Éric Fernez, chef de l’année pour le guide Gault et Millau: «Quand on cherche à plaire, on se plante»
En décernant le titre de chef de l’année à Éric Fernez, Gault & Millau a récompensé une cuisine devenue rare à deux ingrédients: classicisme et feeling. Rencontre avec un chef qui a trouvé son goût.
Publié le 16-11-2017 à 18h31
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Depuis que le guide Gault & Millau l’a consacré chef belge de l’année, Éric Fernez ne s’arrête plus: rendez-vous, interviews, réservations en hausse… ce jeudi matin, le restaurateur n’a même pas le temps de venir à bout de deux malheureuses tartines au fromage au terme de notre entretien, interrompu par un téléphone en surchauffe.
Cette exposition soudaine, le chef d’Eugénie à Émilie, restaurant situé en plein centre du village borain de Baudour, ne s’y attendait plus. Pas à 58 ans. «D’habitude, les chefs de l’année, ce sont des jeunes prometteurs en pleine évolution. Je me suis donc dit: pourquoi moi?» Car si Éric sait «qu’il envoie de la bonne cuisine», il n’avait pas l’impression d’être tendance. Même si son Maître d’hôtel et sa fille lui remontent des commentaires élogieux de la salle et des réseaux sociaux.
Retour au classique
Même si cela fait quelques années que les choses s’inversent. «On revient très fort sur la cuisine classique avec le produit mis en valeur, la simplicité des assiettes, ce qui est notre style. Il y a 15 ans je pensais qu’on était obsolète, puis il y a 5 ans on décroche une étoile au Michelin, puis une deuxième, on passe de 16 à 17,5 au Gault & Millau avec le titre de Chef de l’année… ça veut dire qu’on est dans le bon.»
En récompensant le chef d’Eugénie à Émilie, le guide met aussi en avant un art culinaire devenu rare: une cuisine «live». «En Belgique il n’y a plus un pour cent des restaurateurs qui fait ça. Casseroles en salle, repas à la russe… c’est devenu très rare car c’est une cuisine qui demande du feeling. C’est une cuisine minute, sans pré-cuisson basse température, on n’a pas droit à l’erreur.»
Autre caractéristique: il faut faire saliver. «On envoie des râbles de lièvre entiers en salle, des poulets rôtis, des coqs faisans… Quand on met trois haricots sur une assiette, c’est une chose, quand on envoie une casserole entière en salle, tout doit être joli, la cuisson et le goût parfaits. Ca doit être gourmand chez moi.»
Trouver son goût
Et il en restera ainsi. Même si dans cinq ans le style Éric Fernez n’est plus à la mode. Après tout, la consécration n’est venue qu’au moment où «j’ai décidé de faire la cuisine que j’ai envie de faire, sans plus m’occuper d’aucun guide». Chercher à plaire, «on fait tous ça. Mais on n’est plus authentique et c’est là qu’on se plante. Un cuisinier, il doit trouver son style, sa voie. Et on met longtemps à faire ça. Même chez certains chefs qui sont de futurs trois étoiles, on sent qu’ils n’ont pas encore trouvé leur goût.»
Et quand le trouve-t-on, son goût? Quand on réunit la sainte Trinité: «la profondeur de l’assiette, la constance, et la régularité. Et moi, j’ai senti que j’avais mon goût il y a une dizaine d’années et je ne voulais plus changer. Et là, ça paie, car le public, les gastronomes et les critiques ressentent ça.»

Tel un musicien qui a trouvé sa patte, Éric a trouvé la sienne derrière les fourneaux. Et si son titre le consacre lui, il récompense aussi toute une équipe, qui met sa cuisine en musique dans trois établissements (voir ci-dessous). «Un chef, c’est un coach, un chef d’orchestre, et derrière, il faut des supers joueurs.» Et ce collectif délivre une symphonie bien savoureuse.
Trois établissements pour être viable

Éric Fernez, ce n’est pas que d’Eugénie à Émilie. C’est aussi la brasserie le Faitout juste en face et gérée par sa fille, et la Marelle, café-bistrot situé à Blaregnies (Quévy) et géré par son beau-fils. Deux établissements qui assurent un avenir au premier restaurant. «Il y a deux possibilités pour faire tourner un restaurant qui emploie 12 personnes et envoie 25-30 couverts par service: soit pratiquer des prix qui frisent l’indécence, et dans ce cas ce n’est pas à Baudour qu’il faut s’installer mais à Roeselare, soit avoir un autre établissement qui assure la rentabilité et garder le petit restaurant pour la gloire. Et c’est mon cas», lâche sans ambages Éric.
En Flandre, on se pose moins de questions: «il y a une différence de prix de 30 à 35% entre restaurants gastronomiques wallons et flamands». Qui sont bien plus nombreux de l’autre côté de la frontière linguistique…
«Un cadeau empoisonné»
Pour Éric Fernez, pas question de renier le titre de meilleur chef de Belgique, une véritable consécration de sa carrière et de sa philosophie. Mais ce titre amène son lot de questions: quid de l’avenir? A 58 ans, il est plutôt en fin de carrière et le voilà avec un boost contraint et inattendu. Se pose donc la question d’une succession éventuelle, avec sa fille Émilie, 29 ans. «On en parle depuis trois jours, on se pose pas mal de questions: va-t-elle venir me rejoindre ici, en cuisine, rentrer dans l’équipe, se perfectionner avec moi et reprendre le flambeau, ou pas?»
Une chose est sûre: si reprise il y a, la barre sera placée très haut. Est-ce cela qui fait dire à notre chef que ce titre tardif est aussi «un cadeau empoisonné»?
