Bruxelles d’en haut (1/4): Vue en béton à 360° depuis l’Altitude 100
L’Altitude 100 est le phare emblématique du sud de Bruxelles. Du haut de ce mastodonte de béton, la vue est époustouflante. Une vue qui doit plus à la spéculation immobilière qu’au bon Dieu.
Publié le 10-07-2014 à 06h00
«Quand je grimpe sur la plateforme, la première chose que je regarde, c’est la gare. Les trains qui entrent et sortent me rappellent mon enfance. À Noël, dans les magasins, il y avait toujours ces superbes modèles réduits électriques, dans des paysages miniatures. Maintenant, je les ai pour moi».
Juché sur la tour de Saint-Augustin à 42m au-dessus des trottoirs, toisant les 8 rues en étoile qui y convergent, Robert Réunis porte la main à ses yeux. «En milieu d’après midi, on voit moins bien au sud. Le soleil éblouit parfois. Mais aujourd’hui, ça va. Regardez, on voit même la Butte du Lion, à Waterloo. C’est rare, avec le SMOG». En effet, un petit triangle blanc se détache, au-delà de la Forêt de Soignes. Nous voilà donc verni. Ou béni?
Sans SMOG, on voit loin, très loin
N’en déplaise aux promoteurs d’Up-Site, la tour des riches en bord de Canal, la croix de l’église de l’Altitude 100, qui culmine à 53m en haut de Forest, reste bel et bien le point le plus élevé de la Région. Il suffit d’y grimper pour s’en persuader. Wiels, basilique de Koekelberg, tour Reyers, Atomium, Hôtel de Ville, Serres Royales, Palais de Justice, quartier européen, incinérateur de Neder, usines Audi ou hôpital Erasme: de là-haut, on ne loupe rien. Et la vue est époustouflante. Vraiment.

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Par beau temps, on sort même des limites bruxelloises. «Les deux antennes, là-bas, ce sont les émetteurs radios de Wavre, qui ont brûlé il y a peu. De l’autre côté, c’est celle de la VRT à Sint-Pieters-Leeuw, et les éoliennes de Colruyt, à Hal». Mais le point de repère préféré du fidèle paroissien forestois, c’est encore plus loin qu’il va le chercher. «La tour de la cathédrale Saint-Rombaud, à Malines. C’est mon évêché, après tout!».
«Les voisins ne m’aiment pas trop»
Détenteur des clefs de sa chère Saint-Augustin, mastodonte de béton en croix grecque, Robert Réunis est intarissable sur l’édifice. Si vous visitez, c’est lui qui vous mènera, des vastes dalles de pierre bleue aux cloches, après une galerie aux vitraux «soufflés comme au Moyen Âge», dardant leurs rais dorés dans l’église. «Je crois que les voisins des immeubles de la place ne m’aiment pas trop», rit-il dans sa barbe Léopold II. C’est vrai que le regard plonge directement sur les terrasses et dans les salons».
Ce qui surprend aussi, c’est la verdure. Du «petit jardin de Monsieur Duden», juste en bas, on plonge vers le Canal. Le parc de Laeken s’élargit au nord-est, écrin vert du haut de la ville. Au sud, la forêt de Soignes étend ses ramures à l’horizon, et subjugue. De là-haut, on croit mieux que Bruxelles est la 2e ville la plus verte d’Europe, après Berlin. «Les étrangers sont davantage surpris par les jardins d’intérieur d’îlot», glisse notre guide. «Et surtout, par notre inaltérable capacité à les diviser par des murets».
S’il n’a jamais décapsulé sa Chimay Bleue en haut, Robert garde un œil bienveillant sur les écoles installées juste en dessous. «Quand ils grimpent pour visiter, ils me demandent toujours si c’est vrai que les instituteurs les surveillent d’ici pendant la récré. Je laisse planer le mystère. Et je réponds que c’est un secret d’État».
Spéculation immobilière
Mais pourquoi Saint-Augustin a-t-elle été bâtie sur le site de l’Altitude 100 à Forest? Ni pour commémorer un lieu saint ancestral, ni par symbolisme envers la distance le séparant du niveau marin (en réalité 102,332m), mais bien par pure… spéculation immobilière.
«Alexandre Bertrand, agent de change bien en fonds, acquiert le site en 1900. À l’époque, c’est vraiment le trou, mais l’investisseur sent le potentiel du lieu car la ligne de tram électrifiée de la chaussée d’Alsemberg est en projet», explique Robert Réunis.
Comme un aimant
Comment faire dès lors pour attirer les habitant dans les champs? «Il crée plusieurs rues autour d’une place circulaire. Puis offre le centre circulaire à une nouvelle paroisse avec, comme seule condition, de bâtir une église visible de chaque rue». En gros, l’église agit comme un aimant, à l’instar de nos centres commerciaux actuels.
Les plans sont sur la table mais la guerre 14 surgit. Et l’église n’est achevée qu’en 1935. «C’est à ma connaissance le second édifice en béton d’Europe, après Le Raincy, à Paris», pointe le spécialiste. «Quasi en même temps est érigée Saint-Jean-Baptiste à Molenbeek».
De «faux» piliers
Pavés bleus italiens, vitraux «à l’ancienne», décoration quasi absente si ce n’est un unique chemin de croix «immeuble» en bas-relief, corps carré aux angles arrondis qui élargit l’impression de gigantisme «alors qu’on ne parle que de 30m de long», l’église en croix est assez originale.
Le béton de Saint-Augustin, qui a souffert, est aujourd’hui restauré. Mais dès sa fondation, il tient le coup. «Les piliers ne devaient pas être aussi massifs. J’ai la preuve, dans les correspondances des architectes, qu’ils ont été épaissis pour ne pas effrayer les paroissiens en donnant l’impression de fragilité. Même chose avec les structures de soutien de la tour: ce sont de simples poutres métalliques en I majuscule, coulées dans un coffrage factice de béton».
Saint-Thomas n’aurait pas exigé autre chose.
+ Église Saint-Augustin, place de l’Altitude 100. Chaque mois, visite guidée et accès au panorama le quatrième dimanche du mois à 15h (27 juillet, 24 août, 28 septembre et 26 octobre). Renseignements au 02/343.05.45