Une semaine pour décrypter le langage codé du web à la Coding School de MolenGeek: «Codeur, métier en pénurie»
Codeur, métier en pénurie. 15 jeunes testent donc leurs capacités et motivation à Molenbeek: c’est la «coding week». Ces Bruxellois y décryptent les rudiments des langages web. Ils espèrent ensuite entrer à «l’école de codage» qui ouvrira en mars. Sous les yeux paternels et exigeants de Khalid, «prodige de l’ordi» d’après ses étudiants.
Publié le 23-02-2017 à 16h42
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«Voilà un plugin qui peut faire énormément de choses. Mais il faut savoir l’utiliser».
Le jargon dans la salle au sol en béton lissé est aussi obscur que les lignes oranges, vertes, jaunes et bleues qui s’écrivent dans le rétroprojecteur. Il faut savoir l’utiliser, mais nous, on en est incapable. Ça cause «html», «mise en cache», voir «doctype», «PHP», «CSS» et «WP_head». On n’essaye même pas de suivre.
Par contre, la quinzaine de jeunes inscrits à la «coding week» organisée cette semaine à MolenGeek ne quittent pas l'écran des yeux. Celui de leur PC, et celui où se projette le code qu'ils sont là pour démêler. Avec ces 5 jours de cours accélérés, l'incubateur de start-up molenbeekois veut préparer ces candidats à la «coding school». L'école de codage s'ouvrira là-bas dès mars, dont le programme est développé par développé en partenariat avec Bruxelles Formation, l'ULB, Google et Samsung. Sa première promotion comptera 15 étudiants, avant que 6 classes ne se remplissent en septembre.

«Il faudra choisir, comme un coach de foot»
«Pour la première promotion, il faudra choisir, comme un coach de foot», se résout Khalid Dadi, responsable de la coding school. Le Bruxellois de 34 ans, dont un bon tiers à coder, refuse l’étiquette de directeur. «L’esprit, c’est de s’éloigner de l’école ou de ces cours statiques où on se tait et on apprend, typiques des formations professionnelles. On explique les grandes lignes puis on les pousse. Ils chipotent eux-mêmes, explorent, conçoivent un petit projet. En deux jours, des gens qui n’avaient aucune connaissance en web design sortent des trucs canon».

Mais au fait, c’est quoi, ce fameux «code»? «Ah, c’est très vaste», souffle Khalid. «En simplifiant, y a plusieurs langages. L’HTML pour la structure d’une page, le CSS pour sa mise en forme. Le MySQL couvre la base de données et le PHP se charge du serveur». On comprend donc que chaque fonctionnalité d’un site s’exprime dans sa propre langue, dont les apprentis-codeurs s’attachent à apprendre le vocabulaire de base. «Après, des dictionnaires pullulent en ligne: ils doivent juste apprendre à s’en servir. Ils doivent en vouloir pour aller plus loin», glisse le prof en baskets.
«J’ai fait chauffagiste, mais derrière un ordi, je suis dans mon élément»
Tawfiq, 21 ans, débarque avec l’encouragement de copains «gamers». Du jeu vidéo à ses rouages, il n’y a peut-être qu’un pas. Son but est modeste: réussir à créer une petite application pour lui-même. Pour la fin de la semaine, il planche sur un «casino en ligne». Son regard pointe quand même au-delà, vers un horizon professionnel «à son compte ou pour une boîte», même si après 3 jours de codage à peine, il n’ose pas trop rêver tout haut. «Après le secondaire, j’ai fait une formation de chauffagiste. Mais c’est derrière un PC que je me sens dans mon élément», souris le Molenbeekois de 21 ans. «J’aimerais intégrer la coding school et je suis prêt à étudier chez moi. 6 mois, c’est court pour tout connaître. Alors le tuto sur internet est notre meilleur ami».

Dans l’espace partagé du bord de canal, Tawfiq navigue dans un environnement qui lui convient. «Tu viens, tu te déposes, tu peux te servir un café, tu te sens comme chez toi. T’es comme à la maison. c’est pas comme à l’école: tu décroches pas. Et puis Khalid, c’est un prodige de l’informatique». On sent que la détermination du jeune homme se renforce sous les conseils des coachs.
«On est dans Matrix ici»
Même feeling chez Jordan, bonnet vissé sur la tête, qui insiste pour remettre sa doudoune noire pour la photo. «J’étais demandeur d’emploi et Actiris m’a envoyé cette info sur la coding week. Je projette un bac informatique: ça pourrait me donner des dispenses d’après mes potes. “C’est le must”, ils m’ont dit. Alors j’ai sauté», relate le Saint-Gillois de 24 ans.

Le gaillard ne s’est pas trop plu sur les bancs de l’enseignement supérieur, en tradution puis littérature allemande. Mais MolenGeek lui correspond mieux, où il conçoit une page qui compile ses analyses «maison» d’enquêtes journalistiques. «Je ne supportais plus la table et le tableau, la distance académique. Ici, les profs sont proches des étudiants mais leur laissent leur autonomie». Se voyant bien dans l’e-commerce, Jordan appréhende le code comme une langue cryptique. «C’est pas déplacer deux ou trois trucs comme avec Photoshop. On est dans Matrix ici, avec les lignes vertes qui défilent. Ce mystère m’attire, ouais».
Diplôme de la coding school sur le CV, Jordan assure qu’il «n’aurait plus aussi difficile de trouver un métier». Pas faux, selon le responsable. «Codeur, c’est clairement un métier en pénurie», plaide Khalid Dadi, qui croule sous les commandes. «Mais avant tout ça, les élèves doivent évoluer». Derrière son regard paternel, le web designer sait se montrer exigent. «J’aimerais les garder tous mais on n’a que 15 places. Alors ils doivent faire leurs preuves. Dont montrer qu’ils peuvent bosser en équipe. C’est pourquoi on va les tester sur le développement d’un “serious game”, un jeu pédagogique sérieux».
Les règles du jeu semblent claires pour Jordan, Tawfiq et les autres: bosser et arrêter de jouer.

«Ici, on leur permet de tester en conditions réelles»

Yassine Kharchaf, vous êtes web-développeur et formateur à la «coding school» de Molenbeek. Quel est le plus grand défi pour ces jeunes?
Ils doivent apprendre à apprendre. Et nous devons faire en sorte qu’ils apprennent à leur façon. Le but, c’est qu’ils assimilent des méthodologies de recherche d’information et puis qu’ils ingèrent ces infos. Ils doivent devenir autodidactes.
Et de votre côté, quel est le défi?
C’est de pouvoir modeler l’information pour pouvoir les atteindre tous et être compris par tout le monde.

À les entendre, vous leur offrez un environnement éloigné de l’école traditionnelle qui semble leur convenir...
Je ne connais pas leur passé mais je pense que le système scolaire belge n’envoie qu’un type de message à un seul type d’apprenants. S’ils ont besoin de tester, les formations classiques ne le leur permettent pas. Ils doivent rester immobiles. Ici, on tente de renverser ce paradigme.
6 mois, c’est suffisant pour en faire des codeurs prêts au marché de l’emploi?
C’est clairement pas assez long pour tout apprendre. Ils devront donc consolider par la pratique.
Vous-même êtes codeur indépendant: comment en êtes-vous arrivé à créer votre boîte?
J’ai commencé le code en autodidacte après les études. J’ai travaillé deux ans dans une boîte en tant qu’intégrateur web, puis 1 an comme designer. Ensuite, je me suis lancé comme indépendant car j’ai envoyé des centaines de CV et je n’ai même pas reçu une réponse. J’ai pris les choses en main.
Pour vos étudiants, codeur, c’est un métier d’avenir?
T’as de l’avenir si t’as envie d’en avoir.