11.000 € pour Farid Bamouhammad: le gardien témoigne

Le chef surveillant condamné à Nivelles pour traitement dégradant sur Farid Bamouhammad dit le Fou, exprime ses craintes pour l’avenir.

Jean VANDENDRIES

Les délégués syndicaux des agents pénitentiaires réagissent avec virulence à la condamnation d’un des leurs. La CSC annonce que des actions sont possibles.

Pas plus que des dizaines de collègues qui lui adressent des mails et des SMS de soutien, il ne comprend pas ce que la justice lui reproche. Entretien à bâtons rompus avec cet homme de 48 ans, chef surveillant à Dinant après avoir travaillé à Lantin, Saint-Gilles, Andenne, Ittre et avoir été invité à l'ouverture de Marche. «Une prison cinq étoiles, avec douche individuelle dans les cellules, explique Dany Delbart. Qu'on arrête de dire que l'État ne fait rien pour les détenus. Il a beaucoup investi. Quand je pense aux jeunes enfants qui n'ont pas de réfectoire ou aux personnes âgées auxquelles il faut mettre une camisole chimique dans leur home. Autre chose que les entraves prévues par l'administration pénitentiaire!»

Ce jugement qui vous condamne pour avoir fait usage des entraves… Avec le recul, fallait-il en arriver là ?

Farid s’est avancé sur moi. Cette attitude, on voit ça au quotidien et on connaît le bonhomme. Je lui ai fait un « balayage », car il y allait de ma sécurité et de celle des autres gardiens. Décision a été prise de le mettre en cellule et de l’entraver. Il se débattait et devenait de plus en plus menaçant. Il a voulu à tout prix conserver ces chaînes. En audience, il a été dit qu’un de ses avocats lui avait même conseillé de les garder !

J’ai côtoyé ceux que l’on assimile au milieu du grand banditisme. Avec eux, il est possible de discuter. Mais avec lui, pas question, il n’a aucun respect de la valeur humaine, même pas avec ses codétenus. Au travers de cette condamnation, on oublie les milliers de situations conflictuelles que j’ai réglées au quotidien.

Être gardien, ce n’est pas que surveiller…

Ce n’est pas parce qu’un individu est en prison qu’il a perdu toutes ses valeurs. Ma force, c’est ma droiture, pas ma carrure. J’adore et je privilégie le dialogue. Je n’aime pas l’injustice et je considère que toute sanction est un échec. Ma réussite, c’est quand un détenu vient vers moi et me dit : « OK, hier, j’ai déconné et vous n’aviez pas le choix. » Ou quand un ancien détenu traverse la rue pour venir me serrer la main.

De quoi demain sera-t-il fait ?

On a ouvert une grande porte. Farid n’aurait eu que l’euro symbolique qu’il aurait déjà considéré jouir d’une impunité totale. Le risque est grand de voir des agents pénitentiaires refuser le rôle de tampon mais fermer les yeux et devenir gentils, comprenez faire les caprices de quelques caïds qui refusent de regagner leur cellule, qui font pression sur la majorité des détenus, se font payer pour les autoriser à aller au préau ou les obligent à ramener de la came. Une espèce de lieu de non-droit. On l’a dit avant moi : si la violence et la peur continuent de se propager, la démocratie risque de disparaître…¦

Chez les syndicats, c'est l'indignation

Le jugement rendu lundi par le tribunal correctionnel de Nivelles met en cause les méthodes d'un chef agent pénitentiaire de la prison d'Ittre où vous travaillez. Quel est votre sentiment ?

C'est l'indignation totale ici à Ittre. Il faut le voir pour le croire. J'ai suivi toute l'affaire de près et je dois dire que je ne m'attendais pas à cela. Ça crée un précédent dangereux pour nous, les agents pénitentiaires. Il va certainement y avoir appel de ce jugement qui, je l'espère, sera réformé.

Les collègues des autres prisons ont-ils manifesté de la solidarité par rapport à cette condamnation d'un agent ?

Bien entendu. C'est l'émoi dans toutes les prisons au Sud du pays. Il va certainement y avoir des mouvements dans les prochains jours.

Farid Bamouhammad est un type ingérable, il frappe sur tout ce qui bouge dès qu'il est contrarié. Et on a condamné le chef gardien et ses supérieurs à lui payer 11 000 €. Vous imaginez son état d'esprit actuel ? Comment encore se faire respecter après ça ?

Vous avez fréquemment recours aux entraves ?

C'est très rare. Le cachot, que l'on appelle désormais l'espace de séjour, c'est bien suffisant pour les détenus les plus difficiles.

Vous travaillez à Ittre depuis huit ans. Les cas de violence envers les agents ont augmenté ?

Non, ce n'est pas la guerre tous les jours, il ne faut pas exagérer. Mais les insultes, c'est tous les jours, ça oui. Et Farid Bammouhamad, lui, il crache sur le personnel. C'est d'ailleurs acté dans le jugement. Ce que je constate, c'est que les détenus ne craignent plus les sanctions de la direction. Quand on fait un rapport négatif, ils se marrent.

Les travaux pour accueillir une section de haute sécurité ont commencé à Ittre…

Nous aurons bientôt à Ittre 26 places pour des détenus qualifiés de « difficiles ». Imaginez une section avec 26 individus ingérables comme Farid Bammouhamad… Cette décision n'est vraiment pas rassurante pour les agents.¦ A.Bil.

NIVELLESLe parquet de Nivelles fera-t-il appel de la décision rendue hier par le tribunal correctionnel de Nivelles? «C'est un peu tôt pour le dire, explique le procureur du roi Jean-Claude Elslander, mais c'est vraisemblable.»

Le procureur n'en dira pas plus pour l'instant. Il est cependant certain que le jugement «Farid» est comme une épine dans le pied de la justice. En remettant en cause l'autorité de ceux qui font appliquer les décisions de justice, le jugement fait du tort à l'ordre établi.

Cela dit, le cas d'un agent pénitentiaire poursuivi, et a fortiori d'un directeur de prison, reste une chose rare. « Les détenus qui posent des actes violents sont poursuivis mais les agents pénitentiaires le sont également, précise le procureur. Cela dit, ce type de faits n'est pas en augmentation. Les droits et devoirs de chacun sont mieux précisés que par le passé. Ça limite sans doute les problèmes dans le milieu carcéral. Le cas Farid est exceptionnel.»A.Bil.

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