Des internés au milieu de la forêt de Soignes
À la clinique de la forêt de Soignes, une unité prend en charge des internés libérés à l’essai. Ces «fous dangereux» que l’on connaît si mal.
Publié le 27-12-2018 à 08h47
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L'internement, un sujet de société qui intrigue, et interpelle quand tombe une décision de justice qui déclare un accusé «irresponsable». L'internement trimballe son lot d'idées préconçues et de fausses représentations. Pour couper court aux fantasmes et faire partager leur expérience, le psychiatre Pierre Schepens, médecin-chef de la clinique de la Forêt de Soignes à La Hulpe, et Virginie De Baeremaeker, psychologue-criminologue de la clinique, livrent un petit ouvrage (paru chez Academia) à la fois instructif et plaisant. Entretien avec les auteurs de ce Petit essai impertinent sur l'internement.
Pierre Schepens, en tant que psychiatre, pourquoi avoir voulu travailler avec le monde judiciaire en ouvrant l’Unité Baobab dans cette clinique?
C’est la directrice de la clinique qui est venue, en 2014, m’expliquer qu’il y avait un appel à projet et peut-être quelque chose à faire chez nous. On a répondu positivement et on a d’abord accueilli cinq patients, puis dix… et ça m’a directement intéressé.
Dans votre livre vous parlez d’accorder vos valeurs et vos actes… C’est une forme d’idéalisme?
Dès le départ, ici, on veut faire de la psychiatrie de manière ouverte, sans clé, ni grille… De plus, on s’est toujours posé beaucoup de questions au niveau du respect des droits de l’homme, y compris dans les soins. La question éthique est souvent au centre de nos préoccupations. C’est trop facile de crier au respect des droits de l’homme partout dans le monde et de ne pas les respecter ici. Les internés, s’ils sont refusés ici, il leur reste la prison, la défense sociale… et des choses comme ça. C’est beaucoup plus sécuritaire. Nous optons pour un trajet de soins, parmi les autres patients psychiatriques lourds (schizophrènes, bipolaires, etc.)
Vous tordez le cou à un canard: être interné, ce n’est pas échapper à la Justice. Au contraire…
Les gens pensent que les internés, parce qu’ils sont déclarés irresponsables de leurs actes, échappent à la justice, qu’ils ont la belle vie, etc. En réalité, ils ont fait l’objet d’une décision judiciaire, passent un ou deux ans en annexe psychiatrique dans une prison, puis ils sont redirigés vers des instituts de défense sociale (Tournai, Paifve) où ils passent plusieurs années. L’internement, au minimum, c’est 5 ou 6 ans d’enfermement et parfois même jusqu’à la fin de leur vie. On connaît des cas où des prévenus se font passer pour fous, croyant échapper à la justice. Quand ils réalisent le parcours qui les attend, ils demandent une nouvelle expertise… mais ça ne marche pas toujours et ils prennent un grand risque…
Être soignant et juge en même temps, c’est compliqué. C’est un autre monde pour un médecin.
Au départ, tout est très clair mais en réalité, c’est compliqué. Y a la notion de soigner mais il faut aussi évaluer, dans des rapports qu’on rend à la justice, sur lesquels les autorités vont se baser pour se positionner pour une éventuelle libération. C’est délicat d’être médecin et juge. Donc, comment collaborer avec la justice et les avocats? Quid du secret médical? Jusqu’où on peut dire les choses…? C’est en cela que c’est passionnant mais c’est un vrai défi. Après 25 ans de psychiatrie classique (NDLR, le Dr Schepens était chef de service à Saint-Pierre), c’est un bonheur pour moi de faire ce travail qui me permet de croiser d’autres personnes, et m’ouvre d’autres horizons…
«Petit essai impertinent sur l’internement – L’expérience de la Forêt de Soignes», 100 pages, collection Pixels chez Academia L’Harmattan, 12€.
Du Dr Derscheld à la clinique de la Forêt de Soignes
De 1871 à 1952 : le bâtiment est un sanatorium dirigé par le docteur Gustave Derscheid, un pneumologue, spécialiste de la tuberculose.
1955-1975 : la tuberculose a perdu du terrain. Le sanatorium disparaît. Une partie des lits est destinée à la revalidation cardio-pulmonaire.
1975-2007 : la clinique devient un centre de revalidation dans diverses spécialités, et compte également un département psychiatrie de 90 lits.
2007 : le Dr Pierre Schepens fait le choix de quitter le service psychiatrique d'Ottignies pour devenir médecin chef de la clinique du Dr Derscheid. Une partie des patients va être déménagée vers la toute nouvelle clinique du Bois de la Pierre à Wavre. Une grande réorganisation s'impose à La Hulpe.
2011 : changement de dénomination. Le Dr Derscheid disparaît des plaques indicatives sur le Ring pour laisser place à la « clinique de la Forêt de Soignes ».
2015 : décision est prise d'accueillir des internés, libérés sous conditions. Cinq places leur sont consacrées pour une durée de 6 mois maximum.
2016 : on passe de 5 à 10 lits.
2017 : une unité médico-légale est créée au sein de la clinique, elle compte 26 lits, et est appelée Baobab.