Avec la patrouille covid à Forest: «Vous savez pourquoi je vous interpelle, Monsieur?»
Depuis ce 12 août, le masque est obligatoire partout à Bruxelles. On suit une «patrouille covid» de la zone de police Midi chargée de le rappeler aux Forestois. Avec le sourire, qu’on devine sous le tissu. Le carnet de contredanses «ça sera pour demain ou après».
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- Publié le 12-08-2020 à 23h32
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«Monsieur, vous n’avez rien oublié?»
Sur le trottoir de l’avenue Besme, le passant écarquille les yeux. Mais aucun doute, c’est bien à son intention que la patrouille Cora3.5 a ralenti sa Jetta. «Bah oui mais je fume, là». Réponse amusée depuis la voiture: «Faut faire un trou dans votre masque alors». Sourire un chouïa crispé: «Je termine ma clope». Haussement d’épaules sur le siège conducteur: «Oui mais mettez votre masque, Monsieur».
L’information tourne tellement bien au niveau politique, sanitaire et médiatique que les gens sont réceptifs
Ce 12 août, les contaminations hebdomadaires au Covid-19 ont dépassé la barre des 50 cas sur 100.000 habitants en Région bruxelloise. Et comme l'avait promis le ministre-Président Rudi Vervoort, le masque est désormais obligatoire partout dans l'espace public. Sur les 19 communes. Dès lors, la zone de police Midi modifie quelque peu ses missions. «On veillait déjà au port du masque dans certaines zones commerçantes. Là-bas, on verbalise depuis quelques semaines. Avec l'arrêté d'aujourd'hui, on repart dans la sensibilisation partout ailleurs», nous briefe l'Inspecteur principal Benyamin Yaalaoui avant de décoller du commissariat forestois de la rue du Patinage.

Les cafés fermés par dizaines
Première étape: l’Altitude Cent. Autour de l’église bien connue, les restos attirent les riverains. «La plupart des gens respectent déjà les règles», constatent les policiers après avoir fait la remarque à une troupe s’agglutinant dans un arrêt de bus pour fuir la lourde pluie d’été. «L’information tourne tellement bien au niveau politique, sanitaire et médiatique que les gens sont réceptifs». En effet, quand elles ne l’arboraient pas, toutes les personnes croisées ce soir à Forest avaient le masque à portée de main. Et un simple rappel avec le sourire, parfois juste d’un geste des doigts à travers le pare-brise, a suffi à chaque fois pour voir nez et bouche disparaître sous le tissu.
La distanciation dans les parcs est mieux ancrée qu’au début de la crise. Beaucoup de gens s’y rassemblent en cercle, avec 1,50m d’écart entre chacun
L'enjeu du masque est capital pour la zone Midi. Ce 12 août en effet, Anderlecht trône en tête du classement bruxellois du taux d'incidence compilé par Sciensano avec un score peu enviable de 85/100.000. Forest (62) et Saint-Gilles (60) sont aussi dans le top 10. On reste loin des niveaux anversois, mais les autorités communales qui pilotent la zone ont décidé depuis 2 semaines déjà d'intensifier les «patrouilles covid». Le dernier week-end, 29 cafés et restos ont ainsi été fermés au cours de 166 contrôles ciblant l'horeca. 73 PV pour non-respect du port du masque ont été dégainés.

«Ah pardon, je savais pas»
La patrouille forestoise descend vers le parc de Forest. La vaste étendue de pelouse a été pointée du doigt pendant le confinement tant les Bruxellois, pour beaucoup en manque d’espace vert, s’y agglutinaient. Tout est calme ce soir: la drache a douché les motivations. «Notre division compte le parc de Forest, le parc Duden, le parc du Bempt… La distanciation y est mieux ancrée qu’au début de la crise», note l’inspecteur. «Beaucoup de gens s’y rassemblent en cercle, avec 1,50m d’écart entre chacun». Chicane par le quartier des prisons pour prendre le pouls dans un night-shop (lire cadrée). Au détour d’un ralentisseur, un groupe de jeunes discute le coup sur le trottoir. Les masques leur font des écharpes bleu ciel dans le cou. La vitre de la voiture 4913 s’abaisse et le ton s’élève: «Demain, ça sera l’amende, hein!»
Aux jeunes, on explique les conséquences possibles de la maladie pour leurs proches et ça passe mieux. On incarne ce côté moral


La VW glisse vers le bas de Forest et la populaire place Saint-Denis. Avec ses boucheries, épiceries, cafés, centres de paris et night-shops, le très dense quartier scindé par la colonne vertébrale de la chaussée de Neerstalle est dans le viseur depuis un petit temps déjà. «Vous savez pourquoi je vous interpelle, jeune homme?» Le binôme qui nous guide dans Forest fait partie du service Koban. Cette police de proximité se base sur le contact avec citoyens et commerçants pour résoudre des problématiques comme le deal de rue, le tapage ou le vol à l’arraché. Les missions covid se rajoutent à leur agenda, «ce qui n’est pas simple car le reste ne s’arrête pas». Mais le contact facile des agents avec le citoyen allège leurs remontrances, même chez les jeunes. «Ah? Pardon, je savais pas», rétorque le ket. «On leur explique les conséquences possibles de la maladie pour leurs familles et ça passe mieux. On incarne ce côté moral», soutient l’Inspecteur Yaalaoui. «De toute façon, il faut que tout le monde joue le jeu, même ceux qui n’ont pas de proche. C’est pour ça qu’il y a aussi le côté répressif: il faut qu’on en sorte maintenant».



On le constate avec lui dans cette boucherie de la chaussée de Neerstalle. Le magasin, qui fait aussi épicerie, s’étire en couloir étroit le long d’un comptoir en verre. Quand la patrouille entre, tout le monde est masqué. «C’est toujours difficile: y a des gens qui s’en foutent», déplore Aniss Bougar, le patron. Le commerçant n’est pas certain du nombre de clients autorisés dans sa boutique. 4 ou 5? Il s’est renseigné auprès de la commune. Pour ceux qui oublient encore la précieuse barrière à élastiques, le boucher a la parade: «Je leur offre un masque parce que les gens sinon, ils restent dehors et ça va pas». Pourquoi pas un masque avec le nom du magasin? «Non, ça c’est trop cher».
Le son de cloche est identique dans un night-shop du plus huppé quartier Brugmann. «Au début de la crise, c’était plus difficile», concède Arthur de derrière sa protection de plexi. «Je dirais que 90% des gens viennent avec le masque. Y en a toujours quelques-uns qui font chier, qui s’énervent. On les renvoie chez eux!» Conciliant, le jeune homme faisait parfois l’aller-retour vers le seuil «pour un paquet de clope». Changement de règle: «les clients n’ont plus le choix: maintenant, faut même l’avoir sur le trottoir».
Y en a toujours quelques-uns qui font chier, qui s’énervent. On les renvoie chez eux!

Cette nuit du 12 au 13 août, les hommes de l’Inspecteur Yaalaoui devaient planquer près d’un autre night-shop. Les policiers ont été tuyautés par un voisin «grâce à de bons contacts». L’endroit ouvrirait en stoemeling après le couvre-feu obligatoire de 23h. Délation? Il semble que ce genre d’info se multiplie depuis l’arrivée de la maladie. «On est obligé de vérifier. Mais pour qu’il y ait “délation”, il faut une volonté de nuire. Ici, ça part souvent d’une bonne intention. Les gens sont inquiets. Mais parfois, on prévient le dispatching qu’il s’agissait d’une dénonciation un peu abusive et dans ce cas, la personne est rappelée pour lui expliquer».
Il ne faudrait pas que le virus de la délation ne s’empare aussi de Bruxelles…