«Les caves de la Gestapo sont un témoin tangible de la barbarie nazie»
La procédure de classement des caves de la Gestapo, aux 347 et 453 de l’avenue Louise, suit son cours. Le dossier est épineux car il propose de «classer la honte». Le relevé demandé par la Région touche au but. Il prouve que les lieux sont chargés tant matériellement qu’émotionnellement.
Publié le 14-01-2015 à 13h56
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«Le soleil se lève et se couche, mais dans cette prison, il fait noir».
Nous sommes au 347 avenue Louise, «un immeuble cossu et anodin, comme tous les lieux où l’on torture», selon les mots d’André Dartevelle, documentariste à la RTBF. Pour son film «A mon père résistant» (1995), le journaliste est l’un des premiers à avoir filmé les funestes murs qui ont servi de prison bruxelloise à la Gestapo. La police secrète hitlérienne y a emprisonné et torturé juifs et résistants avant de les expédier, «dans des camions bâchés», à la caserne Dossin à Malines. Beaucoup y ont inscrit des traces de leur passage.
La question du classement des lieux, comme de leurs homologues du 453 de la même avenue, est épineuse. Suggéré depuis 2011 par la Fondation Auschwitz, le classement met en concurrence droit de propriété et devoir de mémoire. Lancée au printemps 2014, la procédure a obtenu ses premiers résultats. Et le recensement des émouvants graffitis subsistant dans ces caves, s'il n'est pas achevé, témoigne de l'importance de sauvegarder cette «réalité tangible de la barbarie», selon Muriel Muret, responsable du département inventaire protection de la Direction des Monuments et Sites.
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Muriel Muret, les Monuments et Sites ont pu visiter les «caves de la Gestapo»? Qu'y avez-vous vu?
Il y a d’abord le numéro 453, qui a été mitraillé par le pilote Jean de Selys Longchamps. Nos visites, sans aucun problème, ont confirmé la présence de traces. Au crayon, donc fragiles et peu visibles. Au 347, Dartevelle n’avait visité que 4 caves. Après notre première visite, on peut affirmer qu’on y sent la trace de nombreux prisonniers. La qualité des inscriptions y est meilleure, car plus souvent, il s’agit de gravures. C’est un lieu très riche.
En quoi consiste votre travail aujourd’hui?
Nous inventorions. Quand nous avons accès aux caves, on photographie. On tente de mettre en relation ces témoignages avec les faits historiques. On enregistre un maximum de traces. Nous avons repéré des témoignages en français, en néerlandais, en anglais et en hongrois.
Les caves sont en bon état?
Il s’agit bien de caves, et pas d’un musée. Elles sont donc utilisées comme telles. Parfois, les biens entreposés empêchent d’accéder aux murs. Il faut aussi tenir compte des aménagements, comme le besoin de rénover le chauffage de l’immeuble. En outre, certaines ont été repeintes, ce qui a effacé les traces. L’endroit enfin, est très exigu. Et oppressant.
Où en est la procédure de classement?
Il s’agit simplement d’un processus de classement pédagogique et conservatoire. La Commission Royale des Monuments et Sites rendra un avis sur base de nos données. La Région prendra alors l’arrêté définitif de classement. Ensuite, on se penchera sur les mesures de conservation. ça peut être très long.
On sait que l’inventaire se fait dans un climat de relative crispation.
Il est vrai que nous marchons sur des œufs. Nous sommes donc très prudents. Les propriétaires sont souvent âgés. Peut-être préfèrent-ils oublier plutôt que de mesurer l’intérêt scientifique de la démarche. Il n’est pas toujours facile d’obtenir les clefs mais je ne soupçonne ni mauvaise volonté ni mauvaise foi. Le rôle de la Région, c’est maintenant d’enregistrer. Il faut mener ce travail à bien.
Un accès public, même limité, est-il envisageable?
Il n'est pas question de voir les écoles défiler. Ni d'ouvrir les caves aux Journées du Patrimoine. Car il s'agit bel et bien d'un endroit privé. C'est la différence par rapport à d'autres exemples similaires, comme à Paris ou à Cologne. La Région ne pourra pas exproprier. Ce n'est d'ailleurs pas l'objectif. Ceux qui souhaitent ressentir l'ambiance de lieux chargés d'une émotion similaire peuvent toujours se tourner vers le fort de Breendonk.
Peut-on imaginer une reconstitution?
Comme pour les grottes de Lascaux? C’est une possibilité. On réfléchit en tout cas à la façon d’enregistrer ces témoignages par des moyens nouveaux, par exemple les relevés 3D qu’on utilise en archéologie.
Il s’agit en tout cas d’un témoignage impossible à ignorer.
Ce classement d’un patrimoine matériel ET immatériel, c’est une première à Bruxelles. Cela revêt une telle connotation. Il s’agit d’une réalité tangible de la barbarie nazie. Même si d’autres témoins bruxellois doivent exister, ça et là, aucun n’atteint ce niveau d’horreur. à ce titre, ces caves ont une valeur. Il nous revient de les sauvegarder.