Bruxelles s'emballe pour le zéro déchet (21) | ValueBugs: et si on élevait des mouches dans nos restes de repas? Les poules adorent...
Élever des mouches avec nos restes alimentaires: c’est l’idée derrière ValueBugs. Sabine participe à cette recherche citoyenne, expérience pilotée au sein du projet Phosphore pour revaloriser les déchets organiques bruxellois. On l’a rencontrée, mitonnant un gueuleton de larves pour les poules de son potager collectif.
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- Publié le 06-12-2019 à 14h12

L’appartement est minuscule. Pourtant, des milliers de locataires y sont domiciliés. Enfin, pour l’état civil auderghemois, il n’y a que Sabine et ses deux fils, Cyril et Louis. Mais dans la petite cuisine se cache aussi un véritable palace pour… larves. Elles grouillent, bien au chaud dans un seau à sauce de friterie de récup où la petite famille déverse ses restes de repas. Pain, coquilles d’œufs écrasées, épluchures, brocolis, patates… «Et elles adorent les pommes!», rigole Sabine en soulevant un demi-fruit complètement pourri.


La famille Prieus fait partie de la cinquantaine de «citoyens chercheurs» engagés dans l'expérience ValueBugs. Celle-ci est l'une des options testées par l'opération Phosphore pour «améliorer la gestion des ressources organiques sur la Région bruxelloise», comme le décrit le biologiste Francisco Davila. L'Ixellois de 34 ans bosse sur Phosphore pour l'ASBL Worms, spécialiste bruxellois du compostage. «L'idée de ValueBugs, c'est de produire des protéines animales à Bruxelles, avec pour horizon davantage de résilience». En gros: élever des mouches pour en donner les larves bien mûres aux poules, poissons, NAC («nouveaux animaux de compagnie») ou autres gourmands de nos intérieurs d'îlots.
Mouche soldat noire

L’espèce choisie, c’est la mouche soldat noire. Cette vorace de 15 à 20 mm est originaire d’Amérique mais s’est aujourd’hui acclimatée sur tous les continents. Son avantage, c’est qu’elle n’est pas difficile: ses œufs se développent sur tous les substrats organiques en décomposition. Viandes ou végétaux, peu importe: ça grouille, ça bouffe, ça gonfle. Sabine en déloge quelques rejetons en retournant son compost d’intérieur. Des vers blanchâtres fuient la lumière. «Quand les larves sont mûres, elles noircissent», décrit leur logeuse. «Elles grimpent alors sur le long du seau, comme des papillons. Puis elles tombent dans le sable au fond du second seau». Ne reste plus qu’à les récupérer. Au bout de 2 mois, les 4000 œufs du lot de départ auront éclos. Et Sabine recommencera un cycle.
Après un test à 7000 œufs, on est redescendu à 4000, soit le gabarit idéal pour la production de déchets organique d’une famille.

Fille d’un fermier et d’une meunière, Sabine a toujours vécu dans une démarche de non-gaspillage. Infirmière, elle récupère régulièrement les tonnes de contenants à usage unique que l’hôpital Saint-Pierre jette quotidiennement. Alors quand elle tombe sur le stand de ValueBugs à la Fête de la Biodiversité, elle se lance. «Ce recrutement remonte à deux ans. Après quelques brainstormings entre citoyens, je suis revenue avec un saut de larves». La famille n’a pas de poules. Mais elle participe au Potajoie, potager collectif du quartier du vieux Sainte-Anne à Auderghem. «Les enfants adorent les poules». Qui elles-mêmes adorent les larves de mouches, fraîches ou congelées.

Outre l’aller-retour au poulailler, la participation à ValueBugs demande un peu de discipline. C’est qu’il s’agit d’une recherche universitaire, financée par Innoviris via un appel à projets CoCreate. Alors Sabine note consciencieusement ses observations dans un semainier. C’est la routine pour l’Auderghemoise, qui dorlote son 4e lot. «Je récolte, je pèse, je note ce que je leur donne à manger. Au début, on recevait 1000 œufs: c’était trop peu. Après un test à 7000, on est redescendu à 4000, soit le gabarit idéal pour la production de déchets organique d’une famille».
Mouche à miel

Le processus de production de ces œufs est encore à l’étude. Aussi, Sabine se ravitaille chez ValueBugs. «Ils en achètent encore une partie mais l’objectif, c’est d’être autosuffisant». La mouche, autrement plus mobile, est plus délicate à élever que ses rejetons rampant. «Dans une grande boîte retournée, la mouche pond. L’enjeu, c’est de stimuler la ponte dans un endroit déterminé. Car les œufs sont minuscules», décrypte Sabine. «Ce qui marche bien, c’est le carton ondulé de plusieurs épaisseurs. Avec une goutte de miel, une mouche morte…»
Au début, les poules n’étaient pas habituées aux larves. Ça grouillait, elles s’effrayaient. Mais une fois qu’elles ont goûté, c’était parti!

Alors il faut bien l’avouer, quand le dispositif d’élevage tombe le couvercle, l’odeur a quelque chose de rebutant. «Au début c’est vrai, mais on s’habitue. Et puis avec un peu de marc de café, ça assèche le nid et atténue l’odeur», assure l’éleveuse. De toute façon ça tombe bien, c’est l’heure d’aller prendre l’air au poulailler. «Au début, les poules n’étaient pas habituées aux larves. Ça grouillait, elles s’effrayaient. Mais une fois qu’elles ont goûté, c’était parti!»


Comme une larve de mouche soldat noire, ValueBugs n’est encore qu’à ses premiers moments d’existence. Tout le processus est monitoré par des chercheurs de l’ULB insérés dans le projet Phosphore.
L’idée est donc d’abord de nourrir les petits animaux familiers de nos villes. Les poules, mais aussi pourquoi pas les chiens et les chats. Avant de s’inviter dans les assiettes humaines? Là, ça semble plus compliqué. «Les autorités belges, l’AFSCA et au-dessus d’elle le SPF Santé, restent réticentes à l’idée de nourrir avec des déchets des animaux qui, in fine, pourraient rentrer dans le système alimentaire», nous éclaire Francisco Davila, biologiste chez Worms ASBL.
Tout ce qui sort d’une cuisine privée reste aujourd’hui considéré comme un déchet.
Ainsi, concrètement, «tout ce qui sort d’une cuisine privée reste aujourd’hui considéré comme un déchet». La crainte, c’est la contamination de sous-produits animaux. Et cette crainte vaut aussi pour les mouches. «Mais vous savez, en retournant les composts, je retrouve parfois des légumes non-bios qui ne se décomposent pas», ironise le chercheur. «J’ai eu le cas avec un céleri: il restait vert après 3 mois! Quand on voit ces feuilles qui ne se bougent pas, on se demande vraiment ce qu’on mange».
