Plus de chicon, moins de prison, les zadistes bruxellois de retour à Haren: «Insensé de bétonner cette terre riche et fertile»
Le cas de la zone de Notre-Dame-des-Landes n’est pas unique. Il existe aussi une ZAD (ou zone à défendre) en Belgique. À Bruxelles, les occupants s’opposent à la construction de la prison de Haren. Après plusieurs mois d’absence, ils tentent de se réapproprier le site.
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Publié le 17-04-2018 à 17h46
Pendant qu’à 700 kilomètres de Bruxelles le président Macron tente de faire évacuer par la force la zone de Notre-Dame-des-Landes, une poignée d’irréductibles bruxellois tentent eux aussi de protéger leur ZAD (pour zone à défendre). Ici, le combat est loin d’être gagné. Même s’ils sont moins nombreux que leurs voisins français, les zadistes belges veulent, eux, empêcher la construction de la méga prison de Haren. À la place, ils veulent développer une énorme surface agricole.
Même si elle est beaucoup moins vieille, la lutte bruxelloise ne date pas d’hier. La ZAD du Keelbeek a vu le jour en 2014. À l’époque, ils étaient plusieurs centaines à investir le site. Mais après une année d’occupation, en septembre 2015, les Zadistes avaient été contraints, manu militari, de quitter les lieux. Là aussi, pelleteuses et bulldozers étaient entrés en action pour détruire les différentes constructions.
Depuis lors, si ce n’est quelques mauvaises herbes, rien n’a poussé sur le terrain du Keelbeek. Pas le moindre moellon de la future prison. Les opposants au projet n’ont pas pour autant arrêter leur combat. De recours en recours, celui-ci se poursuit désormais devant les tribunaux.
Depuis une quinzaine de jours pourtant, les zadistes sont revenus sur le terrain. C’est l’abattage dans l’urgence des différents arbres du site qui a réveillé tout le monde. Pour l’heure, s’ils sont entre cinq et douze à vivre sur place, ils n’ont pas directement repris possession de la zone. Ils ont planté leurs tentes et constructions sur un terrain privé, annexe à celui de la future prison. «Le propriétaire autorise notre présente, la police ne peut donc rien faire, glisse Raphaël, l’un des occupants permanents. Le dossier était à l’arrêt, notre présence n’était donc pas utile, mais désormais cela semble bouger à nouveau. Nous sommes revenus sur le terrain pour marquer le coup, parce qu’il n’y a toujours pas de solution à ce plan de prison. Ils viennent de couper 300 arbres. Ils ont détruit la faune et la flore d’un terrain dont profitaient beaucoup d’habitants de Haren. Tout a été fait à la va-vite. Ils n’ont même pas pris le temps d’enlever les arbres. Ils les ont juste abattus et laisser là. Ils devaient sans doute avoir tout terminé avant le début de la période de nidification, sinon, ils auraient encore perdu plusieurs mois. Ils ont tout bousillé. »

C’est via un partenariat public et privé que cette méga prison doit être construite. À terme, il est prévu que près de 1200 personnes soient enfermées sur ce site. «D’un côté ils disent que le contrat n’est pas encore signé, mais de l’autre, ils avouent que si la construction de la prison est encore retardée, le gouvernement va devoir payer des amendes, reprend Raphaël. Il y a donc un contrat qui a dû être signé, pourtant, même les parlementaires n’y ont pas accès. Cette opacité nous dérange.»
Pour les opposants au projet, la construction de la prison va à l’encontre des visions d’avenir de la région bruxelloise. «La ville et la région ont un programme de good food, ils veulent nourrir les habitants grâce à l’agriculture de proximité, s’interroge l’opposant. Et dans le même temps, ils bousillent les terres agricoles qui sont toutes proches. Nous sommes ici à 1000 Bruxelles. Cette zone dépend de la Ville. On sait qu’il ne faut plus faire venir des haricots du Kenya et des kiwis de Nouvelle-Zélande, mais qu’il faut faire notre agriculture nous-même, au moins en partie. C’est utopique de dire que nous allons nourrir tout Bruxelles grâce aux circuits courts, mais essayons au moins 50%. Ici à Haren, nous avons une terre riche et fertile. C’est insensé de bétonner cet espace. L’Otan vient de déménager, laissant vide une énorme surface déjà bétonnée, pourquoi ne pas l’implanter là-bas?»
Depuis un bon mois, un panneau indique à l’entrée du site que les travaux vont débuter et que ceux-ci dureront aux moins quatre ans. «Mais il est aussi indiqué sur ce panneau que la société en charge de ceux-ci, Cafasso, est toujours en construction. À nouveau ce n’est pas clair et pose beaucoup de question, ajoute encore Raphaël. En gros, on ne sait pas qui commande. On ne sait pas qui fait quoi. On ne sait pas à qui s’adresser.»
S’ils n’habitent pas directement sur le terrain, les zadistes tentent malgré tout de l’occuper. Ce week-end, un événement a réuni une grosse centaine de personnes, ils ont planté 1190 patates, pour faire écho aux futurs 1190 prisonniers du complexe. «On veut redonner vie à ce terrain, insiste Raphaël. On replantera encore et encore, jusqu’à ce qu’ils nous laissent tranquilles et que le terrain Keelbeek restera vivant.»
Même si les deux projets n’ont évidemment rien à voir, «si ce n’est le bétonnage de zones agricoles», glisse Raphaël, les opposants ont vu dans l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes, après 60 années de combat et discussion, tout un symbole. «On espère juste que cela ne nous prendra pas autant de temps, rigole-t-il encore. Mais la décision française nous motive. On y pense à chaque avion qui décolle de Zaventem et nous survole. D’ailleurs, nous avons été rejoints depuis quelques jours par un occupant de Notre-Dame-des-Landes et nous leur avons envoyé un message pour les soutenir dans les moments difficiles qu’ils vivent actuellement. Ce ne sont pas les mêmes projets, ni les mêmes pays, mais les luttes sont finalement identiques. On a tous eu nos moments de déprime, mais désormais, on veut y croire. Ce projet, c’est une perte d’argent énorme pour le gouvernement. C’est la raison pour laquelle il n’avance pas plus vite. Plus on arrive à le retarder, mieux c’est. Ils vont bien finir par comprendre que celui-ci est aussi foireux.»


«Cette prison est la pire des réponses»
C’est la troisième fois que le terrain du Keelbeek est occupé par des zadistes. Si la plupart des opposants sont présents depuis le début et ont vécu les deux précédentes évacuations policières, certains les ont rejoints il y a peu. C’est le cas de Florian, 25 ans. «À la base, on est venu à plusieurs d’une unité scoute pour réaliser quelques constructions, raconte-t-il. Une fois sur place, j’ai quand même pris le temps de m’intéresser à la problématique et j’ai fini par m’investir sérieusement.»
Même s’il n’est là que depuis une grosse année, Florian a pris le temps d’étudier les enjeux du dossier. «Il y a d’abord la préservation des terres agricoles, confirme le jeune gaillard qui dort depuis peu sur le site. On arrive de plus en plus à un effet de seuil où il va falloir faire un moratoire pour dire qu’il faut arrêter de bétonner pour assurer la survie alimentaire du pays.»
Pour les zadistes, la question carcérale est également au cœur de ce dossier. «Et personne ne nie la problématique ici. Mais si cette prison est censée être une réponse, elle est sans doute la pire qu’on puisse avoir. Avec ce partenariat public-privé, ils auront intérêt à ce qu’elle soit le plus remplie possible. S’ils viennent, c’est qu’il y a de l’argent à se faire. On se dirige dans une voie qui n’est pas du tout la bonne. D’ailleurs, les USA ont arrêté les PPP (NDLR: partenariat public-privé), idem en France, en Belgique, on fait le contraire et on va à l’opposer de tout le monde. Quand je regarde ce dossier, je vois quelque chose qui sent trop le pognon. Cela me motive à m’investir ici.»


