
"Peu importe le nombre",embraye Fernando Redondo, président de l'Association Belge des Chauffeurs de Limousine. "Il y a aujourd’hui des personnes qui ne savent plus travailler. Des personnes qui étaient autrefois dans la précarité et au chômage". Toujours selon Deloitte, qui cite de nouveau l’Ipsos: "19% des chauffeurs Uber étaient sans emploi avant de travailler pour Uber".