Justicier masqué du design, il lance un masque en plastique recyclé 100% bruxellois
Le Bruxellois Justin Lalieux lance un masque en plastique recyclé 100% «made in Brussels». Le designer veut remplacer les masques jetables. Et prévient: il créera d’autres objets en matériau recyclé. «C’est la responsabilité sociétale du designer de 2020».
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Publié le 26-11-2020 à 15h07
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«Un designer, on ne lui apprend pas la notion de responsabilité sociétale ou écologique. Or, si je dessine une table 2cm plus ou moins large, elle permettra de rentrer deux rangs de palettes en plus ou en moins dans le camion. Si le camion vient des pays de l’est, ça change tout au niveau de l’impact CO2».
Peigne
Cette réflexion en tête, Justin Lalieux lance Blabel. La première création de son entreprise est un masque en plastique souple, recyclé et recyclable, fabriqué localement à Bruxelles. Un cadeau pour vous, pour la société, ses malades et ses soignants, et pour la planète. «C’est le Tupperware du masque», selon le designer bruxellois, qui estime sa durée à 15 ans. «Voire aussi longtemps qu’un bloc Lego». Avec ses 5 filtres d’origine, lavables en machine ou à la main, «son potentiel est de 625 utilisations, soit 3 centimes une». 20 fois moins cher que le prix d’un masque chirurgical jetable vendu dans les grandes enseignes du pays. «Et si on trouve un vaccin, ce qui est souhaitable, on le range dans un tiroir jusqu’à la prochaine pandémie». Dans ce cas, vous pouvez aussi renvoyer le masque à Blabel qui le recyclera en granulé de plastique (lire cadrée).

C’est le Tupperware du masque: il tient aussi longtemps qu’un bloc de Lego. Si le vaccin arrive, rangez-le dans un tiroir. Vous le ressortirez dès qu’il faudra
On le comprend, Justin Lalieux ne veut plus voir les masques jetables traîner dans nos rues. «Ces jetables, c’est pas du papier: c’est du plastique. C’est ça qu’on vise: remplacer les 3 chirurgicaux quotidiens portés sous le nez. Je viens d’avoir 40 ans, je n’ai pas designé que des produits responsables dans ma carrière. Je me suis donc lancé le challenge de remplacer ces aberrations avec un produit recyclé». Blabel est lancée en juin par 4 partenaires. Il faut alors dénicher un prestataire capable de fournir la matière première «car le plastique souple recyclé, c’est un matériau difficile et rare». C’est là que le réseau de Justin Lalieux intervient. Car l’homme est aussi coach au MAD Brussels, plateforme bruxelloise d’expertise en mode et design. «Je bossais sur mon masque et ma meuf m’a rappelé ce peigne en plastique créé par un designer».
G. I. Joe

Ce créatif aux cheveux toujours bien peignés, c’est Guilain Sevriere. Avec Bel Albatros, ce touche-à-tout se donne pour objectif de ne créer qu’avec du plastique recyclé «et ainsi éviter qu’il termine dans la mer, dans l’estomac des albatros», schématise-t-il en enfilant des emballages de vêtements dans sa granulatrice. D’où ce peigne non rigide qui fait classe dans la poche de chemise. L’objet au look vintage sort droit d’un moule à bakélite des années 50 retrouvé à Koekelberg dans l’atelier de Belgiplast, dernier injecteur-mouliste bruxellois. C’est là que Guilain Sevriere a installé ses machines (lire cadrée), et que Blabel produit ses masques en plusieurs coloris. Nom de code: MSQ01.
Les jetables, c’est pas du papier: c’est du plastique. Je n’ai pas designé que des produits responsables. D’où mon challenge: de remplacer ces aberrations

Les premiers envois décollent cette fin de semaine de L’Ouvroir. L’atelier de travail adapté découpe les filtres au laser dans un tissu gantois et assure le packaging. Détail insolite: le carton d’emballage, forcément recyclé et recyclable, intègre un gabarit de perçage qui vous permettra de découper vous-même des filtres supplémentaires, par exemple dans des mouchoirs en papier. «On va d’abord produire 2500 masques pour nos débuts. Mais on rêve d’en vendre 50.000 pour que ça ait un impact. Aux entreprises notamment. Dans ce cas-là, on engagera et on mettra en place une 2e machine», promet Justin Lalieux, qui a investi une partie de ses économies. «Mais le véritable but de Blabel, c’est de multiplier les produits design recyclés. Je pense à des gourdes, des boîtes à tartines pour les enfants, des jouets…»
Et le designer de rêver tout haut d’un ersatz de G.I.Joe en plastique recyclé. «Plutôt que des figurines guerrières, ces poupées représenteraient des travailleuses d’ONG belges qui luttent pour réinsérer les enfants-soldats». On parlait de responsabilité sociétale?

Le plastique moulé dans les masques MSQ01 est récupéré par Bel Albatros via Bruxelles Propreté. Un partenariat en test avec l’agence de ramassage bruxelloise permet à Guilain Sevriere de s’approvisionner dans les centres commerciaux City2 et Woluwe Shopping. «Ce sont les films plastiques qui enveloppent les vêtements neufs», précise le designer. Pour d’autres projets, Bel Albatros espère aussi récupérer les couverts en plastique désormais interdits dans les chaînes de restauration rapide. Des caisses de paille s’empilent d’ailleurs déjà dans l’atelier de Koekelberg: «J’ai reçu 1,5 tonne de pailles, soit un million d’exemplaires, de la part de Coca-Cola. Et j’espère pouvoir travailler avec eux», glisse Guilain Sevriere.
Comment le masque est-il fabriqué?

Dans l’atelier de Koekelberg, Guilain introduit manuellement les housses de plastique transparent dans une antique machine quasi artisanale appelée granulatrice. Celle-ci est munie d’une extrudeuse, «comme une machine à spaghetti. Elle produit des petits grains qui sont ensuite refroidis pour éviter qu’ils coagulent». Ces millions de pellets passent ensuite à l’étuve pour neutraliser l’odeur plastique. Pour les colorer, Bel Albatros leur adjoint des résidus de pellets colorant issus de l’industrie plastique. Le dosage se fait finement, comme dans l’alimentaire. Enfin, les granulés sont versés dans la presse à injection où le piston envoie le plastique dans le moule, pièce d’orfèvrerie industrielle semblable à un moule à gaufre high-tech fabriqué à Liège. «La pression est énorme: 40 tonnes. ça permet de bien diffuser le matériau dans les finesses du moule». Le masque est éjecté à 80 degrés: reste à lui adjoindre son protège-filtre en tamis clipable et à le mettre en boîte.
Le masque est-il Covid-proof?
Le masque MSQ01 de Blabel a reçu le label « Covid-19 Approved » de Centexbel, le centre scientifique et technique de l'industrie textile belge. À en croire Justin Lalieux, il présente un taux de filtration de 88%.
Des différences par rapport au masque en tissu?

L’avantage principal de ce masque en plastique recyclé selon Justin Lalieux, c’est que «bouche et nez n’y sont jamais en contact avec le filtre, au contraire des masques en tissu ou jetables. De plus, la condensation y ruisselle au fond: elle ne se répand donc pas dans l’atmosphère». N’est-ce pas contraignant? «La condensation est normale. Son absence serait le signe que le dispositif ne fonctionne pas. Elle se produit aussi dans un masque de tissu. Mais avec le plastique souple, vous pouvez l’essuyer et elle ne se prend pas dans le filtre. D’ailleurs, je l’utilise même en faisant du sport». Autre avantage: la buée sur les lunettes n’est plus qu’un lointain souvenir. «C’est grâce au joint autour du nez, assez proche». Enfin, l’élastique ajustable permet de choisir une fixation derrière les oreilles ou la tête.
Le recyclage, c’est forcément moins cher, non?
«Le commun des mortels pense d’instinct que le matériau recyclé est moins cher, voire gratuit. Mais ce n’est pas vrai», corrige Guilain Sevriere. «D’abord, il y a la collecte qui demande de la main-d’œuvre. Ensuite, il faut entrer les sacs manuellement dans l’extrudeuse». Selon les entrepreneurs, c’est plutôt le plastique neuf qui «ne vaut quasiment rien». Justin Lalieux: «Le plastique vierge, c’est plus facile et nettement moins cher. Le recyclé introduit une complexité indéniable. Mais je n’aurais jamais lancé un masque en plastique neuf car on est comme sur un champ de lave dont le niveau monte et qu’on continue d’alimenter». On le comprend, pour ces deux compères, c’est toute la chaîne qui doit changer. «Si l’objectif était uniquement financier, on se serait jamais lancé dans un masque».
