Ils surveillent les 26 tunnels bruxellois: «Un lama dans le tunnel Otan, un accouchement dans le tunnel Arts-Loi»
Les tunnels bruxellois: leurs files, leurs incidents, leur vétusté, leurs fermetures inopinées. On s’en plaint beaucoup. Mais derrière ces nœuds routiers œuvrent 19 paires d’yeux. Ces contrôleurs se relaient jour et nuit pour que votre stress et votre patience soient épargnés le plus possible. Plongée dans leur tanière, décorée d’écrans et de clignotants.
Publié le 11-01-2017 à 10h01
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Les bouchons de champagne du Nouvel An n'ont pas eu le temps de toucher le sol que ceux de la Petite Ceinture ont déjà décollé. Ce lundi, un incendie dans un local technique a enclenché la fermeture du tunnel Rogier pendant toute la journée. Et dans un feu d'artifice coordonné, des automobilistes ont carrément fait demi-tour à l'entrée du tunnel Léopold II pour ne pas s'y engluer, suite aux files générées en aval. Résultat: de multiples fermetures du tronçon, due au non-respect flagrant du code de la route.
Mais qui décide de fermer ces tunnels? Et sur quelle base? Pour le savoir, nous avons visité la salle de contrôle du centre Mobiris, QG de Bruxelles Mobilité branché 24h/24, 7j/7 sur les 26 tunnels et les principaux carrefours de surface de la région. 450 caméras renvoient ici les tôles froissées, les feux récalcitrants, les courts-circuits, les files interminables ou les moteurs en fumée déplorés quelque part sur les 350km de routes gérés par la Région.

Taupes
Une vingtaine d’écrans éclairent cette salle sombre des étages de la Gare du Nord. Ils zappent en continu, comme dans les mains d’un ado. Derrière des rideaux de PC, deux agents verrouillent leur attention sur les signaux qui clignotent, taupes aux yeux plissés dans une pénombre et un silence qui étonnent à quelques marches du nœud de communication schaerbeekois. Le job est stressant: rien ne peut leur échapper. Quand on sait que 60.000 véhicules passent toutes les 24h dans chaque sens du tunnel Léopold II, ou que 40.000 liment les deux axes du tunnel Louise, il s’agit d’avoir les mirettes accrochées.
«Dans la majorité des cas, nous sommes les premiers à détecter les problèmes», assure Peter Van Goethem, superviseur au Centre Mobiris. «Tous les équipements des tunnels sont munis d’un détecteur qui nous informe de tout dysfonctionnement. À la première alarme, après une brève analyse, on communique le souci vers la police et, éventuellement, les pompiers. Accident, panne, file, pépin technique, incendie...: chaque problème a sa procédure spécifique». D’un bouton, la télégestion permet aussi à ces contrôleurs des routes d’abaisser depuis fin 2015 les barrières des tunnels les plus longs: Léopold II et Belliard.
Le centre Mobiris en chiffres
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Une fois l'urgence enclenchée, le centre Mobiris informe les usagers. «Les messages s'écrivent sur les panneaux d'urgence aux entrées des tunnels et on informe aussi en direct via Twitter». Le flux Twitter de Mobiris, bilingue et très réactif, «reste aujourd'hui principalement relayé par les journalistes», reconnaît Camille Thiry, porte-parole de Bruxelles Mobilité, «mais on espère qu'il va entrer dans les habitudes des usagers».
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Ventilateurs
Le centre Mobiris gère «entre 1000 et 1500» incidents trafic par an. Ceux-ci ont un impact sur la voirie et nécessitent des interventions de sécurité. Par ailleurs, «entre 6000 et 6500 incidents techniques» remontent aussi aux contrôleurs. Ils arrivent via les 450 caméras ou la détection automatique des incidents. Celle-ci se traduit visuellement sur des schémas des tunnels, cadencés de voyants. La police, les communes ou les citoyens via l'app FixMyStreet, sont aussi de bons informateurs. Pour résoudre ces feux en panne, ces nids-de-poule, ces éclairages ramollis, ces bermes centrales cabossées et ces ventilateurs à l'arrêt, Mobiris dépêche immédiatement l'entrepreneur désigné. Ou tente de redémarrer les équipements récalcitrants à distance.


Dans ces protocoles stricts, «il y a peu de place au libre arbitre», souligne Peter Van Goethem. Il vaut mieux quand on sait qu’une décision influence la journée de dizaines de milliers d’automobilistes sur les dents. Assis depuis 17 ans dans cette tour de contrôle, Bruno «n’est pas stressé». Mais concède que son métier «est fatigant». «La nuit et le week-end, il faut rester attentif. Car si la densité du trafic diminue, la gravité des accidents augmente». Pourrait-on améliorer son cadre de travail? «On peut toujours faire mieux évidemment. Mais on ne manque pas de grand-chose. Pour nous comme pour les usagers, ce sont surtout les infrastructures qui doivent être rénovées», glisse le contrôleur des routes. Son superviseur acquiesce: «Avec cette rénovation, on devrait obtenir des équipements plus performants».
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L’incident le plus fréquent, c’est le coup de la panne ou le petit accrochage. En plein tunnel, c’est près de 60 chaque mois. Et chaque fois, les répercussions sont cataclysmiques. «On se demande comment ces automobilistes ne pensent pas à pousser quelques mètres pour se ranger dans un abri ou sortir du tunnel», nous glisse-t-on dans un haussement d’épaules. «Ils sortent de leur voiture, ce qui est dangereux. Puis restent les bras croisés».
Zèbre
Les 19 experts bruxellois de la double bande qui se relaient au centre Mobiris collectionnent aussi quelques anecdotes. «Une femme a accouché dans le tunnel Art-Loi», se souvient Bruno. «Sa voiture était tombée en panne. Un taxi a finalement chargé la maman et le bébé vers l’hôpital». Outre «un lama et un zèbre dans le tunnel Otan», le week-end réserve aussi ses surprises. Myriam, 7 ans de boîte, se souvient d’une fermeture nocturne du tunnel Léopold II. «Un type saoul avait enlevé tous ses vêtements».
Attention, car sous les yeux de ces contrôleurs, ce sont tous vos comportements sur la route qui sont déshabillés.
Les caméras automatiques: comment ça marche?
Les écrans défilent en permanence aux murs du centre Mobiris. Outre des cartes de la Région, des plans des grands axes, des schémas détaillés des portions souterraines, ce sont des vidéos en temps réel qui guident les éventuelles interventions.
Sur le «vidéo wall», les tunnels sont rangés géographiquement (voir notre photo interactive). Ils sont scrutés par les yeux automatiques des caméras. «Elles tournent en séquences», détaille Peter Van Goethem, superviseur au Centre Mobiris. «Cette rotation dure quelques minutes. Le logiciel compare en temps réel les images reçues à une photographie "de base", représentant une chaussée libre normale. Les calculs fonctionnent suivant un décompte des pixels. Si le nombre de pixels décolorisés augmente, par exemple, les ordinateurs détectent l'anomalie. Et ça remonte vers nous. On peut donc connaître un dégagement de fumée, mettons, avant de le voir "en vrai"».
Le réseau urbain de tunnels bruxellois est quasi unique en Europe. «C'est très spécifique. On le retrouve à Lyon, avec qui nous collaborons», confie le superviseur. L'attention apportée à ces tunnels est donc primordiale, «car c'est un espace fermé».
Sachez enfin, si le délit de fuite vous tente, que toutes les images sont conservées 3 jours au centre Mobiris avant d'être effacées. Et on le garantit là-bas: «la police demande régulièrement à visionner les images». Vous voilà prévenus.
