Margaux De Ré: «On pense que la Région bruxelloise n’a pas de pouvoir pour les droits des femmes mais c’est faux»
LA LONGUE INTERVIEW | Le Parlement bruxellois va se doter d’une Commission pour l’égalité des chances et les droits des femmes. C’est l’Écolo Margaux De Ré qui la présidera. L’occasion de rencontrer cette féministe convaincue en baskets équitables, au smartphone comme prolongement du corps. «Je suis toujours frappée de voir à quel point les nanas ne croient pas en leurs capacités et reproduisent les modèles sociaux», dit-elle en mesurant l’ampleur de la tâche.
Publié le 26-11-2019 à 15h57
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Assise dans un café branché de son quartier de Molenbeek, Margaux De Ré tapote sur son smartphone. Elle nous ressort une infographie publiée sur son mur Facebook. «Dans les professions libérales, les femmes sont majoritaires dans le secteur de la santé et de l’enfance. Mais leur présence diminue dans les métiers du chiffre, les architectes, les huissiers...»
La députée bruxelloise de 29 ans (Écolo) sait de quoi elle parle. Entrepreneuse dans la tech, elle a fréquenté un secteur très masculin dès ses études en com et audiovisuel. «J’ai été dans des endroits où on ne m’attendait pas. J’ai fait des études universitaires avant personne dans ma famille. Puis j’ai créé une start-up qui développe des solutions de mobilité. Ça m’a propulsée dans le monde de l’IT, où il n’y a pas beaucoup de femmes».
«L’écologie des petits oiseaux et des abeilles»
Avec un smartphone comme extension de son corps, du bagout et un sens du cadrage dans les animations en classes de sciences sociales aussi bien que sur Instagram, la Liégeoise d’origine s’impose dans ce milieu. Jusqu’à collaborer avec de gros acteurs du transport comme les TEC, la SNCB ou Cambio. Puis Écolo.
«Par hasard, j’ai postulé pour assurer la com digitale du parti. Je me suis fait prendre par leurs idées. D’abord la mobilité, les enjeux de digitalisation des services publics. Puis l’écologie des petits oiseaux et des abeilles», glisse la jeune femme en baskets équitables. Son profil atypique, «jeune/femme/entrepreneuse», la fait atterrir sur les listes en mai 2019. Avec 2510 voix, elle passe à un cheveu de sa frange tendance de l’élection directe. Puis hérite du siège parlementaire de la nouvelle coprésidente d’Écolo Rajae Maouane.

«Elles veulent faire infirmière ou instit»
Au Parlement bruxellois, elle intègre la commission économie et emploi «car elle comprend la transition numérique». À la FWB, elle bosse aussi sur les médias, la culture et... le droit des femmes, forcément. «Lors d’ateliers sur l’entreprenariat dans l’IT, je suis toujours frappée de voir à quel point les nanas n’y croient pas», déplore celle qui habite à Bruxelles depuis 2012. «Elles pensent qu’elles n’ont pas les capacités. Elles reproduisent des modèles sociaux, veulent faire infirmière ou instit comme maman. Pourtant, l’informatique fait aussi briller leurs yeux».
Les yeux de Margaux De Ré brillent tout autant quand elle aborde ces questions des stéréotypes. On la sent pressée de présider la future Commission parlementaire pour l’égalité des chances et les droits des femmes, annoncée en cette mi-octobre. Une première à Bruxelles, alors que la Wallonie en dispose déjà. «C’est pas encore pour tout de suite: il faudra d’abord dissoudre l’actuel comité d’avis. On devrait être en place pour la rentrée 2020, en fonction de la popote du Parlement». Moins rapide que les doigts pianotant de cette «digital native».
«La commission aura un pouvoir contraignant sur les ministres»

Margaux De Ré, vous êtes députée bruxelloise (Écolo) et présiderez la Commission parlementaire pour l’égalité des chances et les droits des femmes. Celle-ci remplacera le comité d’avis sur les mêmes questions, que vous pilotez aujourd’hui. Pourquoi ce changement?
Quand je suis arrivée dans ce comité, je me suis vite rendu compte qu’il a un côté très limitant. C’est chiant. C’est un organe consultatif: on n’a aucun pouvoir contraignant sur les ministres et on ne peut pas proposer de loi. Pratiquement, on se réunit sur le temps de midi avec un sandwich, sans même avoir une salle permanente...
Et donc?
Par exemple, ma collègue Écolo Magalie Plovie a piloté un recueil de 40 recommandations pour un espace public plus inclusif. Il a été présenté en commission infrastructure et mobilité. «So what?»: alors quoi? Rien. Le Ministre n’avait aucune obligation contraignante par rapport à ce texte. Il est très bien fait mais il a la valeur de cette sous-tasse.
Le texte pourrait constituer une base de travail pour la commission?
On ne va pas le réécrire. Pas mal de ses idées sont reprises dans la déclaration de politique régionale. Mais au sein de la commission, on pourra veiller à ce qu’il soit bel et bien pris en compte.
L’espace public bruxellois n’est pas du tout inclusif. Il est fortement pensé pour des hommes adultes en bonne santé.
En matière d’espace public justement, l’urbanisme est régulièrement pointé pour son inégalité... Pour caricaturer, on installe de grands terrains de foot pour augmenter la mixité sociale... qui n’attirent que des hommes ou presque. Dans l’autre sens, les laveries collectives dans les ensembles de logements sont vite accaparées par les femmes.
L’espace public bruxellois n’est pas du tout inclusif. Il est fortement pensé pour des hommes adultes en bonne santé. Il faut donc l’orienter davantage vers les femmes, les enfants, les PMR. Le Piétonnier va dans la bonne direction avec ses espaces de repos ou sa largeur, qui permet les poussettes, les chaises roulantes...

Vous avez un mauvais exemple à pointer?
Moi qui suis Molenbeekoise, je choisis mes rues en sortant du métro le soir, pour qu’elles soient éclairées. J’ai déjà sondé les femmes sur Facebook. Elles développent des stratégies pour circuler à pied le soir: les clefs en main, faire semblant d’être au téléphone... Il faut y remédier. Les arrêts supplémentaires des transports en commun après une certaine heure, comme on le voit au Canada, pourraient être une piste.
Quelles sont vos autres priorités lorsque cette commission sera en place?
La lutte contre les discriminations et les violences faites aux femmes. On pense que la Région bruxelloise n’a pas de pouvoir dans ces matières mais c’est faux. Par exemple dans les matières d’éducation et de prévention.
Concrètement?
C’est davantage une matière de la Fédé Wallonie-Bruxelles mais il faut travailler sur le sexisme dans la pub comme on l’a vu avec le scandale Bicky. On peut veiller à l’interdire en rue. Dans la lignée de la convention d’Istanbul, entrée en vigueur en Belgique en 2016, il faut former les policiers à réagir correctement en cas de harcèlement, veiller à ce que les victimes soient accueillies au mieux. Ça se fera via le Minstère des Pouvoirs Locaux, lasagne institutionnelle oblige.
Lorsque la RTBF publie les proportions de prises de parole entre hommes et femmes, celles-ci ont davantage accès au micro les jours qui suivent.
Autre notion «à la mode»: le budget non-genré. Où en est-on à Bruxelles?
L’ordonnance «gender budgeting» est entrée en vigueur en 2019. Elle comprend une annexe élaborée par gender.brussels qui intègre un état des lieux concret. Par exemple: comment sont répartis les subsides sportifs.
On doit viser le 50/50?
50/50, c’est l’idéal. Mais ce n’est pas automatique. On essaye de rentrer dans des proportions réalistes. Je dirais que la démarche est ici au moins aussi importante que le résultat: elle permet d’impulser et d’observer, de monitorer. Ainsi, lorsque la RTBF publie les proportions de prises de parole entre hommes et femmes, on observe que celles-ci ont davantage accès au micro les jours et semaines qui suivent.

Le logement est aussi un point délicat à Bruxelles. On sait que les familles monoparentales concernent majoritairement les mères.
Un bon point dans ce cadre, c’est la réunion des compétences Logement et Égalité des chances chez la secrétaire d’État Nawal Ben Hamou (PS). C’est très technique mais on pourrait imaginer un système qui améliore l’accès à certaines aides pour les familles monoparentales. Globalement, c’est bien connu, les femmes ne sont pas l’égal des hommes face aux conditions de vie: salaire, logement, accès aux postes à responsabilité...
Une nouvelle génération de députés fait évoluer les mentalités au Parlement bruxellois, pour réoxygéner
Plus délicat à l’échelon bruxellois: l’action sur la santé.
C’est vrai, mais la Région, via la CoCoF, a tout de même des compétences en matière sociale et santé, notamment via l’aide sociale. On pourra ainsi observer l’attention apportée aux femmes sans-abri, dont on sait qu’elles sont une minorité mais dont la situation engendre d’énormes difficultés. Idem pour les prisons et, en gros, de nombreuses personnes marginalisées.
La composition de la commission est déjà arrêtée?
On va garder la composition du comité actuel. Je m’entends d’ailleurs très bien avec ma collègue vice-présidente Leïla Agic: on est plutôt en phase dans les idées, c’est un euphémisme. On sent aussi qu’une nouvelle génération de députés fait évoluer les mentalités au Parlement, pour réoxygéner. Honnêtement, jamais je n’aurais pensé pouvoir faire bouger les lignes institutionnelles.
