Ça barde entre riverains et Ville sur le piétonnier: «Les gens sont des gros fainéants»
Pollution, bruit, chiffre en baisse, trafic, manque d’info, gigantisme du projet, absence de solution pour les vélos ou les PMR... Les questions ont jailli comme des missiles à la commission de concertation sur l’aménagement urbanistique du piétonnier bruxellois. L’échevin n’a eu qu’à revêtir son gilet pare-balles.
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Publié le 14-10-2015 à 17h52
«On s’en fout des fleurs. C’est pas les fleurs qui apportent la tartine, hein!»
Le débat promet d’être houleux quand Geoffroy Coomans de Brachène, échevin de l’Urbanisme (MR) à la Ville de Bruxelles (lire sa réaction ci-dessous), ouvre ce 14 octobre la commission de concertation concernant les aménagements du piétonnier. «Aujourd’hui, le sujet, c’est espace public. Et pas mobilité», essaye-t-il de prévenir, malgré les multiples interrogations, parfois véhémentes, du public.
Pour cette première réunion à permettre d'entendre officiellement l'avis des opposants («il y aura un PV»), la Ville a convié au Casino Viage riverains, commerçants, associations et les diverses parties prenantes du réaménagement des boulevards du centre. La courte présentation par Livia de Béthune, du bureau Sum, du volet urbanistique d’un projet que beaucoup connaissent par cœur dans l’assistance a rappelé que le cœur du projet divise le piétonnier en trois axes destinés au flux piéton: deux passages de 5m30 à front de rue et un passage de 6m au centre séparés par 2 zones mixtes (lire ci-dessous).
Ensuite, c’est à un feu nourri de questions de plus de 3 heures qu’ont eu à répondre Ville, Région et concepteurs. On en retiendra principalement les demandes conjointes de l'ARAU, d'IEB et de la Platform Pentagone de réaliser une étude d'incidence, ainsi que le mea culpa de l'échevin Geoffroy Coomans, «conscient que le projet déposé pose une série de problèmes», notamment à ses pourtours. Florilège.
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«La manif a défilé devant un parking»
André Loits, propriétaire dans le quartier Dansaert
«Les boulevards sont par excellence destinés au commerce, à la mobilité, pas des lieux de promenade. Il ne faut pas séparer l’urbanisme de la mobilité mais commencer par régler les problèmes de transport public. Un passage de 6m au centre du piétonnier? C’est n’importe quoi! De plus, ces boulevards sont impossibles à entretenir: les coûts de nettoyage des zones de «bloemekes» vont exploser. Enfin, je suis choqué d’avoir vu la manifestation nationale être interdite au centre: ces 80.000 citoyens ont manifesté devant un parking. L’expression publique doit avoir lieu sur les boulevards».
«La majorité des gens sont des fainéants»
Hassan Kessas, librairie Utopia, rue du Midi
«Vous avez vu le piétonnier le matin? C’est un carnage. Bourse et De Brouckère, c’est devenu des places à viols et à camés. C’est sûr, la pression automobile est un gros problème. Je le sais: ma maman a été renversée. Mais nos commerces sont nos enfants et on les défend avec nos tripes. Et puis, il aurait fallu mieux informer. La majorité des gens sont des gros fainéants: ils adorent leur voiture et si on ne leur montre pas les parkings, ils ne viennent pas».
«On se tape pollution et bagnoles»
Valérie Berckmans, représentante de 130 commerces indépendants du centre
«On travaille aux abords directs du piétonnier, rue Van Artevelde, rue Dansaert, rue des Chartreux, et là-bas, le trafic est insupportable. La Ville ne peut pas se vanter et dire que l’air est plus pur sur le piétonnier alors que le trafic est plus dense que jamais à 100m de là. Sans parler des baisses de chiffre d’affaires. Sur le piétonnier, ces petites fleurs et petits oiseaux, mais nous on se tape pollution et bagnoles».
«Aspirer les déchets dans le sol»
Comité du quartier Saint-Jacques
«Nous avons plusieurs suggestions à apporter. Pour la place Fontainas, nous pensons à un belvédère avec vue panoramique sur le piétonnier, ainsi qu’à une butte de terre permettant de vraies plantations. Autre idée: un système d’aspiration des déchets directement implanté en sous-sol, comme à Barcelone. Il faut veiller à ne pas obstruer la perspective depuis De Brouckère avec l’œuvre d’art monumentale. Enfin, pourquoi ne pas prolonger la verrière du centre Anspach sur tout le boulevard?»
«Une version de Louvain-la-Neuve plus BCBG»
Gaëtan Wenders De Ryck, riverain
«Je suis exclusivement piéton depuis plusieurs années, au grand dam de mes enfants. Mais je veux aussi que tous les usagers soient pris en compte. Pourquoi piétonniser les boulevards alors que Bruxelles compte des piétonniers «naturels» comme le Béguinage ou Saint-Géry? Et je vous en prie, on n’est plus au temps des grands chantiers: il faut dialoguer, s’écouter, se concerter. La grandeur de Bruxelles, c’est son mélange. Or, le Bruxelles de Sum, c’est une version améliorée d’un Louvain-la-Neuve encore plus BCBG».
«65% des clients viennent en voiture»
Alain Berlinblau, Président du Groupement des commerçants du centre de Bruxelles
«Aucune ville au monde n’a mis un de ses boulevards en piétonnier. Pas plus Lille qu’Anvers, pourtant souvent cités en exemples. Pourquoi donc mettre en péril l’activité commerciale en verdissant un boulevard? Le petit commerce va disparaître. D’ailleurs, on a déjà des baisses de chiffre de 25 à 30% parfois. Et on sait que 65% des clients viennent en voiture».
«Le client de Dubaï, il attend son taxi 10 minutes max»
Jean-François Mignon, responsable commercial de l’appart-hôtel Adagio, bvd Anspach
«Pour les hôtels, le problème principal actuellement, c’est l’accès des taxis. Ils ne sont pas dans les stations et, aujourd’hui, on peut patienter 45 à 50 minutes pour une voiture. Le client qui vient de Dubaï, il va attendre 10 minutes maximum. Et s’il veut se rendre à Grimbergen, que faire?»
«Ne créez pas de conflit entre vélos et piétons»
Nino Peeters, ASBL Passe le message à ton voisin de défense des PMR
«Il faut éviter un revêtement glissant. Il faut aussi penser à ce que tout le mobilier et les toilettes soient accessibles aux PMR. Il ne faut pas de pubs dans le chemin qui risquent d’être des obstacles aux malvoyants. Profitez des travaux pour rendre les commerces et administrations accessibles. Quant aux laissez-passer, ils ne s’adressent qu’aux riverains: qui des autres PMR. Enfin, ne créez pas de conflit entre piétons et cyclistes mais prévoyez des axes sécuritaires et rapides pour les vélos en dehors du piétonnier».
«Il faut un axe rapide pour les vélos»
Florine Cuignet du Gracq, association de défense des cyclistes
«Les modes actifs de déplacement ne doivent pas n’être favorisés que dans le périmètre du piétonnier mais dans tout le Pentagone. Il faut aussi maintenir un axe de pénétration rapide des vélos dans le centre, comme c’était le cas via les boulevards. Enfin, pour éviter les conflits entre piétons et cyclistes, le Gracq suggère une zone centrale de 9 ou 10m».
«Un étudiant se ferait péter»
René Schoonbrodt, fondateur de l’ARAU
«Un étudiant se ferait péter s’il séparait mobilité et urbanisme! Ce que la Ville de Bruxelles veut ici, il faut s’en rendre compte, c’est introduire la périphérie en centre-ville. Sa vision, c’est la négation de la ville. Et c’est une concurrence aux galeries commerciales de la périphérie». À la commission de concertation, l’ARAU a exigé, comme Inter-Environnement Bruxelles (IEB) et la Platform Pentagone, qu’une étude d’incidence soit commandée par la Région «conformément au CoBAT, le Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire». Cette étude doit porter sur le commerce, la qualité de l’air et la mobilité. IEB exige en outre «que la Ville de Bruxelles s’abstienne de voter en commission de concertation, ne pouvant être juge et partie».
Piétonnier: le volet urbanistique
Pas question de mélanger torchons et serviettes dans cette commission de concertation: c’est donc le look global du piétonnier, depuis De Brouckère jusqu’à la place Fontainas, qui a été présenté et seulement lui. Nulle mention ce 14 octobre du mini-Ring ou des parkings, donc, des pistes cyclables ou des lignes de bus.
Pour rappel, deux demandes de permis sont introduites: l’une porte sur le site classé de la place de la Bourse, l’autre sur le reste des segments piétons envisagés. «On ne veut pas refaire un espace public comme au XIXe siècle, ni une autoroute urbaine comme au XXe», déclare Livia de Béthune, chargée de la présentation au nom du bureau Sum. L’idée est de mieux relier les deux gares Nord et Midi tout en relançant les liaisons est-ouest via la Bourse.
En vrac, voici quelques mesures annoncées

+ Deux passages de 5m30 sont tracés au pied des façades et un passage central de 6m. Ces trois zones de circulations sont séparées de deux zones mixtes dites «de séjour» qui intègrent arbres, verdure, terrasses et mobilier urbain.
+ La zone piétonne est aménagée de plain-pied, sans aucun décalage entre ses différentes composantes, et recouverte de pierre bleue
+ Pas de piste cyclable séparée annoncée sur le piétonnier, «les cyclistes mettront pied à terre si l'affluence le rend nécessaire». 88 arceaux à vélos sont plantés pour 30 aujourd'hui et deux parkings vélos souterrains de 500 places ouverts 24h/24 implantés à De Brouckère et à la Bourse

+ 85 bancs où le promeneur pourra «se reposer sans consommer»
+ 3500m2 de verdure pour 200m2 aujourd'hui. Des ormes sont plantés mais les arbres actuels de la place De Brouckère sont supprimés, «impossibles à récupérer car leur cime a été coupée». Figuiers et arbres de Judée de la place de la Bourse, «remarquables», sont déplacés
+ Plusieurs petits kiosques
+ L'entrée à la station de métro De Brouckère est repoussée boulevard Adolphe Max. Les bouches de métros métalliques actuelles sont remplacées par des entrées plus légères et plus discrètes
+ Un «plafond lumineux» et une œuvre monumentale sur la place De Brouckère
+ Un système de récupération des eaux de pluie qui permet d'irriguer les nouvelles plantations
+ À la Bourse (transformée en Temple de la Bière, pour rappel), le site des fouilles est aménagé de plain-pied afin de ne plus faire obstacle au flux piéton
+ Rue Orts, une fontaine jaillit face à la Bourse
+ Un «square vert» place Fontainas assure la «charnière» entre les boulevards et le quartier adjacents et le nouveau parc Fontainas à venir

Le «mea culpa» de Geoffroy Coomans, échevin de l’Urbanisme
«Nous sommes conscients que le piétonnier ne se fera pas en un jour et que le projet déposé pose une série de problèmes, notamment à ses pourtours. Nous ne sommes ni sourds, ni aveugles et nous n’avons pas la science infuse, même si une centaine de spécialistes se sont penchés et se pencheront sur le dossier. C’est aussi pour ça que la phase test dure 8 mois, ce qui n’est pas de trop. Enfin, je fais mon mea culpa au nom du collège concernant la communication qui aurait pu être meilleure dans ce dossier, notamment pour améliorer la signalétique vers les parkings».