BCklet: un vélo-conteneur innovant pour livrer plus vite le dernier km au centre de Bruxelles
La coopérative de livraison Urbike lance un modèle innovant de «conteneurisation sur deux roues». Idée: assurer le dernier km à vélo plutôt qu’en camionnette. Le projet BCklet séduit: de gros acteurs de la distribution belge pédalent pour tester le modèle.
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- Publié le 09-05-2019 à 13h46
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Une dizaine de minutes. C’est ce qu’il a fallu à Gilles Jacquemin et son vélo à remorque rempli de médicaments pour parcourir ce 9 mai les 2,2km entre le Musée Kanal et l’officine Multipharma de la rue Marché aux Poulets, à mi-chemin entre De Brouckère et la Bourse. En voiture, le temps est théoriquement le même si aucune file n’englue les rues. En camionnette de livraison aussi, donc. Sauf que ce trajet est impossible à cause du piétonnier. Et bien plus chronophage: il exigerait du conducteur de trouver une place de parking ou de garer en double file. Et de livrer sa cargaison à pied.
C’est ce constat qui pousse la coopérative Urbike à lancer BCklet, un modèle logistique innovant destiné au fameux dernier km, celui qui coûte le plus cher. Cette «conteneurisation du deux-roues» repose sur 3 éléments. La première remorque pour vélo compatible avec le format standard des palettes d’abord, qui permet de se connecter facilement aux chaînes logistiques complexes de la distribution. Un container d’1,5m3 adaptable au transport de repas chauds, de vêtements sur tringle ou de courrier et paquets ensuite. Et enfin la force motrice des coursiers à vélo déjà actifs sur la place bruxelloise, qui tracteront jusqu’à 200kg sur leurs bécanes électriques.
En camionnette: 11km/h de moyenne

«Le centre-ville est de plus en plus difficile d’accès avec sa zone piétonne et ses chantiers. Ainsi, les livraisons s’y passent à 11km/h de moyenne seulement», plaide Renaud Sarrazin, cofondateur d’Urbike. «Et si les camionnettes correspondent à 10% du trafic bruxellois, elles en sont le premier émetteur de particules fines». Et de loin: 25% du CO2 et 33% des particules fines émises par le trafic bruxellois le sont via le secteur du transport de marchandises. Ancien chercheur, le jeune homme poursuit: «Une étude européenne a établi que 25% des livraisons pourraient se faire à deux-roues. Or, on n’en compte aujourd’hui qu’une sur 1000». On le comprend: avec 16 millions de livraisons de marchandises dans Bruxelles en 2016, le potentiel du projet BCklet est énorme.
Et n’a pas tardé à convaincre. Et on ne parle pas ici d'écolos bobos mais de poids lourds de l’économie belge: le distributeur Delhaize, le pharmacien Multipharma aux 250 échoppes et Bpost, auxquels s’adjoint la Centrale de Soins et Services à Domicile de Bruxelles (CSD) qui livre 700 repas chauds quotidiens. Ces partenaires permettront de tester le modèle BCklet pendant 2 ans. Un budget d’un million d’euros a été accordé par la Région via Innoviris. Le projet sera ausculté par la VUB dans l’analyse de son impact sur le trafic et la qualité de l’air alors que Saint-Louis donnera son expertise sur le statut, délicat, des coursiers.

«On généralisera à Liège et Charleroi»
«Le dernier km est effectivement le plus coûteux pour nous», confirme Fabienne Bryskère, CEO de Multipharma qui livrera à vélo depuis son hub de Sint-Pieters-Leeuw via le canal. «Pour livrer nos pharmacies de De Brouckère ou de La Monnaie, le chauffeur doit se garer loin et multiplier les allers-retours avec un diable. Ça prend du temps, la rentabilité s’en voit détériorée. De plus, c’est super mauvais écologiquement si le livreur laisse tourner son moteur et ça ralentit le trafic avec la double file».

Bref, l’entreprise aux 60 adresses bruxelloises met beaucoup d’espoir en BCklet. Qui pourrait s’avérer utile dans son secteur en particulier. «Le système permettra aussi de transférer très rapidement des médicaments d’une officine à l’autre pour dépanner un client, tout en respectant les conditions de transport optimales du produit et notamment le froid». La coopérative pharmaceutique se félicite enfin de voir les livreurs payés dignement. «Si l’expérience convainc, on généralisera dans les centres-villes de Charleroi, Liège ou Anvers», s’impatiente déjà Fabienne Bryskère.
De quoi s’éviter des migraines pour garantir l’approvisionnement.

Dioxyde de Gambettes fait partie des 3 acteurs bruxellois de la livraison à pédales (avec Hush Rush et Molenbike) qui embarquent dans le projet BCklet. Son coursier Gilles Jacquemin n’avait pas testé le vélo-conteneur avant ce 9 mai mais s’avoue plutôt satisfait.
«C’est pas difficile à piloter», confie-t-il à peine descendu de selle pour sa première livraison. «D’abord, l’assistance électrique nous aidera pour les plus lourdes charges. Et ensuite, le freinage est automatique sur la remorque dès qu’on touche aux poignées, histoire qu’on se prenne pas les 180kg de la remorque dans le dos».
Seul bémol: l’encombrement plus large que celui d’un vélo-cargo classique. «On perdra un peu de temps dans le trafic car on dépassera moins facilement. Si les voitures se garent sur les pistes cyclables, on ne pourra plus les éviter par la droite. Il faudra sans doute aussi adapter certains itinéraires, dont ceux qui passent dans les sens uniques limités».
«Mettre 150 gars dans la rue, c’est pas notre truc»

Pour la coopérative aux 8 livreurs salariés et 300km quotidiens, le projet BCklet permettra en tout cas de s’attaquer à un nouveau segment de marché. L’époque s’y prête. «Depuis 6 ou 9 mois, on sent que ça bouge», confirme Thomas Souffland, qui pédale et coordonne chez Dioxyde de Gambettes. «Ce ne sont plus uniquement les petits magasins bios convaincus ou les commerces de proximité sensibles au climat qui nous contactent: on se fait démarcher par la Fnac, Lidl ou Proximus. Je ne sais pas si c’est du green washing ou une volonté sincère d’améliorer leur logistique mais c’est une évolution».
Malgré le succès, lever des fonds n’intéresse pas la coopérative. «Mettre 150 gars dans la rue qui attendent que la livraison tombe comme chez Deliveroo, c’est pas notre truc: on préfère tester prudemment l’intérêt du client et ses impératifs. Et seulement ensuite engager un coursier», assure Thomas Souffland, qui estime que la demande croissante pourrait doubler les effectifs en trois ans. Pour fédérer le secteur face aux ogres des plateformes numériques, Dioxyde de Gambettes a d’ailleurs profité d’un subside bruxellois pour lancer la Fédération belge de logistique à vélo. Des livreurs de Mons, Namur, Liège, Anvers, Gand, Louvain et Deinze en sont.
Principalement actif dans le Pentagone et la première couronne pour 80% de ses livraisons, l’écurie bruxelloise privilégie aujourd’hui le partenariat avec les entreprises. «L’e-commerce donne l’impression au particulier que la livraison est gratuite. Alors quand on leur demande 10€, il ouvre de grands yeux. Il veut être livré dans l’heure à bas tarif pour de tout petits volumes: ce n’est pas tenable. Un coursier, c’est 25€/h. On ne peut pas s’aligner sur Zalando».
Alors, aux heures où les cyclistes d’Uber ou Deliveroo livrent les repas du soir, les mollets durcis de Dioxyde de Gambettes se reposent pour le lendemain.