Ça grONDES contre les antennes à Bruxelles: «Je ne tenterais pas le diable pour la santé de mes enfants»
Le collectif grONDES réunit plusieurs quartiers bruxellois contre les antennes de téléphonie. Leur recours en justice vise la norme de 6v/M qui permet le déploiement de la 4G. Région et opérateur jugent le retour en arrière impensable.
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Publié le 30-01-2015 à 14h38
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«Si les antennes sont installées, je déménage. Un fonctionnaire de l’IBGE a conseillé à un voisin, dont l’appartement dispose d’une grande baie vitrée, de ne pas installer la chambre des enfants du côté des relais. Moi, je ne tenterais pas le diable pour la santé de mes enfants».
Olivier Galand n'est pas technophobe. Mais il se dit prudent. «J'éteins mon GSM pendant la nuit. Mes collègues me l'ont offert pour pouvoir me toucher. Je passe mes longues conversations à l'oreillette ou sur fixe, et je préfère la connexion filaire au WiFi». Mobistar souhaite installer 9 antennes GSM sur un toit de sa rue, à Etterbeek. Depuis, l'homme s'est renseigné. À Bruxelles, la norme de 3 volts par mètre a été quadruplée mi-2014 à 6V/m pour déployer la 4G. En gros, il fallait faire de la place à côté des 2G et 3G. Un danger? Le Conseil Supérieur de la Santé vient de conseiller un retour en arrière. Le Conseil de l'Europe prône pour sa part un 0,6V/m depuis 2011. Soit 100 fois moins que la norme bruxelloise en 2015.
«S’ils descendent le seuil à 0,6V/m, ils peuvent planter sur mon toit»
«La littérature scientifique est partagée. 50% des experts estiment qu’il n’y a aucun souci. Les 50 autres émettent des doutes. Rien ne prouve encore que les effets thermiques ou athermiques des ondes GSM créent des cancers, par exemple. Mais des troubles du sommeil sont déjà attestés. Et ça peut causer des problèmes de santé». Irritabilité, fatigue chronique, perte des cheveux, maux de tête sont évoqués. Mais aussi leucémie, stérilité ou Alzheimer.

Rompu au militantisme, Olivier Galand réunit donc plusieurs quartiers. Aidés par le Syndicat des Locataires, cette grosse vingtaine de groupement locaux fondent grONDES. «Je ne voulais pas qu'on m'accuse du phénomène Nimby. Alors, les antennes, c'est pas chez moi, mais pas non plus dans le quartier d'à côté». grONDES rallie de Woluwe à Saint-Gilles, de Jette à Anderlecht, de Watermael à Ixelles. L'association prône le principe de précaution. «Faut arrêter de dire: "vous savez, ailleurs, c'est pire"». D'où ce recours en annulation contre l'ordonnance bruxelloise qui autorise le 6V/m. Le dossier est à la cour constitutionnelle. «S'ils redescendent leur seuil à 0,6V/m, pas de problème, ils peuvent les planter sur mon toit».
Confort européen VS santé des Bruxellois
Côté Région et opérateurs (lire ci-dessous), on plaide pour le statut international de Bruxelles et les besoins de ses congressistes et eurocrates. «Ils prétendent qu’on a l’air idiot. Et qu’on ne peut développer la 4G sans relever le seuil. Nous, on pense qu’à défaut de s’en passer, on peut réduire la puissance du 2G, une technologie obsolète. On peut aussi multiplier le nombre d’antennes de moindre amplitude et supprimer les plus puissantes, même si ça ne résoudrait pas le problème pour les électrosensibles. Mais tout ça coûterait plus cher aux opérateurs».
Outre des attributions de permis que grONDES juge «opaques» et «peu démocratiques», l’association interroge aussi la notion d’ «intérêt général». «Je ne pense pas que ces technologies créent de l’emploi. Bien sûr, elles sauvent des vies dans les ambulances, comme on nous le fait remarquer. Mais le confort des fonctionnaires européens vaut-il de mettre la santé des Bruxellois en jeu?» La moue d’Olivier Galand est dubitative. «J’étais au resto l’autre soir. Il y avait cette table, un couple et trois enfants. Les trois jeunes pianotaient. Le papa aussi. Et la maman semblait perdue. C’est ça, l’intérêt général?»

«Des toits, il n’y en a plus des milliers»
Jean-Marc Galand, vous représentez les opérateurs au sein du GOF (GSM Operators Forum). Cette norme de 6V/m est-elle vraiment indispensable à Bruxelles?
Vu la croissance des utilisateurs par plus de 100% en un an, il fallait introduire cette norme, qui permet un déploiement des réseaux dans des conditions convenables tout en maintenant les technologies 2G et 3G. S’il n’y avait qu’un usager, on pourrait se contenter d’une seule antenne tous les 3km. Mais Bruxelles est la capitale de l’Europe et compte un million d’habitants, ce qui justifie la densité du réseau.
Les opérateurs pourraient-ils opter pour davantage d’antennes moins puissantes, comme suggéré par les opposants de grONDES?
Le parcours administratif reste très long à Bruxelles, avec les demandes de permis d’urbanisme et d’environnement. Et puis, les toits qui permettent une certaine portance ne sont plus des milliers. Obtenir l’accord des propriétaires, parfois inquiets à tort, peut s’avérer difficile. D’où notre préférence pour des antennes plus puissantes.
À quoi ressemble le toit «idéal»?
On ne peut pas planter d’antenne sur l’Atomium ou la Tour Belgacom: elles sont trop hautes. Le 6V/m descend avec un facteur de 6%, soit 6m tous les 100m. Dans une ville bâtie à 95%, l’idéal, ce sont des toits d’immeubles moyens.
Supprimer la 2G, c’est possible?
Dans un monde idéal où tout le monde utilise le smartphone, qui accepte les datas, on pourrait basculer le canal des voix sur ce réseau «data». Mais le smartphone ne concerne actuellement que 35% à 40% de l'équipement. Tout le monde n'a pas les moyens d'y passer. Garder la 2G a donc aussi une valeur sociale (lire nos repères pour plus de précision).
Les réseaux devront cohabiter jusqu’à quand?
Les évolutions de l’usage montrent que la 2G pourrait se maintenir jusqu’en 2018 ou 2019 pour les GSM. Mais il ne faut pas oublier ce qu’on appelle «l’internet des objets»: les machines qui communiquent entre elles via cartes SIM. C’est un marché énorme qui concerne par exemple les châteaux d’eau ou les distributeurs, qui peuvent «prévenir» lorsqu’ils sont vides.
Et si l’ordonnance est annulée?
Il est impossible d’opérer les communications GSM actuelles avec l’ancienne norme. D’ici fin 2015, tous les permis des quelque 1.000 ou 1.100 sites bruxellois seront d’ailleurs renouvelés suivant la nouvelle norme. Ensuite, il faudra vite se poser la question de savoir si la norme actuelle est suffisante. En 2019 ou 2020, on devrait passer à la 5G. Cette technologie ceci dit ne reposera plus sur des antennes mais ressemblera davantage à un réseau WiFi sans perte de connexion, avec des relais tous les 300 ou 400m, à chaque coin de rue.

«D’une norme très sévère à une norme sévère»
Au cabinet de la Ministre bruxelloise de l’Environnement Céline Fremault (cdH), on ne se prononce pas sur la dangerosité des antennes supputée par grONDES. On se dit «sensible à la sécurité publique, bien sûr», tout en soulignant qu'«il n'y a pas de consensus scientifique en la matière». On rappelle qu’il s’agit d’ «un choix de la précédente législature». Et on s’appuie surtout sur les normes de l’OMS: «Les normes bruxelloises sont 50 fois plus sévères que celles de l’OMS. Cette instance n’est pas contestée. Les Bruxellois sont donc protégés».
Lorsqu'on évoque la suggestion de grONDES de redescendre à la norme de 0,6V/m préconisée par le Conseil de l'Europe, le cabinet plaide pour «l'intérêt général»: «le collectif grONDES se base sur les données les plus strictes qui l'arrange au mieux. Du 3V/m au 6V/m, nous pensons pour notre part que nous sommes passés d'une norme très stricte à une norme stricte», pose-t-on du côté de chez Céline Fremault. «Il faut vivre avec son temps tout en ne faisant aucune concession à la santé dès lors que nous avons une certitude que la technologie est nocive». Sous-entendu: ce n'est pas (encore?) le cas.
C’est là qu’intervient l’argument du statut international de Bruxelles: «Cet ajustement vers le 6V/m est nécessaire. Sans ça, Bruxelles serait dépassée et deviendrait peu attractive. Au centre de l’Europe, notre réseau doit être à la pointe».
«Sur base du cadastre, tout citoyen peut porter plainte»
L'IBPT ayant été libéré de sa mission de contrôle au profit de Bruxelles Environnement (IBGE), que répond l'entourage de la Ministre Fremault lorsque grONDES émet des doutes quant à l'attribution des permis? «Ils essayent de faire croire que les opérateurs peuvent faire n'importe quoi. Mais l'IBGE réalise des contrôles réguliers. Elle est la seule administration européenne qui dispose d'un cadastre des antennes GSM, disponible sur internet, où le degré de rayonnement et son étendue sont renseignés. Tout citoyen peut s'y référer pour introduire une plainte».
La Région se dit «prête» quant aux éventuelles actions juridiques à entreprendre en fonction du recours à la cour constitutionnelle. «Nous sommes légalistes: on tiendra compte de la décision». Le jugement est attendu fin 2015.
Repères
4G – Le réseau 4G implémenté en Belgique est un réseau qui ne permet que l'échange de «datas». En gros, des données internet. Mais pour vos communications vocales (en gros, vos appels téléphoniques), la 4G ne suffit pas: dans ce cas, le smartphone «bascule» vers les réseaux 2G ou 3G de votre opérateur. D'où l'importance pour ceux-ci de maintenir leurs antennes. Dans un avenir proche, une nouvelle génération de technologie 4G devrait prendra en charge données ET voix sur le même réseau.
6v/M – Fixée par la nouvelle ordonnance régionale, la norme de 6V/m fixe la puissance maximale totale que peuvent atteindre les antennes GSM dans l'espace accessible au public, cet espace excluant désormais les terrasses et balcons. Soit une norme 4 fois plus puissante que l'ancienne référence de 3V/m. Ainsi, la nouvelle norme permet la coexistence de 4 antennes de 3V/m à un même point d'émission.
L'ordonnance de 2014 – La première idée, émise en 2013 par la Ministre Écolo de l'Environnement Evelyne Huytebroeck, était d'autoriser la coexistence de 2 «paquets» de 3V/m chacun, un pour les 2G et 3G, l'autre pour la 4G. Ce qui a été jugé insuffisant par les opérateurs. Dès lors, le lancement en grande pompe de la 4G de Proximus a été assorti du vote d'une ordonnance bruxelloise autorisant le 6V/m.
Le cadastre - L'ordonnance régionale de 2014 donne à l'IBGE la mission de contrôle des normes d'émission des antennes sur le territoire des 19 communes. Une carte du cadastre des antennes, regroupant les quelque 1.000 sites actuels (auxquels 400 sites devraient s'ajouter dans un futur proche), est disponible sur le site de Bruxelles Environnement. Un clic sur l'antenne de votre quartier vous renseignera, dans un jargon technique il est vrai quelque peu opaque, la composition de chaque site et son degré de rayonnement. Vous pouvez aussi y consulter les permis au format PDF. Un formulaire de plainte est également disponible en cas de doute.