«Certains arbres ont été plantés sous Léopold II»: les riverains exigent un destin royal pour «le poumon vert» du Donderberg à Laeken
LONG FORMAT | La friche de l’ancienne pépinière royale du Donderberg doit accueillir une école, un hall sportif et 49 logements. C’est trop de béton pour les riverains, qui exigent de la Ville une affectation plus princière pour ce survivant «jamais bâti» de la donation royale. On se promène entre lierre et arbres centenaires de ce site inimaginable, sur les traces de la reine Élisabeth.
Publié le 09-12-2019 à 16h19
«Ce paulownia, c’est la reine Élisabeth qui l’aurait planté. C’est ce que m’a dit la vieille dame qui m’a vendu la maison. Gamine, elle voyait la reine se balader ici derrière. Elle l’appelait: “Bonjour Madame la Reine! Au printemps, cet arbre donne de grosses fleurs mauves. Il est magnifique.”
Depuis sa cuisine, Philippe Prager porte le regard dans la verdure du Donderberg. La petite colline en jachère est ceinturée de hauts feuillus. Un jaune franc tranche l’arrière-plan vert bouteille de l’automne. «C’est la campagne ici, on est bien». La parcelle de ce Laekenois, installé depuis les années depuis les années 80-85 rue des Horticulteurs, sert de piste de décollage aux abeilles logées dans les ruches, derrière l’abri de jardin. «Eh oui, je produis mon propre miel». Mais la vue de Philippe sur «cette belle zone sauvage» pourrait s’obstruer.

Une école, un hall sportif, 49 logements
C’est que la Ville de Bruxelles a des plans pour bâtir cette étonnante friche restée vierge, dans le prolongement des parcs royaux. Le projet: implanter une école de 672 élèves, une conciergerie, un hall sportif, 49 logements et 119 places de parking souterrain. La commission de concertation pour ce lotissement dont les riverains refusent d’entendre parler s’est tenue ce 4 décembre (lire cadrée). Si le permis est accordé, un mur bloquera l’envol des abeilles de Philippe Prager. Et sa vue sur les bosquets préservés.
Certains arbres ont été plantés du temps de Léopold II. Le site comptait aussi la faisanderie où on élevait des faisans, des paons, d’autres mets royaux.

«Ici, c’était le jardin potager du roi et la pépinière royale. Certains arbres ont été plantés du temps de Léopold II. Le site comptait aussi la faisanderie où on élevait des faisans, des paons, d’autres mets royaux». Jos Brumagne, représentant du comité de quartier du Donderberg, se fraye un chemin dans le lacis de ronces, de lierre et d’arbres tombés. «La Ville a acquis ce terrain de quelque 3ha en 1969, via le CPAS. L’idée première était d’y construire des pavillons pour les pupilles de l’assistance. Aujourd’hui, la Ville fait semblant que le Donderberg ne fait pas partie de la donation royale». Or, les conditions d’usage des sites qui en résultent sont assez strictes: pas de lotissement, garder l’accès public... «La Ville interprète ça de façon très large».

Dans le bas du terrain, le projet doit creuser 3m en profondeur pour loger le hall sportif. «Le préau de l’école s’implantera sur son toit: les enfants verront directement dans les chambres à coucher des maisons en contrebas», s’étonne Jos Brumagne. «Ils vont garder quelques arbres remarquables mais au bout des jardinets, ça sera 60m de murs blindés». Confisquée, la clef des champs pour construire des cabanes ou s’allumer un petit barbecue entre voisins. L’entrée du site sera dessinée dans le coin sud-ouest, depuis la rue des Horticulteurs. «Comme tout le projet sans aucun accent sur le circulaire, cette nouvelle route se fera à l’ancienne, avec des pistes cyclables peintes», pointe Serge Malaisse, de l’ASBL Laeken.Brussels, depuis l’arrière des maisons côté ouest. «Or, nous sommes en intérieur d’Îlot. L’aspect des constructions existantes montre bien qu’elles ne sont pas prévues pour border une rue».
Une coulée verte

En haut du Donderberg, une route privée mène aux anciennes serres du Stuyvenberg. L'endroit est occupé par Bruxelles Environnement, qui y entretient quelques fruitiers. Au-delà du grillage, les ruines des verrières royales d'inspiration anglaise luttent contre les ronciers et fougères. «6 serres vont être rénovées sur les 20», révèle Jos Brumagne. Un tout petit verger sera créé». L'orangerie du passé n'y est plus qu'un souvenir qu'on ressort chaque année à l'ouverture des chefs-d'œuvre horticoles art déco, 1km plus au nord. Les deux riverains rigolent doucement de la promesse de la Ville de garder accessible le cheminement vert entre la rue des Horticulteurs et ce nouveau petit parc. «Ici, c'est l'endroit le plus proche des parcs royaux depuis Bockstael. Il faut garder le lien entre les sites historiques». Dans une coulée verte continue depuis le palais se succèdent en effet le jardin colonial où poussaient les espèces exotiques, le Stuyvenberg, le géométrique jardin du Fleuriste dont le nom parle de lui-même, le parc Sobieski et le Donderberg. «On investit des millions dans le contrat de quartier pour créer des "pocket parcs" ou le parc de la Ligne 28 mais ici, on va couper 151 arbres pour bâtir», grince Brumagne. Qui ironise: «Le "plan Canopée" annoncé cette semaine pour planter tout le territoire, c'est du pain béni».

Outre cette gabegie écologique, Laeken.Brussels comme le comité Donderberg craignent deux dégâts collatéraux du projet. Le trafic d’abord. «Le matin, le soir, avec les écoles du quartier, tout est bloqué», assure Brumagne. On le constate à la sonnerie du soir de l’école Européenne: la rue Médori est littéralement prise d’assaut par une caravane de dizaines de bus scolaires. «Une noria», commente Serge Malaisse, bouche bée. «Le projet au Donderberg remonte à 10 ans», nuance l’activiste. «À l’époque, il y avait une grosse croissance démographique à Laeken, où vit 40% de la population de Bruxelles-Ville. Mais depuis, d’autres établissements se sont ouverts ou ont été agrandis: l’École Maritime, Tivoli, Les Ursulines. L’ancienne fabrique de tabac Saint-Michel ouvrira à la rentrée et des projets sont prévus à Tour & Taxis et Neo. Et il y a encore cette école de musique à l’abandon. Nous pensons donc que les besoins scolaires sont caducs».
On investit des millions dans le contrat de quartier pour créer des “pocket parcs” ou le parc de la Ligne 28 mais ici, on va couper 151 arbres pour bâtir.
Autre crainte: les inondations via le ruissellement. «Les serres du Stuyvenberg disposaient jadis d’un système d’irrigation avant-gardiste», détaille Brumagne. «L’eau venait des étangs et bassins du jardin du Fleuriste. L’eau refroidissait même les plantes en été.» Mais aujourd’hui, tous les environs sont bétonnés. «L’eau qui coule du plateau du Heysel converge dans l’ancien Molenbeek, sous l’avenue du parc Royal. Mais ces égouts sont trop étroits et, lors de grosses averses, des inondations menacent le quartier. Avant, c’était une fois dans une vie. Désormais, c’est une inondation tous les 3 ans. Si on asphalte encore plus, où ruisselleront les pluies retenues aujourd’hui dans le Donderberg?»
«Sans grande envergure»


Au pied du noyer remarquable, les feuilles piétinées témoignent du passage des gamins du quartier vers leurs châteaux forts. Les deux riverains y portent le regard vers le clocher de Notre Dame de Laeken, le beffroi de Bockstael et, plus loin, le skyline du quartier Nord. «Si on construit, le panorama incroyable depuis la tour d’observation du Jardin du Fleuriste n’existera plus», regrette Serge Malaisse. «Plus important, ces parcs forment un ensemble écologique. Ils tempèrent l’îlot de chaleur urbain. La faune y profite de l’écosystème. Empiéter aura des conséquences». Renards, crapauds, mésanges, pics épeiche, écureuils, chouettes, chauves-souris ou hérons croisent régulièrement sur la friche. Plutôt que le petit verger «sans grande envergure», le duo plaide pour une affectation plus en phase avec l’histoire du mont, comme «un centre de classes vertes cogéré par la Ville et la Région, axé sur les légumes, les fruits, les plantes».
Jos Brumagne regarde ses chaussures de marche. «Cette terre n’a jamais été bâtie. Ce n’est pas un ancien entrepôt industriel à dépolluer et reconvertir. On peut y replanter dès maintenant les poireaux qu’on livrait jadis partout dans Bruxelles. C’est le poumon vert du nord de Bruxelles. Allez! On en a marre d’expliquer tout ça».

