Buvez la 100 Pap et picolez solidaire pour les sans-papiers
Une petite soif? La bière 100 Pap allégera votre culpabilité de boire un coup comme celle de ne pas savoir quoi faire pour les sans-papiers. Ce projet brassicole veut acquérir un toit dur et durable pour eux. Toute la carte d’identité de cette ambrée généreuse et ambitieuse se lit sur son étiquette.
Publié le 11-01-2018 à 10h15
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Relever ses manches pour cuisiner au parc Maximilien, profiter d’un temps de midi pour scier quelques palettes et en faire des meubles, voire héberger les sans-papiers qui ne trouvent pas de lit cet hiver au nouveau centre d’hébergement de Haren: ces engagements ne sont pas à la portée de n’importe qui. Et pour de nombreuses bonnes raisons.
Par contre, lever le coude au coin d'un comptoir, c'est tout de suite beaucoup plus accessible. Qui ne rêve pas de picoler pour la bonne cause? C'est ce qui a poussé François Halleux à embouteiller la 100 Pap. Cette bière à façon, produite à la Brasserie des 3 Fontaines sur base d'une recette élaborée par Antoine Lavis de «J'irai Brasser chez Vous», mousse pour donner un toit aux sans-papiers de Bruxelles. En dur et en durable.

«J’en ai ras le bol des “solutions sparadraps”», peste François Halleux, épuisé par plusieurs années d’activisme intense. Le Liégeois établi à Bruxelles était au parc Maximilien dès 2015. Il gérait les volontaires. Ensuite, il s’est engagé avec «La Voix des Sans-Papiers», «Nuit Debout» et d’autres collectifs. «Le camp n’était pas une solution. Le nouveau refuge non plus. Qu’on arrête avec le temporaire! La seule voie, c’est de signer des conventions d’occupation précaire. Et même aller plus loin: il faut louer ou acheter des bâtiments, conclure des baux avec des communes. Mais pour ça, il faut de l’argent. Il y a 2500 SDF à Bruxelles, sans-papiers compris. Et largement plus de bâtiments vides. Ça doit cesser!».

«Merde, on a oublié les bières!»
C’est sur ce constat que sans-papiers et associations se réunissent un soir pour plancher: comment générer du cash et avoir les reins assez solides pour mettre les banques en confiance? «Un copain a dit: “ merde! On a oublié les bières! ” C’était vrai. Et tout est parti de là. La bière, ça reste la meilleure façon de parler aux Belges». Et peut-être de pérenniser les actions sans se tuer à la tâche chaque soir avec des bouts de chandelles.
L’idée première est de créer l’affaire puis de la «donner» aux sans-papiers. Mais l’opération est délicate, vu leur statut précaire. De plus, la question de l’alcool en indispose certains alors que d’autres n’ont pas la tête à la cuve d’empâtage. «Plutôt que de brasser nous-mêmes, on a donc opté pour la recette “à façon”». L’option n’est pas stupide: elle est plus rentable, plus rapide et demande moins d’investissement. Et si elle s’écrit noir sur blanc sur l’étiquette, elle ne scandalisera pas les puristes du houblon.

Il faut ensuite goûter. Les premières capsules sautent mais les recettes ne convainquent pas. Jusqu’à cette ambrée au nez fruit de la passion et au corps biscuité et épicé, bien belge mais avec des accents étrangers. Coup de bol, le breuvage élaboré par «J’Irai Brasser chez Vous» est disponible sans délai: un stock de 5.000 bouteilles reste en cave. «Depuis lors, on doit être autour des 9.000 ou 10.000 bières vendues», juge François Halleux, qui a déjà mis 15.000€ de sa poche dans la 100 Pap. «On les achète autour de 80 centimes, on les vend 2€, aux particuliers ou aux bars partenaires. Pour tenir, on doit écouler 5.000 bouteilles par mois».

«Aucun refus dans les bars»
L’idée n’est donc ni de financer en direct des bâtiments, ni de reverser les bénéfices aux sans-papiers. Le but est plutôt de donner à l’ASBL Bruxelles Initiatives, qui porte l’affaire, l’allure d’une start-up qui tourne bien. Et à qui les banques prêteront. Comme la 100 Pap «n’a essuyé aucun refus dans les bars», le quota pourrait vitre être atteint. Surtout si François Halleux, hébergé chez Communa à Ixelles et soutenu par le CNCD, parvient à placer son breuvage dans certains supermarchés alternatifs qui comptent, comme le BeesCoop ou le marché des Écuries van de Tram, à Schaerbeek. «Ça assurerait un certain débit», glisse le responsable du projet. «Mais le problème avec le milieu alternatif et ses activistes, c’est qu’il n’est pas habitué à se vendre».
L’étiquette de la 100 Pap devrait assurer une part du marketing. Son idée est brillante: turquoise, elle singe une carte d’identité belge. De quoi la mettre dans vos petits papiers.
