Bière à la belge ou à l’anglo-saxonne? Inaugurée en grandes pompes, la Nanobrasserie de l’Ermitage ne choisit pas
La Nanobrasserie de l’Ermitage brasse à Bruxelles. C’est à l’ombre de la tour du Midi, à Anderlecht, que la Lanterne voit désormais la lumière. Les jeunes brasseurs y font aussi couler leurs IPA, stouts et saison directement dans vos verres. Décryptage d’un phénomène.
Publié le 12-10-2017 à 12h02
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Quatre cuves rutilantes bombent leurs ventres tatoués d’autocollants. Les sacs de malts de toutes les nuances de blonds et de bruns s’empilent dans un coin, près de la chambre de tempérage. En face de l’embouteilleuse, une échelle mène au jubé de la plateforme de brassage d’où les néo-anderlechtois François Simon, Nacim Menu et Henri Bensaria prêchent désormais la bonne parole artisanale.
Samedi 7 octobre, on a entrechoqué les verres entre les inox rutilant. Les fondateurs de la Nanobrasserie de L’Ermitage ont inauguré toutes pompes ouvertes leurs nouveaux locaux à Anderlecht. Après avoir produit leur Lanterne chez leurs amis de Bastogne, c’est désormais dans le quartier du Midi qu’ils brassent, à deux jets de houblon des copains de chez Cantillon. Ils y produiront 600 «modestes» hectos par an, au rythme de 6 semaines pour un brassin «alors qu’il en faut 2 à peine pour les pils industrielles».
Tout ce que Bruxelles compte de beer lovers se pressait à la soirée d’ouverture. Car le 26 rue Lambert Crickx imite les modèles canadiens et londoniens, et celui des confrères du Brussels Beer Project, rue Dansaert. Plutôt que de napper leurs méthodes dans le mystère, les ermites dévoilent le dessous des cartes. D’ailleurs, celles du tarot inspirent toujours leurs étiquettes et leurs recettes. Vous pourrez donc y siroter votre pale-ale, votre stout ou votre noire dans la «tap room» tout en humant l’aigre parfum de l’empâtage ou en écoutant les bulles de la fermentation.
On décrypte ce phénomène en marche à Bruxelles en trois questions.
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Une bière artisanale au fût: difficile à Bruxelles?

L’Ermitage est disponible dans une quarantaine de bars à Bruxelles. Cette percée est le fruit d’un travail de contact. Mais nos brasseurs industriels nationaux cadenassent encore beaucoup l’accès aux pompes de nombreux bars. Et boire une Lanterne au fût reste plus compliqué qu’une Leffe ou une Jupe.
«Mais c’est de moins en moins difficile d’avoir une bonne bière artisanale au fût à Bruxelles. Parce qu’il y a une demande: des Bruxellois et des touristes», assure François Simon, cofondateur de la Nanobrasserie de l’Ermitage. «La Brasserie de la Senne a ouvert la voie. Elle prouve qu’on peut être servi partout tout en restant intègre. La demande grandit car l’offre reste minimale: il n’y a rien à Bruxelles. On est 6 pour l’instant. J’espère qu’on sera vite 15! Et que les magasins et les bars s’allieront pour promouvoir l’artisanat. Une salle de dégustation comme la nôtre doit permettre au public de faire le pas».
Une salle de dégustation: pourquoi?
«La tap room, ça paraît tout nouveau à Bruxelles mais ailleurs, à Londres, à Montréal ou aux USA, c’est vraiment banal», relativise le brasseur. «Le but ici n’est pas de vendre une bière comme les industriels, de la brasser et de la sortir pour la vendre. Nous, on veut rencontrer le public, répondre à ses questions. L’espace nous permet aussi de mettre en avant les artistes qu’on aime car on vient de la scène culturelle avec laquelle on reste liés. C’est le street-artist Oli-B qui a décoré le bar. Et bien sûr, c’est cool pour trois jeunes comme nous d’avoir cet endroit dans le centre de la capitale».

Bière à la belge ou à l’anglo-saxonne?

La bière «à la belge», c’est cette blonde ou brune forte qui joue sur un gros maltage et embarque souvent du sucre ajouté pour doper le degré d’alcool. C’est aussi une levure bien reconnaissable, qui a valu à nos triples ou nos brunes d’abbaye, aussi riches que du pain noir, leur notoriété mondiale. «C’est vrai que le Belge ne varie pas trop les styles, hein», glisse le Bruxellois. «Y a les triples et les quadruples, et puis quoi?»
La tendance actuelle, que portent les bruxelloises La Senne, Beer Project, No Science ou L’Ermitage, est à la relative légèreté, au houblon bien amer et aux styles anglo-saxons: pale-ale, stout, IPA... Depuis quelques semaines, les Anderlechtois proposent d’ailleurs une parfumée Théorème de l’Empereur, pale-ale aromatisée au thé au jasmin très éloignée de nos fleurons en lettres gothiques. Que reste-t-il de belge là-dedans?
«D’abord, il y a l’eau!» corrige François Simon. «Elle a énormément d’importance. Nous-même n’utilisons que de l’eau bruxelloise 100% non traitée: elle donne sa touche à nos bières. Tous nos grains aussi viennent de Belgique. Ensuite, la patte belge ou bruxelloise va dépendre des styles. La saison, comme notre Saison de l’Ermite, reste vraiment belge avec ses céréales et son côté rustique. Bien sûr, on retravaille la recette. On y a mis 5 grains différents: ça lui donne un côté noble. La blanche aussi, c’est typique de chez nous. On le sait peu mais “blanche” vient de “wheat”, le mot anglais pour “froment”. Chez nous ça s’est déformé en “witte”, pour “blanche” en néerlandais. Notre Soleil est 50% orge et 50% froment. Là aussi, on renouvelle».
Pour les mois qui viennent, L’Ermitage propose une Lanterne brassée avec du houblon collaboratif 100% bruxellois, ainsi que des cuvées spéciales dédiées à des revendeurs partenaires, bars et shops spécialisés. Des collaborations avec les amis londoniens de Anspach & Hobday (le stout , les Estoniens de Tanker ou les Américains de Breakside, à Portland, sont aussi dans les tuyaux.
