Avec la coopérative Rcoop, les métiers de contact ne se font plus de cheveux blancs pendant la crise
Coiffeurs, esthéticiennes, masseurs, couturiers…: Rcoop rassemble une quinzaine de professionnels des métiers de contact. La coopérative ixelloise leur permet de travailler en autogestion tout en mutualisant les ressources et renforçant la solidarité. Certains ont ainsi évité de s’arracher les cheveux à l’arrivée du Covid-19.
Publié le 14-04-2021 à 08h04
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Deux bacs à shampoing, des fauteuils cuir devant des miroirs, une collection de cosmétiques, des sèche-cheveux, une pile d’essuies, quelques plantes vertes…: à première vue, rien ne distingue Rcoop d’un autre salon de coiffure. Sauf que l’adresse du quartier Matonge fonctionne sur le modèle d’une coopérative. Elle est même la première coopérative bruxelloise à se concentrer sur les métiers de contact.
Bien qu’à l’arrêt en raison des mesures sanitaires, Rcoop turbine plein tube. 5 membres ont rejoint le groupe d’indépendants entre les 2 confinements. Et 2 attendent la fin de leur test JobYourself de 18 mois pour débarquer. C’est que la structure juridique de la coopérative (lire cadrée) assure aux coiffeurs, esthéticiennes, masseurs, couturiers, tatoueurs de ne pas devenir malades… d’inquiétude dans ce contexte pandémique.
Quand Rella m’a téléphoné en pleurs, j’ai d’abord eu très peur. J’ai dû lui demander si c’était des pleurs de joie

«Je suis rentrée à Rcoop le 1er novembre. Le 2 novembre, c’était le reconfinement. J’ai cru au désastre», témoigne Rella Diop. La catastrophe est pourtant évitée de justesse pour cette coiffeuse qui venait de quitter un salon où elle était salariée depuis 6 ans. «En tant qu’indépendante, je n’avais pas droit au chômage. Je ne savais pas comment faire pour vivre». Mais son statut tout neuf de coopératrice lui ouvre le droit passerelle. «Quand je l’ai reçu, j’ai appelé Marie-Charlotte en pleurant».
Trois pelés, un tondu
Marie-Charlotte Pottier, c’est la responsable d’Rcoop. «Quand Rella m’a téléphoné en pleurs, j’ai d’abord eu très peur. J’ai dû lui demander si c’était bien des pleurs de joie», sourit celle qui a la coopération tatouée dans la peau. «Tout était en ordre pour elle. Et comme les coopérateurs cotisent normalement et pas selon des cotisations sociales réduites de starters, leur droit passerelle est garanti». L’accueil de nouveaux membres en cette période à se faire des cheveux blancs montre aussi «la solidarité, la confiance mise en ses membres: on a permis à plusieurs personnes de s’en sortir, de ne pas renoncer pour retourner au CPAS. Et ça dément la croyance tenace que quand on se lance comme indépendant, on renonce à jamais aux aides».

Le 13 février 2021, les coiffeurs réempoignent les ciseaux. L’ancienne clientèle de Rella Diop la suit sans hésiter dans le salon où elle loue un fauteuil à la semaine pour minorer ses coûts, «surtout vu la crise». Et les files s’allongent à l’instar des extensions de cette spécialiste: «J’ai très bien travaillé». Marie-Charlotte Pottier remarque alors que «les clients sont revenus avec une autre humeur: plutôt qu’un moment de relaxation silencieuse, ils veulent désormais du bruit, de l’action, des blagues, la vie». Mais en mars, c’est plutôt trois pelés et un tondu. Rella Diop: «C’était très très calme». Eh oui, tous les Belges se sont fait ratiboiser en même temps.
Les clients sont revenus avec une autre humeur: plutôt qu’un moment de relaxation silencieuse, ils veulent du bruit, de l’action, des blagues…
Nouvelle tuile: le 27 mars survient le 2e baisser de volet. Comme la coiffeuse tisse ses perruques, Rcoop tisse alors des liens avec ses clients. Sur les réseaux sociaux notamment. De quoi remplir le carnet de rendez-vous dès la réouverture prochaine. Dans le même temps, le coaching de la coopérative se porte sur les nouvelles mesures sanitaires. Ainsi, le salon partagé de la rue de la Paix, où les loyers sont exonérés pendant la fermeture, acquiert le matériel de mesure du CO2 qui indique le moment de faire circuler l’air. Masques, gants, gel sont achetés en commun et distribués à chaque membre.
Résilience


Rella Diop est 100% rassurée. Et parée: «Je n’ai pas peur du tout. J’ai l’appareil qui me dit si je dois ouvrir les portes». Les habitués seront-ils au rendez-vous? «Des clients vont venir. D’autres ont toujours peur». Et Marie-Charlotte Pottier de déplorer «les informations qui ont longtemps affirmé que des foyers se déclaraient dans les salons esthétiques».
Alors qu'un codeco se profile ce mercredi 14 avril, Rcoop craint que les ministres coupent encore les cheveux en quatre. «Nous, on aimerait rouvrir», opine la responsable. «Mais on sait ce qui s'est passé en décembre: la date annoncée a été postposée. On est conscient qu'on ne rouvrira donc peut-être pas le 26 avril comme prévu. Mais on est résilient. Toutes les mesures sont respectées. On reste optimiste». Sans se crêper le chignon mais en «créant du lien».

«Les règles d’accès à la profession ou la gestion d’entreprise y sont des freins à la légalisation de l’activité», relate Marie-Charlotte Pottier, Responsable de Rcoop. «À Bruxelles, pour se lancer, il faut le diplôme de coiffure, esthétique, hygiène en tatouage…, ainsi que le diplôme de gestion nécessaire à tout indépendant». Deux obstacles qui poussent de nombreux pros, pourtant chevronnés, à se cantonner dans les marges du travail au noir.
Mise en plis
Le quartier, réputé pour ses nombreuses adresses spécialisées dans le tressage, l’extension, la teinture, la couture de vêtements de cérémonie, est donc dans le viseur de l’inspection du travail. Les amendes pleuvent. Marie-Charlotte Pottier: «Ce n’est pas spécifique à Matonge. Mais le quartier est connu et central. Il est facile d’y contrôler les travailleurs».

À ces problèmes légaux s’ajoute l’absurdité d’une certification quelque peu surannée. «Qui fait encore une mise en pli aujourd’hui?», se questionne la responsable. «Le jury central de coiffure, qui la demande ainsi qu’une coupe homme et une coupe femme, n’est pas très moderne. Je juge aussi complètement incroyable d’exiger 3 ans d’étude à des professionnels qui exercent depuis des années. Ce sont des spécialistes du tressage, du tissage, des dreadlocks, qui en font la majorité de leurs journées de travail».
Exiger 3 ans d’étude à des pros qui exercent depuis des années, c’est incroyable. Ce sont des spécialistes du tressage, du tissage, des dreadlocks, qui en font la majorité de leurs journées de travail
La difficulté de se conformer au système en place tient aussi aux parcours de vie. Rella Diop confirme. «Après 3 ans de formation en coiffure à la rue Bara, j’ai échoué à mon examen parce que mon français n’était pas suffisant aux yeux des examinatrices». Pour cette coiffeuse, salariée pendant 6 ans à Matonge, l’administratif semble insurmontable. «Je voulais me lancer comme indépendante mais je ne savais pas comment. Ça me prenait tellement la tête! Quand une amie m’a parlé d’Rcoop, ça a été une libération».
Tressage brésilien
Face à ces obstacles récurrents, la coopérative permet en effet aux pros qui y adhèrent de ne plus s'arracher les cheveux. «Comme un patron de salon peut salarier des employés dépourvus de diplôme, la structure juridique d'Rcoop fait profiter de l'accès à la profession à tous nos membres», résume Marie-Charlotte Pottier. Voilà pour l'aspect légal. Mais ce n'est pas tout: Rcoop mutualise les ressources. Comptabilité, administration, fiscalité, communication sur Instagram et Facebook, cartes de visite, achats groupés de produits esthétiques voire loyer du salon rue de la Paix pour ses 5 occupants: la stratégie est de réduire les coûts. Pas uniquement pour les coiffeurs: «Nous sommes ouverts à tous les professionnels qui justifient d'une activité dans les métiers de contact».
En avril 2021, Rcoop compte 13 membres et 3 frappent à sa porte: coiffeurs, couturiers, esthéticiennes, masseurs. Leur part est fixée à 50€. «Chaque mois, le coopérateur ramène ses chiffres de caisse et ses factures. On assure sa compta, on retire la TVA, les cotisations sociales et le pourcentage de 8% dû à la coopérative pour les frais. Ses bénéfices lui reviennent, évidemment». Ils ne sont donc pas identiques pour chaque coopérateur. «En fin d’année, on calcule ce qui reste des 8% versés chaque mois et les coopérateurs décident de leur destination».
L’une de nos membres, pourtant proche de la retraite, en avait marre de l’aspect administratif de son métier. Mais voulait surtout terminer sa carrière en s’entourant.

Plus fort peut-être: un partage de valeurs puisque la coopérative se veut à finalité sociale. Et puis, Rcoop rassemble. «On rompt l’isolement des indépendants», sourit Marie-Charlotte Pottier. «Cet aspect relationnel est très fort». Com, spécialisations, monnaies locales, actualité de la profession…: ça papote beaucoup sur le Whatsapp de la coopérative. Et ça se refile des clients. Parce que tout le monde ne pratique pas le tressage brésilien, la coupe afro ou le soin naturel. Ce qui questionne aussi ceux qui confient leur look aux brosses, pinceaux, lisseuses, limes à ongles ou huile de massage des coopérateurs. «Notre fonctionnement est inédit: nous sommes les premiers à travailler en autogestion à Bruxelles. Avec horaires libres, sans patron, loin du classique système pyramidal des salons, mais ensemble», se félicite la responsable. «C’est ce qui a motivé l’une de nos membres, pourtant proche de la retraite. Elle en avait marre de l’aspect administratif de son métier. Mais voulait surtout terminer sa carrière en s’entourant».
+ Rcoop organise une séance d’info en ligne le 26 avril 2021 à 14h, dans le cadre d’une semaine d’info sur l’entreprenariat programmée par le 1819. Autre séance avec Rcoop: les atouts des espaces partagés (26 avril, 18h). C’est gratuit.