Le Front national debout sur la frontière
Si la France a placé en majorité Emmanuel Macron (24,01%) devant Marine Le Pen (21,30%) au premier tour, ce n’est pas le cas des départements frontaliers de la province de Luxembourg où le FN continue de progresser.
Publié le 25-04-2017 à 09h50
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En préfecture des Ardennes dimanche soir, l’ambiance était plutôt morose peu après l’annonce des résultats du premier tour des présidentielles. Les élus présents majoritairement du parti Les Républicains étaient bien tristes en écoutant François Fillon sur l’écran de télévision installé dans les grands salons.
Le candidat de la droite arrivé en 4e position dans le département appelait à faire barrage au Front national en votant Emmanuel Macron pour le 2e tour des présidentielles. Une consigne reprise à contrecœur par le président du conseil départemental et sénateur Benoît Huré, ainsi que par le président de la région Grand Est, Philippe Richert.
Haut la main
Il faut dire que dans les Ardennes, Marine Le Pen l’emporte haut la main sur Emmanuel Macron. Sur 150 303 votants, 47 578 Ardennais ont choisi le Front national. Soit 32,4% des voix, loin devant les 18,3% d’Emmanuel Macron, lui-même talonné de près par les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon (17,83%) et de François Fillon (17,22%). Pour le parti socialiste, c’est la débandade puisque Benoît Hamon arrive en 6e position derrière le parti Debout la France de Nicolas Dupont Aignan, premier des petits candidats.
Les cartes sont complètement rebattues dans un département où le PS était majoritaire en 2012 avec 28,93% pour Hollande. Marine Le Pen occupait alors la 2e place dans les Ardennes, devant Nicolas Sarkozy. Pour ce premier tour, le Front national semble poursuivre sa conquête, enclenchée lors des régionales, en faisant 8 points de plus qu’au premier tour 2012, soit presque 10 000 voix supplémentaires.
Dans la Meuse, Marine Le Pen prend 32,3% des voix contre 19,3% pour le mouvement En Marche! d’Emmanuel Macron. Les Républicains de Fillon arrivent ici en 3e place avec 18% des voix devant les 15% de Jean-Luc Mélenchon. En Meurthe-et-Moselle, l’écart est moindre: 25,9% pour Marine Le Pen, 22% pour Emmanuel Macron, 20,4% pour Jean-Luc Mélenchon, 16,5% pour François Fillon, 6,2% pour Benoît Hamon et 5,1% pour Nicolas Dupont Aignan. Sur l’ensemble de la région Grand Est, Marine Le Pen est en tête avec 27,78% des votes contre 20,72% pour Emmanuel Macron.
Quand y en a plus…
Les Français n'ont pas fini de souffrir… Après les présidentielles, viendront les législatives en juin et la nécessité pour le gagnant, a fortiori Emmanuel Macron, de se constituer une Assemblée nationale suffisamment forte pour gouverner.
Dans les Ardennes, aucun candidat d'En Marche! n'a encore été investi mais plusieurs noms circulent: Mario Iglésias, maire de Fumay, Éric Pilardeau, maire de Bogny-sur-Meuse, et pourquoi pas Jean-Pierre Morali, le référent du mouvement pour le département. Vivant dans les Ardennes depuis quatre ans, il est engagé auprès d'Emmanuel Macron depuis octobre 2016 et a connu «une expérience politique avec le PS il y a 15 ans, en île de France».
Là encore, l'élu FN Guillaume Luczka qui se présente sur la 2e circonscription est très confiant: «J'ai un boulevard devant moi. C'est idéal d'avoir Macron. Il n'a aucune structure. Ils n'ont rien localement et sont inconnus». Le PS ou EELV, Les Républicains présenteront aussi des candidats, ainsi que la France insoumise et le Parti communiste. La date limite de dépôt des candidatures est le 15 mai soit une semaine après le second tour.

Jean-Pierre Morali(En Marche!) :«La victoire reste à construire»
Dimanche soir, le référent Ardennes du mouvement «En Marche!» Jean-Pierre Morali, était un des premiers à fouler les tapis des grands salons de la préfecture.
«On l’a fait, c’est magnifique. Mais la victoire reste à construire», a-t-il réagi assez sobrement, heureux toutefois «vis-à-vis du monde qu’En Marche! arrive à la première place dès le premier tour […] un mouvement pro européen, pro travail, un vrai renouveau qui dépasse la dimension stérile d’affrontement».
Ancré dans une volonté de dépasser les clivages gauche-droite et défenseur du nouveau mot-clef «en même temps», il a insisté sur la nécessité d’aller «au-delà de l’arithmétique» afin d’obtenir un «vote de conviction. Notre idée est que les Français nous rejoignent autour d’un projet original, innovant […]».
Les 350 adhérents du mouvement organisé en neuf comités locaux (Hargnies, Fumay, Bergnicourt, Vouziers, Buzancy, 2 à Charleville-Mézières, Sedan et Neufmanil) ont encore deux semaines pour mobiliser les citoyens autour d’un candidat que les partis traditionnels appellent à soutenir. Emmanuel Macron viendra-t-il à la rescousse durant l’entre-deux tours? Jean-Pierre Morali est plutôt réservé rappelant que le porte-parole du mouvement, Benjamin Grivaux avait remplacé au pied levé le candidat lors d’une rencontre à Charleville-Mézières mardi dernier.

Florian Lecoultre (PS) :«Le FN est en train de gagner dans les têtes»
Maire de Nouzonville, premier secrétaire fédéral PS des Ardennes et présent sur l’organigramme de Benoît Hamon, Florian Lecoultre ne cache pas sa tristesse au vu des résultats qui classent son candidat 6e.
«Évidemment, le très haut score du FN et le très bas de Hamon étaient très attendus, cela n’en reste pas moins une meurtrissure de voir que le FN est en train de gagner dans les têtes. Il s’impose comme une alternance politique de ce système qui n’en finit pas de mourir. Et bien sûr, j’ai de la tristesse aussi pour Benoît Hamon qui proposait quelque chose de neuf et d’authentique». Quinquennat traîné comme un boulet, trahisons en cascade, une campagne très courte… L’honnêteté et la sympathie qu’inspire Benoît Hamon d’après Florian Lecoultre n’ont pas suffi à ranimer un parti «dans le coma depuis des années». Entouré de «militants déboussolés», d’un PS ardennais devenu «faible contrairement à l’image d’Épinal», Florian Lecoultre, 27 ans n’a pu qu’observer les «gens de sa génération faire le choix de Mélenchon».
Aujourd’hui sa priorité est de «tout mettre sur la table et de s’interroger sur ce qui doit être fait. Cela va être dur de cohabiter et de militer avec ceux qui ont fait le choix de tuer le socialisme», détaille-t-il. Votera-t-il le 7 mai prochain? «Je ne voterai pas pour Macron. Je ferai barrage à l’extrême droite. C’est ce que je me dis pour rendre la chose moins difficile, mais j’ai une grosse crainte pour l’avenir. On est à l’aube de quelque chose de pas beau. On va juste retarder l’échéance. Macron marche pour le FN».

Baptiset Touchon (La France Insoumise: «Nous n’avons pas de choix possible»
Conseiller municipal de Signy-l’Abbaye, Baptiste Touchon est un des membres actifs des sept groupes d’appui de la France insoumise répartis sur les Ardennes (Carignan, Sedan, Rethel, Vouziers, Signy-l’Abbaye, Charleville-Mézières-Nouzonville, Givet-Vireux).
Il a vécu son enfance à Couvin où ses parents tenaient le café de l’église. Militant, il est régulièrement en contact des membres du PTB. Contacté par téléphone, il a rappelé que concernant les consignes de vote, «Jean-Luc Mélenchon ne s’est pas prononcé. Les membres du mouvement en décideront. Dans l’isoloir chacun fera ce qu’il voudra. Pour ma part, je voterai blanc et ce sera aussi sûrement le choix de nombreux membres du mouvement».
Quant aux risques de laisser passer le FN au second tour, il explique:«Au second tour, nous avons la cause et les conséquences. La cause, c’est Macron. Une politique libérale qui déclasse ceux qui sont déjà mis de côté et qui subissent la mondialisation, comme dans les Ardennes. Les plus diplômés s’en vont car ils ne trouvent pas d’emplois dans un territoire excentré. C’est le même problème qu’en Wallonie».Le jeune homme déplore que la candidature de Jean-Luc Mélenchon n’ait pas rassemblé Hamon, Arthaud et Poutoux derrière lui.«Il proposait une alternative de tolérance. C’est une très grande déception. Nous n’avons pas de choix possible. Nous allons continuer la mobilisation et élargir le mouvement. En 2022, nous aurons le FN. La droite et la gauche faisaient semblant de ne pas comprendre. Il y a le même comportement partout en Europe. Une gauche se reconstitue et le populisme monte. En Belgique le PTB va monter aux prochaines élections»,prédit-il.

Guillaume Luczka (FN) :«Nous avons une réserve de voix considérable»
«E n tant que représentant ardennais du Front national, je sautais de joie dimanche soir», raconte Guillaume Luczka, conseiller régional Grand Est et conseiller municipal de Charleville-Mézières.
«Avec 32,4% nous avons le double de notre adversaire. Nous sommes largement en tête. Je ne m’attendais pas à un tel écart.» Et de citer la Pointe, la Vallée et en particulier Bogny-sur-Meuse, fief d’Éric Pilardeau, soutien d’Emmanuel Macron où le FN atteint 38,8% des voix. «Cela annonce de très beaux jours devant nous», poursuit-il très optimiste pour la suite des événements. «Nous avons une réserve de voix considérables. J’ai reçu de très nombreux messages de soutien provenant de Républicains, des militants des élus municipaux. Et également des personnes ayant voté Mélenchon. Elles nous rejoignent sur une analyse liée à la désindustrialisation et sur la méfiance vis-à-vis de l’Union européenne. Nous avons aussi les voix de Nicolas Dupont-Aignan. Le deuxième tour sera difficile pour Macron qui a été gonflé médiatiquement. Les reports de voix ne seront pas systématiques. Les Républicains qui craignent une ouverture totale des frontières iront voter Marine. Tout le monde ne suivra pas les consignes.»
L’élu frontiste mise sur la prééminence des valeurs identitaires sur l’économie et compte retourner sur le terrain à la rencontre des Ardennais. «Dans les Ardennes, Marine Le Pen sera première j’en suis convaincu». «Nous sommes sereins. Nous attendons. Dans tous les cas, c’est une victoire. Nous n’avons jamais été aussi haut et ce sera encore plus fort dans quinze jours. Ça va remettre les jeux à plat. Les alliances vont être différentes.»