Coronavirus | 4.500 tabliers médicaux par jour au FabLab de l’ULB: «On planche sur un rouleau à déchirer comme du papier-toilette»
PHOTOS & VIDÉO | Le FabLab de l’ULB a designé en urgence tabliers et blouses médicales pour renflouer les stocks de nos hôpitaux. Pionnier mondial sur les visières transparentes, l’atelier des anciennes casernes d’Ixelles bosse non-stop dans la lutte contre le Covid-19. Visite bercée du ronronnement des imprimantes 3D.
Publié le 24-04-2020 à 13h51
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Sur 4 tables munies de lames, des rouleaux de plastique transparent se déroulent. La matière est scindée en deux, trouée à intervalles réguliers, puis deux paires de mains la rangent dans une boîte. Dans un coin de la pièce, ces cartons s’empilent. Chacun contient 24 kilos de ce plastique muni d’encoches, soit quelque 500 tabliers. Ils sont destinés aux hôpitaux dans la crise du coronavirus.
La production quotidienne de tabliers médicaux du FabLab de l’ULB atteint aujourd’hui 4.500 pièces. Après une semaine seulement. «C’est pas mal! Pour donner une idée, Erasme en utilise 1500 par jour», se félicite Thomas Defoin, jeune diplômé en polytech venu donner un coup de main. «Tous les médecins et infirmiers traitant le covid en changent entre chaque patient. Taille unique: une gaine de 80cm de large avec les trous pour la tête et les mains».

Avec des manches, comme les capes de coiffeurs
C’est l’hôpital Erasme qui a impulsé la conceptualisation. «On bossait sur les masques et visières (lire ci-dessous) quand Erasme nous a alertés d’une pénurie de blouses. Il fallait un ingénieur pour mener le projet. Alors le professeur Alain Delchambre me l’a confié», contextualise Lucas Secades, mémorant en master 2 polytech. On parle bien ici de «blouses», avec des manches donc, un peu dans l’esprit des capes de coiffeurs. «On a bossé dessus deux semaines, en collaboration avec d’autres hôpitaux. Mais finalement, Erasme a trouvé une solution pour ses blouses», continue Jeanne Longlune, étudiante ingénieure bac 2 en polytech. «Il leur fallait maintenant des tabliers». À enfiler au-dessus d’une veste de médecin en coton, donc.


Ainsi, la réflexion du FabLab se scinde en deux: il faut continuer à produire des tabliers pour Erasme, mais aussi concevoir des blouses pour Saint-Pierre et Charleroi, qui s’étaient montré intéressés. Pour celles-ci, les étudiants prototypent une presse électromécanique pour dérouler et thermocoller le polypropylène non tissé, une matière plastique au rendu proche d’un tissu. Jeanne Longlune: «Des moteurs d’imprimante 3D abaisseront la presse et des filaments chaufferont le plastique pour le souder hermétiquement d’un côté puis le couper de l’autre». Cette presse remplacera le fer à souder utilisé pour les prototypes qui ont reçu l’aval des hôpitaux. «Ça devrait être jouable pour une blouse en 30 secondes».
Un rouleau à déchirer, comme du papier-toilette
Du côté des tabliers, le procédé 100% mécanique utilisé d’abord ne permet pas encore d’externaliser la production en industrie. «Deux personnes qui découpent une à une les feuilles de plastique, c’est trop de main-d’œuvre pour un industriel. Et difficile à mettre en œuvre à cause des distances de sécurité dues au virus», relève Sharon Encart, ingénieure biomédicale venue prêter main-forte à son ancienne univ. «L’idée, c’est de réduire à un seul opérateur pour augmenter le rythme. On réfléchit donc à une presse qui s’abaisserait pour percer les encoches d’un coup». Voire mieux: «l’idéal serait un poinçonnage: la machine déroulerait le polyéthylène, le percerait en pointillé, puis le réenroulerait». Le rendu serait plus pratique: le personnel soignant pourrait arracher un tablier au rouleau comme un morceau de papier-toilette. «On triplerait ou quadruplerait ainsi le rythme de production», estime Sharon.
Quand tout sera au point, le processus sera «out-sourcé», comme jargonnent les étudiants. Et le FabLab planchera sur d’autres concepts.



«Au départ, on a utilisé les vieux stocks de transparents de l'univ: et y en avait!», plaisante Alain Delchambre, prof en polytech et l'un des trois coordinateurs du FabLab. «Ensuite, des industriels nous ont fourni un matériau de 200 microns». Des dizaines de boîtes de transparents sorties des années 1990 s'empilent encore dans un coin, retourné au désintérêt des chercheurs et à la poussière. Les matériaux sont livrés grâce au concours de la Fondation Michel Cremer sur base d'un financement de départ de 10.000€ suivi d'un appel au don.
3 designs différents
La production a démarré par 300 visières par jour. Mais au fil des réflexions, du peaufinage des tablettes de perçage ou de forage, des mises au point des imprimantes 3D et des découpeuses laser, la cadence a augmenté. Ainsi, une centaine de bénévoles, étudiants, anciens, chômeurs temporaires et seniors, se relayent en shifts de 4h pour atteindre quelque 6.000 visières par jour. Au sein du FabLab des casernes, mais aussi grâce à l’apport de «makers» qui fabriquent chez eux.

En coordination avec les médecins de Saint-Pierre, qui testent les prototypes en conditions réelles, le FabLab conçoit 3 modèles de visières: un support imprimé en 3D, un support en bandelettes découpées au laser et enfin un support industrialisé dans l’usine Quicktools de Gand, qui en fournit 2.200 par jour sur base d’un moule développé en 48h avec l’appui de l’ULB. «Nous continuons les 3 filières tant que l’approvisionnement en matière première est assuré».
Laser VS imprimante 3D
Chaque modèle a ses points forts et faibles. Alain Delchambre: «L’avantage du 3D, c’est que la machine est répandue: on peut fournir le fil de matière première aux particuliers qui livrent chaque semaine leur production. Mais la production est relativement lente, de deux supports en 1h. Les lanières découpées au laser sortent plus vite: à peu près une à la minute. Mais la poussière de plastique encrasse la machine et on ne trouve pas de filtre sur le marché actuellement». Rayon efficacité, le professeur estime le modèle «à bandelette» plus opportun pour le grand public «car le tour de tête est réglable et plus flexible». Le modèle industrialisé quant à lui se veut «plus rigide: il convient davantage aux métiers qui exigent de la précision». Donc les hôpitaux et maisons de repos.
Désormais, les énergies se concentrent à «faire sortir la production du FabLab» vers l’industrie. C’est là l’essence de ce type d’atelier: son hyperflexibilité permet d’innover rapidement puis, en externalisant ses designs, se recentrer rapidement sur de nouveaux défis. Comme celui de «formaliser une visière qui soit agréée par Sciensano dans l’éventualité d’une nouvelle épidémie». Histoire d’encore gagner quelques précieuses heures sur le prochain virus.
«La crise est mondiale, il faut des solutions mondialese»
Denis Terwagne, vous êtes physicien, professeur à la fac des sciences de l’ULB et l’un des coordinateurs du FabLab basé aux casernes d’Ixelles. Les processus de fabrication que vous mettez au point ne sont pas destinés au vase clos.
Dès le début du projet «visières», nous avons publié une documentation ouverte. Elle est désormais utilisée par d’autres FabLab universitaires, à Munich, Namur, dans le Hainaut, mais aussi par des milliers de «makers» locaux.
Comment ce réseau fonctionne-t-il?
L’ULB est connectée à un réseau de 2.000 FabLabs dans le monde, initié par le MIT à Boston. Nous y rencontrons des experts mondiaux de Stanford, Harvard... pour y échanger notre façon de procéder dans la conception de nos prototypes. Le réseau utilise la force du numérique pour des projets collaboratifs. La crise est mondiale et demande des solutions mondiales.

Outre visières et tabliers, vous avez d’autres projets en cours dans la crise du covid-19?
Nous tentons de concevoir des écouvillons, les petites brosses nécessaires au dépistage par le nez, et des adaptateurs pour transformer les masques de pompiers en masques FFP2.
Concrètement, à quoi ressemblent les documents que vous partagez?
Cette documentation, ce sont des plans. Ils permettent d'appliquer les processus aux machines de fabrication digitale. Le partage se fait sous la forme de logiciels ou de fichiers sources. Ainsi, un large réseau de makers à Munich a adapté notre visière à son contexte en modifiant le nombre de trous dont sa perforatrice était capable. Toutes ces techniques sont accessibles sur notre site web, reprenant les différentes solutions approuvées par le CHU Saint-Pierre.
Ce qui signifie qu’on peut reproduire vos visières partout?
Oui, parce que dans les FabLabs, les machines sont identiques et les processus similaires. Tous nos projets de designs sont accessibles en open source, sous une licence Creative Commons non-commerciale: les entreprises qui les reprennent ne peuvent donc pas réaliser de bénéfices en revendant et doivent en citer l’origine.
Ce n’est jamais le cas?
Malheureusement si. Mais vu la crise, nous ne perdons actuellement pas de temps à les poursuivre.
L’impact de votre travail dans la crise du coronavirus a quelque chose d’enthousiasmant?
Ce qui est fou, c’est que nous répondons à un réel manque. C’est d’ailleurs l’essence du FabLab: il est conçu pour imaginer des solutions rapides. Nous avons ainsi comblé un vide de 3 semaines dans la production de visières avant que l’industrie ne prenne le relais. C’est la destination de certains de nos prototypes: après validation, nous les faisons fabriquer par l'industrie.