Philippe a un grain pour les spiritueux: il crée le Brussels Dry Gin
Bruxelles a compté des dizaines de distilleries. Mais en 2018, les alambics ont disparu. Philippe Mercier, créateur du Brussels Dry Gin, veut rendre à cet héritier de notre vieux genièvre tout son tonique. Et pourquoi pas créer une distillerie collaborative? Il nous sert ce cocktail d’idées à la veille du premier festival bruxellois du whisky et des spiritueux.
Publié le 31-05-2018 à 15h36
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Bruxelles est connue pour sa bière. Un peu moins pour ses alcools et spiritueux. Et pour cause: la capitale ne compte plus qu’une seule distillerie, Fovel à Schaerbeek, réputée pour son genièvre à l’ancienne et sa liqueur de griottes. Mais les alambics de la rue Thiefry restent froids depuis longtemps.
Depuis un an pourtant, l'alcool de grains revit à Bruxelles dans les bouteilles de Brussels Dry Gin. Passionné de spiritueux, Philippe Mercier a «20 ou 30 années de vol» en la matière. À côté d'une carrière dans les ressources humaines et d'une vie de dégustation de whiskys, rhums ou vodkas, le Bruxellois a donc suivi plusieurs formations. «Je me suis intéressé au processus de fabrication de ces alcools. Ce qui me passionne le plus, c'est la distillation. Ce côté magique: comment, de cette mélasse brune de grains et plantes, on obtient finalement ce liquide si pur, si translucide. Ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle "eau-de-vie" de puis le Moyen Âge».
Tisane

Lors d’un écolage dans un établissement suisse prestigieux, Philippe croise des «magiciens». Il y apprend cet art de bien mesurer le cœur de la distillation, l’essence de l’art, cette science qui détermine quand l’alambic a fini de cracher la tête empoisonnée du distillat et quand il déglutit la queue, causant brûlant et lourdeur. Son certificat en poche, le Bruxellois élabore plusieurs recettes dans sa cuisine. Ses amis l’aident à trancher après 12 mois d’expérimentation. Le résultat: «un gin traditionnel. Pas floral. Une base sûre pour les cocktails».
Le Brussels Dry Gin n’est pas (encore) issu de la distillation. «Simplement parce qu’on ne distille plus à Bruxelles et que je ne veux pas en sortir», s’explique son créateur. Il est donc élaboré suivant la méthode du «compound gin». Il s’agit d’une sorte de tisane. «On fait macérer les “botanicals”, en gros les herbes et épices, dans un alcool de grain. Ensuite, on filtre le mélange», vulgarise Philippe Mercier. Sa recette embarque évidemment les baies de genévrier, dominante du gin. Mais aussi de la cardamome, du poivre noir ou du citron vert «pour le retour d’amertume».
Genièvre

Mais pourquoi cet esthète du 37,5°, taux minimum d’alcool dans le gin, s’est-il lancé dans ce descendant du genièvre? «Justement pour ça. Alors qu’aux XIXe et XXe siècles, il y avait nettement plus de distilleries à Bruxelles, celles-ci ont disparu. Ne reste que Fovel, qui stricto sensu ne distille plus. Et il n’y a plus d’alambic. Je veux donc faire revivre la tradition du genièvre. Car le gin est l’héritier de notre alcool de genévrier». Et Philippe Mercier de balayer les siècles. «Le genièvre était massivement produit dans les Pays-Bas des XVIe et XVIIe siècles. Avec les guerres de religions, les Anglais l’ont découvert. Ils l’appelaient “Holland’s courage” car les soldats s’en saoulaient avant de partir au combat». Le tord-boyaux de nos bouteilles en terre cuite est évidemment ramené dans les tavernes de l’île. «Mais au XVIIIe, l’Angleterre est déjà protectionniste: elle interdit l’importation de genièvre. Le roi autorise cependant la production à Londres. On y adjoint des plantes des colonies anglaises. Le genièvre devient “giniver”, puis “gin”». Ainsi, la dénomination «Brussels Dry Gin» est un clin d’œil à l’appellation «London Dry Gin», réglementée par l’Europe.
Produire un gin bruxellois répond aussi au retour du cocktail sur les cartes des bars et restos. Les établissements spécialisés se multiplient d'ailleurs chez nous. Une adresse 100% dédiée au gin a même ouvert à Bruxelles début 2018: le Green Lab, avenue Louise. Ce regain de forme contente un public jeune, qui veut renouer avec les plaisirs de ses grands-parents ou de la série «Mad Men», mais modernisés. «Avec le mojito, on était monocorde. Or, des alcools blancs comme la tequila ou le gin, stimulent l’imagination du barman et des mixologistes. Mentholé, bitter, fruité: tout est possible et c’est très gai», décrypte le connaisseur, qui cite Madrid, Berlin ou Genève pour étayer l’argument.
Et puis, le fondateur du Brussels Dry Gin l’a bien compris: ce retour du shaker et des glaçons, touilleurs et rondelles de citron dans les cônes sur pied se double d’un intérêt toujours croissant pour les produits locaux, car certaines multinationales commencent à saouler.


L'objectif de Philippe Mercier à terme: distiller à Bruxelles. «Pour ça, le Belgian Whisky & Spirits Festival de ce week-end me permettra peut-être de prendre contact avec des investisseurs», espère le distillateur. «Mon objectif, c'est de réinstaller un alambic dans la capitale. Je veux combiner méthode traditionnelle et appareils modernes. En plus du gin, j'aimerais produire des liqueurs».
Idée très intéressante: le producteur aimerait que sa distillerie soit partagée, pour dynamiser le monde du spiritueux bruxellois. «Je veux rencontrer d’autres pros. Car si le métier me passionne, c’est aussi très solitaire. Si on se met ensemble, on réussira». L’idée serait de donner à la production d’alcool un espace de coworking, comme on le voit déjà avec certains ateliers de cuisine. «Bien sûr, ça devra être rentable. Je suis peut-être un peu fou, mais je ne saute jamais de l’avion sans parachute».
La parade viendra peut-être de cette ouverture au public, si tendance chez les néobrasseurs. «La distillerie de mes rêves, c’est aussi un espace de rencontre. J’aimerais faire tomber les fantasmes sur les alcools forts. Non, ce n’est pas uniquement de la contrebande produite dans des caves. Pas plus que ce n’est de l’alchimie: la science y tient une bonne part. Et puis, distiller en artisan, ça ne se résume pas à laisser fermenter 5kg de patates pour faire de la gnôle».
