Le Delhaize Verhaeren va fermer à Schaerbeek: «Ce sont les magasins à “petite moyenne d’achat” qui ferment»
Bruxelles est touché par le plan d’économie de Delhaize. C’est le Delhaize de Schaerbeek Verhaeren qui passe à la trappe. Quelque 40 personnes travaillent dans ce supermarché, le seul d’un quartier populaire où peu de commerces survivent. Analyse avec un délégué syndical qui ne peut que constater les dégâts.
Publié le 11-06-2014 à 13h44
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Philippe Van Holsbeke, vous êtes délégué syndical CNE chez Delhaize à Bruxelles. Clients et employés semblent dire que leur supermarché ne désemplit pas. Alors pourquoi le Delhaize Schaerbeek Verhaeren est-il sur la liste des magasins qui fermeront?
C’est vrai, il y a beaucoup de clients, mais à «petite moyenne d’achat». En d’autres termes, ce sont des clients qui viennent souvent, tous les jours, mais qui achètent peu. Ils ne remplissent pas le caddie. Cependant, ils demandent beaucoup de personnel et de manutention. À l’analyse, on remarque que tous les Delhaize concernés par le plan semblent répondre à ce critère. Ils sont aussi souvent situés dans des quartiers plus fragiles socio-économiquement.
La décision est irrévocable ici à Schaerbeek?
D’après ce que j’ai entendu ce matin, oui, malheureusement, ça semble irrévocable. Par contre, les 2.500 emplois menacés semblent négociables.
Comment compter vous peser?
Il faut mobiliser après avoir informé. Tenter de créer un rapport de force. Si la direction se rend compte que le rapport de force leur coûte plus cher que les licenciements, alors ils négocieront. Ça sera dur.
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On parle d’un changement de mentalité à la tête du groupe…
C’est très clair. Tout remonte au départ de Pierre-Olivier Beckers. Il est le petit-fils du cofondateur Jules Vieujean. Avec lui, la mentalité familiale a quitté Delhaize. Il a été remplacé par Franz Muller, qui venait d’opérer une restructuration chez Makro. ça sentait pas bon. Puis est arrivé Johnny Thijs, comme consultant, qui venait de restructurer la poste. On s’attendait donc à ces mesures.
Concrètement, comment le durcissement se vit-il au quotidien, aux caisses et dans les rayons?
Depuis 2011, nous vivons une nouvelle organisation du travail. On bosse sans cesse en sous-effectif: les tâches exigées deviennent donc impossibles. Dès lors, on rappelle des gens en congé, voire on refuse ces congés. Et bien sûr, «tout est toujours de la faute des travailleurs, qui refusent d’adapter leurs horaires». On subit aussi la politique de la tolérance zéro par rapport au règlement de travail.
C’est-à-dire?
Par exemple, si vous vous octroyez un verre d’eau sans pointer, c’est une sanction à votre dossier. Et si vous cumulez trois fois la même sanction, c’est la porte.

Et les directeurs de magasins: ils ressentent cette pression?
Bien entendu. L’entreprise a engagé des dizaines de jeunes directeurs. Pourtant, il n’y a pas de place. Dès lors, les anciens savent qu’ils vont devoir dégager s’ils ne font pas le chiffre, en recette et frais de personnel. Car les jeunes coûtent moins cher.
Les franchises font concurrence?
C'est terrible: la concurrence se ressent en effet au sein même du groupe. Mon chef, au Delhaize Léopold III, touche 1.800€ comme responsable du rayon fruits et légumes. Pour le même job chez un franchisé, c'est quelque chose comme 1.500€. Et en faisant plus d'heures! A emploi équivalent, le franchisé coûte 20% moins cher. C'est ce qui nous attend. Et ne parlons pas des Red Market, leur nouveauté: salaire plancher et prime aux résultats.
Le chiffre semble omniprésent...
Un autre exemple? En fin d’année dernière, on nous a demandé de ne pas reporter nos congés à l’année suivante. Ce qui pourtant était permis jusque-là. Pourquoi? Parce que l’année suivante, chaque heure aurait pesé de 30 centimes supplémentaires. Les 180.000 heures auraient donc coûté quelque 60.000€. C’est comme ça que les chiffres sont enjolivés.
60.000€, pour une multinationale comme Delhaize, ça semble pourtant minime…
Oui mais dans le même temps, il faut rassurer les actionnaires. On pense à eux, pas au personnel. Leurs dividendes ont été augmentés de 11%. Sa dernière année, Beckers a reçu 7 millions d’euros de prime de départ. Et un salaire de 3 millions…
Mais vous regrettez son départ?
Oui, on regrette son départ, oui. Car aujourd’hui, en haut, plus personne n’a Delhaize dans son cœur.