Louvain-la-Neuve a 45 ans : ils ont vécu l’arrivée de l’UCL
Il y a 45 ans, le 2 février 1971, était posée la première pierre de Louvain-la-Neuve. Rencontre avec trois témoins de l’arrivée de l’UCL en Brabant wallon.
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Publié le 06-02-2016 à 05h00
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Nicolas Braibant a 87 ans. Il habite Corroy-le-Grand, à deux pas de la ferme familiale où il est né. L’arrivée de l’université: cet agriculteur s’en souvient très bien. À l’époque, tout en exploitant la ferme de Corroy, il avait repris celle de l’oncle de son épouse, la ferme… de Lauzelle.
«Il en était locataire. Très malade, il a dû la quitter. Mais notre tante a souhaité que nous la reprenions, ce qui fut accepté par le régisseur.»
C'était en 1965. «En juillet 1966, on apprend l'expropriation de 248 hectares. Je l'ai appris via un article de La Libre Belgique dans lequel il était écrit que l'université viendrait s'installer à Ottignies et non dans le Nord de Wavre comme ce fut un temps évoqué. Il y avait une carte avec un cercle. La question était dès lors de savoir si nous étions impactés ou non. Après plus ou moins un an d'exploitation de la ferme de Lauzelle, c'est un cadeau un peu spécial.»
Une partie des terres de cette dernière est incluse dans le périmètre. En 1968, une deuxième expropriation concerne, elle, plus de 500 hectares pour constituer le site que l’on connaît aujourd’hui. De bonnes terres agricoles où étaient cultivés de la betterave, du blé, du froment, de l’escourgeon…(suite du texte ci-dessous)
«Décidés à partir en France»
«Avec l’accord de ma femme, nous avons recherché une ferme à exploiter en France. Nous étions décidés de partir une fois que tous les problèmes liés à l’expropriation seraient réglés.»
Sur le site, 90% des terres appartenaient à des propriétaires qui en laissaient l'exploitation à des agriculteurs sous le régime du bail à ferme. Quand ceux-ci ont vendu leur terre – assez rapidement en ce qui concerne les gros propriétaires – les locataires avaient droit à des indemnités. «Cela a duré plus de cinq ans pour aboutir. Car si les ventes ont été vite réglées, les négociations pour les indemnités des agriculteurs ont été longues. Trop longues.»
Avec d’autres agriculteurs, Nicolas Braibant a mis sur pied un comité pour se défendre. De nombreuses réunions se sont tenues à la ferme de Lauzelle avec des représentants du Boerenbond et de l’Union professionnelle agricole (UPA).
Un coup de fil de Woitrin, fondateur de Louvain-la-Neuve
En 1971, il reçoit un coup de téléphone de Michel Woitrin, alors administrateur général de l'UCL. Il souhaite le rencontrer. André Oleffe, président du conseil d'administration de l'université sera là aussi. «Ils sont venus me dire que les négociations allaient aboutir et qu'ils souhaitaient que je m'occupe, pour l'UCL, des terres qui allaient être rendues libres. Il m'offrait un contrat de 20 ans. J'ai été fort surpris et j'ai trouvé ça suspect. Après deux ou trois jours de réflexion, j'ai décliné l'offre car je tenais à conserver mon indépendance dans la gestion d'une ferme. André Oleffe m'a alors proposé de nous associer.»
En une soirée, Nicolas Braibant et un cousin rédigent un texte. «J'étais sûr qu'il ne serait pas accepté. Mais il le fut en bloc. Toutefois, je ne voulais pas être l'instrument pour mettre dehors les autres agriculteurs. J'ai donc provoqué une réunion à Wavre pour voir s'ils avaient des objections. Au final, la majeure partie d'entre eux ont accepté les indemnités et de libérer les terres directement.» L'association de fait entre lui et l'UCL pouvait voir le jour.
«Une ferme compliquée»
«C'est une ferme compliquée», témoigne-t-il. Les terres qu'il exploite rapetissent au fur et à mesure de l'agrandissement de Louvain-la-Neuve. C'est le jeu et il le sait. «Les chantiers étaient impressionnants. Avec certains entrepreneurs, cela s'est bien passé. Avec d'autres, il a fallu se faire respecter.»
Aujourd’hui, l’association est toujours d’actualité, même si désormais, c’est son fils, Nicolas aussi, qui est à la manœuvre.
Et la France dans tout ça? «Vous savez, la vie est faite de choix et il faut l'assumer», résume sereinement Nicolas Braibant.
Quant à Louvain-la-Neuve, il avoue ne pas y aller souvent. «Je suis agriculteur, la ville, ça ne m'attire pas.»
Vite dit
« Sont-ils fous ? »
Cédric du Monceau se souvient d'avoir invité en 2006 l'ancien secrétaire communal, Fernand Delgrange. Il lui a raconté cette anecdote qu'il nous partage : « Votre père (Yves du Monceau, bourgmestre d'Ottignies à l'époque de l'arrivée de l'université à Ottignies) et Michel Woitrin (un des fondateurs de Louvain-la-Neuve) m'avaient invité à venir sur le plateau. Ils me parlaient d'une ville de 50 000 habitants tandis que moi je ne voyais que des champs et quelques fermes. Je me suis demandé si c'était moi ou eux qui étaient fous… »
D'illustres familles
Parmi les gros propriétaires qui ont vendu leurs terres à l'université, on retrouve notamment la famille des ducs Pozzo di Borgio d'origine corse. Elle possédait la ferme de Lauzelle et une grande partie du bois qui porte le même nom. Parmi les membres de cette famille, Philippe qui a inspiré l'histoire d'Intouchables où un aristocrate tétraplégique (François Cluzet) choisit comme aide à domicile un banlieusard (Omar Sy). Il y avait aussi la famille Boël (ferme du Biéreau) ou encore la famille Jacquemotte (celle des cafés).