Avec DomiHome, l’app bruxelloise qui «ubérise» les soins à domicile, l’infirmière est à un clic
L’app DomiHome «crée des ponts» entre patients et infirmières à domicile indépendantes. Lautfi Kraï, son créateur, est lui-même infirmier. Il s’est servi de son expérience pour lancer le concept. Qui réunit 2000 pros de la santé.
Publié le 07-01-2021 à 09h30
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«Du flouze pour nos blouses, un peu plus de blé pour le secteur de la santé».
Sur ce terrain de foot anderlechtois, une équipe d’infirmières affronte des costars cravates. Et leur empilent les buts à coups de feintes et passements de jambes. Mais quand une adversaire en tailleur s’effondre, l’une des blouses blanches n’hésite pas à sortir la bande de crêpe.
«Je voulais conscientiser et revaloriser les infirmières. C'est un match entre personnel soignant en souffrance et les dirigeants qui ne semblent prendre conscience de leurs revendications que de puis la crise du covid. 600 millions sont débloqués pour 2021 et 2022 mais il faut songer au long terme». Lautfi Kraï est l'auteur de ce clip bien ficelé. Lui-même infirmier depuis une décennie, l'habitant de Dilbeek y a embrigadé des collègues médecins et infirmiers. On y reconnaît aussi le roi des figurants Daniel Thielemans en supporter acharné et patient du rond central. «La 3e vague du titre, c'est celle de l'espoir et du changement. En tant qu'infirmier et pro du secteur, je me sens concerné».
Car Lautfi Kraï est aussi fondateur de DomiHome. Depuis 2019, cette plateforme web doublée d'une app mobile met en relation patients et infirmiers et infirmières à domicile indépendants. Pour une injection, un renouvellement de pansement, une dialyse, le retrait de fils de sutures, des soins d'hygiène, une prise de glycémie pour diabétique…, le patient dispose de deux options. La première lui permet, après connexion, de sélectionner en fonction de son domicile l'infirmière dont le secteur d'activité correspond. Ces derniers sont renseignés via codes postaux au moment de l'inscription. La professionnelle est prévenue par mail ou dans l'app et revient alors vers le patient pour confirmer le rendez-vous.
Ubérisation
«Mais nous disposons aussi d’une autre option: le soin instantané», précise Lautfi Kraï. Pour ce service, pas besoin d’enregistrement. «Le patient, mais aussi ses proches, un médecin, un assistant social, peuvent demander un rendez-vous instantané». L’app répercute alors la demande aux infirmières de proximité en action dans la zone. «C’est en quelque sorte une “ubérisation” des soins à domicile: le professionnel se positionne et garantit qu’il répondra à la demande». Si le rendez-vous est pris en charge par un soignant, l’annonce disparaîtra des comptes de ses confrères et consœurs.

La relation soignant/soigné est délicate. Même si vous travaillez bien, que vous donnez le max, vous pouvez obtenir une note négative
«Ubérisation», voilà bien un terme qui peut refroidir les pros de la santé comme les patients soucieux de conditions de travail éthiques. «L’idée est dans le dynamisme, la modernité, l’innovation. Car aucune plateforme du genre n’existait. ON y évite aussi de passer par un annuaire “à la carte” pour des soins dont on a de toute façon besoin», défend le fondateur. Qui préfère pour l’instant laisser les évaluations dans la sacoche des développeurs. «à la base, on pensait proposer une appréciation des infirmières sur base de la ponctualité, de la qualité des soins, de la politesse. Mais la relation soignant/soigné est délicate. Même si vous travaillez bien, que vous donnez le max, vous pouvez obtenir une note négative». Lautfi Kraï n’abandonne cependant pas ce concept tellement décrié pour les voituriers: «ça pourrait renforcer la plateforme».
Amputé
Lancé en 2019, DomiHome rassemble aujourd’hui «plus de 2.000» infirmiers et infirmières à domicile, dont «plus de 500» en Belgique. La grosse majorité des soignants est en effet active en France, ainsi qu’au Luxembourg et en Suisse mais «dans des proportions non représentatives». Chez nous, tous et toutes sont diplômés et enregistrés auprès de l’Inami, ce qui donne droit aux remboursements. L’idée en est venue à son concepteur alors qu’il perçoit beaucoup d’inquiétude dans son travail d’infirmier à l’hôpital Erasme. «Aux urgences, il m’est arrivé de rencontrer une personne amputée qui devait rentrer chez elle. Elle n’avait pas de médecin traitant. On était dimanche. Elle ne savait pas quoi faire». Ce cas de figure est fréquent en 10 ans de carrière de blouse blanche. «Il y a aussi ces patients qui entrent en hôpital de jour à 8h et sortent à 16h, complètement livrés à eux-mêmes».
Je voulais aussi donner une visibilité aux indépendants par rapport aux grosses structures qui rassemblent des dizaines de salariés

Alors le professionnel, désormais enseignant infirmier, a voulu «créer un pont». «Ce n’est pas le boulot des médecins ou des mutuelles de trouver une infirmière à domicile. Et Google n’est pas fiable. Je voulais aussi donner une visibilité aux indépendants par rapport aux grosses structures qui rassemblent des dizaines de salariés: DomiHome permet une meilleure répartition des soins à domicile.
Jusqu’ici 100% gratuite des deux côtés, la plateforme a été développée sur fonds propres. Son fondateur «y croit». Il espère obtenir un financement régional. «Le patient ne payera jamais. Mais pour couvrir les frais de développement, il se pourrait qu’on introduise des formules de cotisations du côté des soignants». Bref, là aussi, il faudrait «du flouze pour nos blouses».